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On ne rit plus…
Souvent chahutés par le passé, mais respectés, les fonctionnaires semblent avoir définitivement chuté dans l’estime des Français. Quelque chose a changé.
Le pays, en cette fin d’année 2016, semble s’être trouvé un nouvel ennemi : le service public. François Fillon parle ouvertement de réduire les effectifs, et de rallonger le temps de travail ; son opposant malheureux à la primaire des Républicains, s’il n’allait pas aussi loin, était aussi pour la réduction de la voilure – à vrai dire, même les candidats de la gauche ne sont pas particulièrement tendres avec les fonctionnaires. De tels propos étaient encore impensables il y a quelques années. La moquerie a toujours été présente, mais là, c’est du sérieux… comme si la blague avait cessé d’en être une. C’est en fait l’aboutissement, prévisible, d’un long processus de désamour. « La France est un pays extrêmement fertile, on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts. » Le mot, connu, est de George Clémenceau, et témoigne bien du fait que les fonctionnaires sont depuis longtemps en France objets de plaisanterie ; c’est d’ailleurs presque un sport national. Le thème récurrent : la fainéantise. Le fonctionnaire ne pense qu’à ses vacances, ou à son week-end, ou à sa pause-café dans les cinq minutes à venir, et votre problème ne l’intéresse pas, mais alors, pas du tout. Les blagues sur le sujet sont tellement répandues qu’il semble même que tout comique prétendant à être connu sur le plan national doive y consacrer quelques saillies. C’est, en un sens, totalement compréhensible. La plupart des gens ne rencontrent des fonctionnaires que dans des cadres par définition rébarbatifs, qui ne les incitent pas à la clémence : pour des procédures administratives diverses tout aussi passionnantes les unes que les autres, à l’école, à l’hôpital où ils sont débordés, au commissariat… Peu étonnant donc que l’employé du service public apparaisse comme un mal nécessaire, et que le public trouve une certaine catharsis dans l’humour (à noter que certaines catégories, comme les pompiers, sont exclues de ce jeu-là). Mais si cela a toujours été vrai, cela ne constituait qu’un aspect du fonctionnaire. Même vu avec ambivalence, et ce depuis l’Ancien Régime, il gardait une certaine dignité : non seulement il était admis qu’il accomplissait un travail utile au fonctionnement de l’État, et œuvrait donc au bien public, mais en plus, il n’y a pas si longtemps que cela, être fonctionnaire signifiait que l’on avait une carrière (une relecture de la littérature du XIXème montre bien l’importance de cet aspect). Ainsi, même sujet de moqueries, le fonctionnaire pouvait se dire que la jalousie y jouait un rôle, surtout compte-tenu des avantages associés à la profession : sécurité de l’emploi, retraites anticipées pour certains…
L’accumulation de ces avantages, et surtout leur défense, est probablement l’élément qui a le plus contribué à transformer les rires gras en rires jaunes. Face à un monde du travail privé où les heures sont plus longues et où les salaires ne sont pas nécessairement plus importants, le service public semble déjà bien loti – voire trop bien loti. Et du coup, quand ils viennent dans la rue défendre, à grand coup de manifs, leurs avantages acquis, tous les autres, qui n’ont pas ces avantages et doivent aller au travail tout en étant – de plus en plus souvent – gênés dans leurs déplacements, l’ont mauvaise. Il faut bien dire que les syndicats de fonctionnaires, pour se faire entendre du gouvernement, ont de plus en plus tendance à viser les dates et les lieux qui provoquent une nuisance maximale (typiquement les départs en vacances). C’est efficace, comme tactique de « négociation », mais cela a clairement retourné l’opinion publique, particulièrement en période de crise économique. Ce revirement n’est donc, tout compte fait, pas si surprenant. Ce qui l’est, c’est la rapidité avec laquelle le phénomène a émergé – ou plutôt s’est découvert. Dans des études menées en 2011 et 2012 par TNS Sofres et Ifop, les fonctionnaires étaient encore jugés plutôt compétents et honnêtes ; si des éléments étaient mis en doute, ils tenaient plutôt aux qualités de gestionnaire de l’État et à sa capacité à améliorer le fonctionnement global de la fonction publique. À peine deux ans plus tard, après la sortie d’Emmanuel Macron – alors ministre de l’Économie – ayant jugé « peu adéquat » le statut de la fonction publique, un sondage Opinion Way réalisé pour le Figaro montrait que 70% des Français étaient d’accord avec lui, notamment sur l’alignement des régimes de retraite et sur la fin de l’emploi à vie. Comme si, soudainement, un abcès avait été percé. Il reste à voir, avec les urnes, jusqu’où les Français vont vouloir aller, dans cette soudaine désacralisation du fonctionnaire.
Jean-Marie Benoist