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Haro sur les étourdis à 12 points de permis

Comment abaisser le nombre tabou de 3 500 morts accidentelles sur les 400 000 kilomètres de routes françaises (1 900 morts sur les routes désormais à 80 km/h) ? En ralentissant sans cesse la vitesse autorisée pour des véhicules conçus pour la pulvériser. Et au passage encaisser les milliards de la répression automatisée hyperefficace – bien plus que les logiciels de paiement des salaires de l’Armée, par exemple – qui pendant un temps d’adaptation s’abattront sur les « contrevenants », implicitement responsables des accidents. Au-delà, Premier ministre et Président espèrent bénéficier du bonus politique qu’obtiennent les gouvernements soucieux de sécurité routière. Ils acquittent pourtant pour l’heure le malus de la répression. Œil décalé vers les contradictions hexagonales.

Olivier Magnan

Tout le monde ou presque est « contre », réflexe gaulois : trois Français sur quatre (étude Axa) vivent mal cet abaissement de vitesse à 80 kilomètres par heure sur les routes sans séparateur central. Quiconque s’y astreint sur une longue ligne droite en rase campagne ronge son frein. Même si l’obéissant conducteur ne perd que quelques minutes sur son parcours par rapport aux 90 km par heure antérieurs, la transition se révèle douloureuse pour les nerfs. Elle l’était en 1973 pour le port de la ceinture. En 1990 pour le « 50 » en ville. Le « 80 » devrait à son tour entrer dans les mœurs à terme.

Mais si c’est pour la « bonne » cause ? D’une façon fort aventureuse, les tenants des déplacements escargots estiment que la mesure épargnera 200 à 400 vies. Vrai et faux. Vrai car, comme le rappelle le président de l’association 40 millions d’automobilistes, Pierre Chasseray, « lobby » décidément bien peu écouté faute de défendre le beau rôle, d’ici à deux ans le nombre des victimes aura vraisemblablement baissé… en raison de l’amélioration des systèmes passifs de sécurité à bord de véhicules récents ‒ Volvo, par exemple, affirme son objectif de zéro mort dans ses berlines à horizon 2020. Faux, car le chiffre ne peut sortir de l’expérimentation rapide (deux ans) menée auparavant sur un tronçon de 86 kilomètres, alors même que des travaux d’amélioration de la voierie ont été menés dans la même période. Les phénomènes d’accidentologie s’apprécient sur cinq ans au moins. Parmi les arguments des pro-80, figurent les fameux travaux du Norvégien Rune Elvik, mis en avant par la Sécurité routière : « En réduisant la vitesse, on diminue presque systématiquement le nombre d’accidents. » Derrière cette lapalissade, pèse le « presque ». En réalité, tout dépend de l’attitude du/de la conducteur/trice : selon Vinci Autoroutes, cinq secondes d’inattention (endormissement, téléphone…) multiplient par 23 le risque d’accident, même à 80 km/h, vitesse bien suffisante pour tuer. L’effet dépend aussi de la technologie du véhicule adaptée à la dissipation du choc. La Sécurité routière s’est récemment décrédibilisée : en affirmant qu’un Renault Captur s’immobilise en 57 mètres à 80 et en 80 mètres à 90, elle ne s’est pas souvenue avoir établi deux ans auparavant qu’une Clio ‒ certes un peu plus légère, mais pas dans des proportions significatives ‒ s’arrêtait en… 43 mètres ! Si l’on extrapole les chiffres contestés des études scandinaves, même une réduction à 50 km/h n’épargnerait pas… 2 000 tués par an.

 

Arsenal répressif

Pour obtenir une décélération de masse, les autorités françaises ont choisi la répression. Efficace. On l’a vu sur le périphérique parisien, les robots surveillants retiennent les chevaux vapeur d’automobilistes désormais rivés aux 70 km/h exigés (avec 15,5 % d’accidents évités et une explosion d’amendes). En attendant, sur les routes, le même effet, les amendes automatisées vont poursuivre leur envolée. Elles ont été multipliées par 2,5 depuis 2000. Pour la Cour des comptes, c’est une rentrée de 2,5 milliards d’euros qui s’est vérifiée en 2017, au prix de 4 400 radars installés en 2018 (on en comptera 4 700 à la fin de l’année contre 2 830 en 2011). Encore ne s’agit-il pas des seuls cyclopes (environ 2 000) dûment annoncés par panneaux qui piègent bon nombre d’étourdis non chauffards, comme le remarque Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière dans Challenges : « 52 % des responsables des accidents mortels ont 12 points sur leur permis. » La grogne des automobilistes naît surtout des radars « discriminants » (ils distinguent le « fautif » sur plusieurs voies), au nombre de 405, les « tronçons » (ils calculent une vitesse moyenne), 103, et les « autonomes » qui se déplacent sur les chantiers, 275. Loin de « punir » les grands excès de vitesse, ils sanctionnent tout le monde (amende et points) la plupart du temps en retenant des « 71, 81, 91, 111, 131 km/h » après défalcation des 5 % de marge. La facture fiscale totale ‒ taxes sur les carburants à l’augmentation programmée, assurances, péages autoroutiers et amendes ‒ a totalité 17 milliards depuis 2000 (mais l’Automobile Club Association avance 67 milliards).

30 000 à 50 000 morts par an pour… erreur médicale

Reste l’argument apparemment vertueux du Premier ministre. Il jure que les milliards des radars sont « fléchés » vers les hôpitaux qui accueillent les grands accidentés de la route. Outre que l’enveloppe annoncée se monte en millions, non en milliards, faudrait-il en conclure que les hôpitaux aient intérêt à voir le nombre de sanctionnés, blessés ou pas, augmenter pour bénéficier de cette péréquation sanglante ? Plus grave : Édouard Philippe, en s’arcboutant sur les 3 500 victimes de la route, ne s’insurge pas une seule seconde contre les 30 000 à 50 000 décès annuels (données OMS) dus aux « erreurs médicales » (médicamenteuses, chirurgicales) dans ces mêmes hôpitaux… Disproportion énorme.

Moralité : si seulement l’on pouvait, par panneaux, ralentir la consommation d’alcool au volant, la Sécurité routière ne s’inquièterait plus des inévitables quelques milliers de morts dus aux risques d’un déplacement motorisé. Quant aux trottinettes électriques qui fleurissent sur les trottoirs et les voies de circulation, elles commencent à afficher des taux d’accidents mortels préoccupants avec leur pointe à… 25 km/h. Faudra-t-il des panneaux de limitation ou des radars trottinettes sur chaque trottoir ?

Olivier Magnan

Coûts/économies

4,8 milliards d’euros d’économie liée à la réduction de la mortalité, calcul aléatoire tiré de la « valeur tutélaire » des morts et des blessés (Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 2016), si l’on table sur un taux d’accidents mortels sur ces routes de 12 tués par milliard, soit

  •  159 milliards de véhicules-kilomètres.
  •  250 millions d’heures perdues, soit 3,7 milliards.

Entre 2011 et 2016, la vitesse moyenne sur autoroutes est passée de 116 à 122 km/h (+ 5 %), sans augmentation du taux d’accidents, ce qui contredit les estimations d’augmentation de 20 %.

Source : La Tribune, janvier 2018,  Claude Abraham, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées

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