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S’assurer des talents en France, au sein des entreprises, c’est aussi… un talent ! Bien recruter via un cabinet de recrutement ou par les ressources humaines en interne reste plus que jamais le gage de la pérennité. Entre crise du marché de l’emploi, numérisation des process et impératifs d’innovation, le recrutement de demain se dessine. En pleine période covid.
«Pendant cette crise, les DRH au sens large et tous les métiers des RH sont en première ligne pour gérer la situation des entreprises et accompagner les managers. » Les mots d’Audrey Richard, directrice des ressources humaines du groupe Up et présidente de l’Association nationale des DRH (ANDRH), sont clairs : la fonction RH est au cœur de l’entreprise. Du recrutement à la gestion du collectif, en passant par la formation et la recherche de talents, les charges stratégiques ne manquent pas. Un besoin aujourd’hui exacerbé : la crise sanitaire a freiné les recrutements, recentré les efforts sur la préservation des équipes. L’année 2020 était pressentie comme une nouvelle année record en termes de recrutement des cadres (+ 10 % selon les prévisions de l’Apec en 2019). Elle fut une année de chute historique ! Entre -29 % et -40 %. Les entreprises françaises externalisaient moins leur recrutement que leurs homologues britanniques (30 % contre 70 % selon une étude de Digitalrecruiters de 2017). Elles s’y mettent. Et mécaniquement, les cabinets de recrutement subissent le contrecoup de la frilosité des entreprises. « En recrutement, on se porte bien quand nos clients se portent bien, et des pans entiers de l’économie se sont effondrés en 2020. Le recrutement a directement été très impacté », explique Hervé Van Rijn, cofondateur du cabinet de recrutement RH performances. Un secteur en crise, rien d’inhabituel dans le contexte de récession actuel. Comme souvent, le salut et le rebond passeront par le renouveau. Pour les entreprises comme pour les prestataires du recrutement, c’est indispensable.
Marché en crise
Qu’il soit internalisé ou externalisé, le recrutement choisit l’approche dite classique ou opte pour le direct. Comme le résume Hervé Van Rijn, « l’approche classique consiste simplement à diffuser une offre sur le Web ou sur les réseaux, à mener des recherches basiques sur les candidat·es qui se manifestent puis à les contacter. L’approche directe, celle des chasseur·ses de têtes, consiste à définir avec l’entreprise cliente le profil type recherché pour le poste, puis à contacter directement les profils intéressants, sans passer par une candidature ». Jusqu’ici, rien de neuf. Le recrutement n’a pas attendu la crise de la covid pour constituer un enjeu essentiel et établir ses codes. Une erreur de casting se paie d’autant plus cash. D’où l’adaptation à vitesse grand V des recruteurs, même si « peu importe le contexte, aucune entreprise n’a envie de se tromper. Certaines ne peuvent pas même se le permettre, surtout les TPE PME. Je ne perçois pas une attention plus forte sur le bon recrutement dans le contexte covid, elle existe toujours », corrige le CEO de RH performances. Selon Audrey Richard, présidente de l’ANDRH, « les métiers des RH sont plus que jamais critiques et stratégiques pour la conservation de l’emploi et la santé des entreprises ». Surtout quand l’activité flanche.
Car au global, le marché du recrutement a chuté, selon les secteurs, de 25 à 50 % en 2020. Chez RH performances, on se situe dans la moyenne, à -30 %, et les volumes d’activité ont dégringolé : « Dans notre localisation à Lille, nous avions en permanence une soixantaine de missions de recrutement en stock, et nous rentrions une vingtaine de nouvelles missions chaque mois. Jusqu’en mars 2020, nous étions dans ces ratios, puis en avril nous avons rentré une mission, en mai deux, puis en juin et juillet, quatre. Fin août, il nous restait 13 missions en portefeuille. » Malgré les temps durs et quelques mois « sous perfusion », le cabinet mise sur l’innovation et la numérisation de ses process pour rebondir. « Ce qui a changé, c’est qu’il nous était inconcevable auparavant de présenter un·e candidat·e à un·e client·e sans l’avoir rencontré·e en physique. Aujourd’hui, ce n’est plus un sujet », affirme Hervé Van Rijn. Tiens, tiens.
« Tout en ligne désormais »
Développer de nouvelles pratiques de recrutement, accélérer la transformation numérique et repenser son approche pour rechercher les talents indispensables aux entreprises… Ce qui avançait auparavant au fil de l’eau et au rythme des outils numériques est aujourd’hui contraint d’opérer à plein régime. « L’adaptation et l’innovation n’étaient pas des options, affirme Audrey Richard, tout le monde des RH et du recrutement s’est adapté, nous faisons tout en ligne désormais. » Même son de cloche du côté du cofondateur de RH performances : « Il a fallu innover en un temps record, sinon on était morts. » En l’occurrence, le cabinet, qui divise ses activités entre recrutement et formations professionnelles, est passé d’une logique de rencontres physiques à une logique 100 % numérisée. De la recherche de profils à la mise en relation avec les entreprises clientes en passant par les entretiens, tous se fait aujourd’hui devant un ordinateur. « Il y a un côté très pratique, je suis derrière mon écran, le·a candidat·e est derrière le sien, les entretiens sont très qualitatifs », assure Hervé Van Rijn. Pour consolider cette nouvelle formule, le cabinet accompagne souvent ses entretiens vidéo de questionnaires et tests rapides soumis au·à le·la candidat·e. Les processus RH bien établis voient les outils numériques et le télétravail devenir la norme. Tant et si bien que le paradigme de l’entretien en face à face, sommet inévitable du processus de recrutement, s’efface au profit d’un face to face par écran interposés.
Du pareil au même ? Pas du tout. Pour les recruteur·ses comme pour les candidat·es, il faut l’acquisition de nouvelles compétences de communication, d’observation et d’adaptation pour se montrer performant·e. Un nouvel attirail de soft skills à acquérir, pour bien s’insérer dans un marché de l’emploi et du recrutement en pleine réinvention.
Hervé Van Rijn, lui, en tire une leçon pleine d’optimisme : « Nous nous sommes retrouvés face à une situation sans avoir pu y être préparés, je retiens qu’on n’a jamais autant innové, on a eu de très belles surprises. » RH performances s’investit sur son activité de formation à distance. Pour autant, la solution numérique n’est pas sans faille et ne saurait se suffire à elle-même.
L’humain et la machine
« À distance, c’est compliqué de repérer et de sentir certaines choses comme les micro-expressions et le non verbal, il est sûr et certain que demain nous allons refaire des entretiens en face à face », affirme Audrey Richard. Même constat pour Hervé Van Rijn : « La rencontre physique va toujours plus en profondeur, pour évaluer le leadership et les capacités émotionnelles, l’œil humain reste le meilleur juge. » Les outils technos restent de l’assistance, ils facilitent le travail des recruteur·ses, leur fait gagner du temps, mais ne remplacent rien. Robot recruteur, connais pas. Il n’empêche que le social recruiting consiste à recruter via les réseaux sociaux et leurs algorithmes quand l’analytics détermine les profils adéquats à partir d’une base de données ou d’un CRM (Customer Relationship Management) histoire de fluidifier et automatiser les interactions avec ses client·es et partenaires. « Il s’agit d’exploiter des plates-formes numériques et des outils technologiques pour automatiser des tâches à faible valeur ajoutée et nous faire gagner du temps et de l’efficacité avec nos client·es », explique le CEO de RH performances. La présidente de l’ANDRH, elle, pense « du bien de l’exploitation de ces nouveaux outils dans nos métiers, même si ce n’est pas le cas de tous les DRH ». Elle n’entend pas se passer en tout cas d’une « caution scientifique et éthique, primordiale et indispensable ».
Œil humain ou pas, on sent bien que des outils d’intelligence artificielle entrent dans la danse du recrutement. Et en matière d’IA, la France n’est pas à la remorque. La start-up française Easyrecrue l’exploite pour combler les manques du recrutement à distance et capter les signaux de l’intelligence émotionnelle, même derrière un écran. L’outil d’Easyrecrue, développé en partenariat avec le CNRS, Telecom Paris Tech et CentraleSupélec, analyse la voix, le ton, le discours, les mimiques et les expressions du visage des candidat·es pour déterminer si le profil candidat correspond au besoin. Le·la recruteur·se définit une grille de questions pour un poste à pourvoir, les candidat·es y répondent en se filmant et l’IA décortique la vidéo grâce à un algorithme capable de détecter les qualités attendues. Vraiment ? En tout cas la solution séduit : Easyrecrue compterait déjà près de 70 % du CAC 40 parmi ses clients. Durant la phase d’étude de la technologie, IA et recruteur·ses étaient en accord dans 70 % des cas. En l’occurrence, l’analyse de l’algorithme pourrait par exemple remplacer l’étape d’étude du CV et ouvrir le processus du recrutement. Là encore, la machine ne remplace pas l’expérience humaine de A à Z, mais accélère le recrutement. Pour Audrey Richard, « la technologie est une aide bienvenue pour améliorer nos façons de travailler, mais l’entretien individuel en présence n’est pas remplaçable, et ne sera pas remplacé ».
Une chose est sûre, les professionnel·les du recrutement ont vu leurs pratiques connaître un bond en avant ces derniers mois. L’innovation devient la norme. La grande étape de la numérisation et de l’automatisation des tâches simples est désormais derrière eux, elles. L’exploitation des technologies d’intelligence artificielle et de détections des micro-expressions, elle, ne fait que commencer. Les recruteur·ses et les responsables des ressources humaines vont devoir apprendre à composer avec des technologies nouvelles et des ressources… inhumaines.
Adam Belghiti Alaoui
Au Sommaire du dossier
1. Les licornes tricolores valorisées à plus de 850 millions d’euros se multiplient !
3. Recruter des talents, la France réinvente
4. Régions & territoires : les incroyables pépites des régions