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En 60 ans d’existence dans l’hexagone, l’américain Master of Business Administration a réussi à s’imposer sur le territoire national, avec sa hauteur de vue sur le monde de l’entreprise. Comment se dessine son avenir ?
«Can I help you ? » Premier contact téléphonique, et en un fragment de secondes, me voilà immergée dans l’univers anglo-américain. En ligne, Fady Fadel, à la tête de l’école American Business School of Paris. Et c’est un directeur heureux qui répond. Ses trois diplômes (Master of Business Administration, Bachelor of Business Administration et Bachelor) viennent de se voir réaccrédités par l’IACBE (The International Accreditation Council for Business Education), organisme américain. Le MBA est né sur les terres de l’Oncle Sam, au tout début du xxe siècle. Fady Fadel se réjouit de la portée de cette reconnaissance. Lancé sur le marché en 2012 – c’est-à-dire récemment pour une école qui affiche 85 années d’existence –, le MBA va augmenter ses effectifs une nouvelle fois à la rentrée prochaine, pour atteindre les 40 inscrits. « Ce cursus s’est démocratisé, commente-t-il. Il n’est plus question d’un luxe que s’offre une classe de cadres, et c’est vrai même aux États-Unis. »
Hélicoptère pour tout le monde
Une expression fait flores dans le monde des MBA, c’est « vision à 360 degrés ». Mais il en est une autre, plus récente. Et Christophe Clavé, professeur de stratégie & management à l’Inseec School of Business Economics l’utilise volontiers : « Avec cette formation, les candidats acquièrent une vue d’hélicoptère qui donne une capacité de connecter les disciplines de l’entreprise entre elles. » Le cœur du programme ? Stratégie financière, marketing, ressources humaines… Les fondamentaux du management, mais pas à la manière d’un programme grande école. Le retour d’expériences est essentiel, avec des cas pratiques internationaux. « Les problématiques de l’époque sont intégrées au menu, ajoute Christophe Clavé, avec le travail de l’intelligence collective par exemple, ou bien encore de l’entreprise apprenante. »
Un passeport pour le CAC 40, ou plus largement pour le SBF (Société des Bourses françaises) 120 ? Pas uniquement. Pour preuve, le parcours de Jérémy Cartesse, qui vient de boucler son MBA à l’IAE d’Aix-Marseille. « J’ai adoré mon poste en recherche et développement chez Airbus, explique cet ingénieur formé sur les bancs de l’Estaca, mais j’ai un projet de création d’entreprise. Et l’un des rendez-vous importants de la formation était de développer un business plan. J’ai travaillé sur le mien. » L’incubateur ? Il est trouvé. Le partenaire technique ? Aussi. Et sans attendre même la remise de diplôme, Jérémy « passe à l’action » pour mettre sur les rails sa solution numérisée pour faciliter la vie des familles qui voyagent. Les autres ont repris des entreprises familiales, intégré des entités de lobbying, ont choisi l’expatriation… Les business schools ont bien compris qu’il y avait là un segment de marché à prendre, avec la start-up nation. Ainsi, l’EM Lyon, l’Epitech, Ionis, l’ESG, l’IESIG, Kedge, Teoma ou bien encore Digitalschool… ont développé des spécialisations dédiées. Et, même si le MBA n’affiche pas en bandeau l’entrepreneuriat, il en est quand même question. C’est le cas à Audencia. Les participants doivent en passer par un projet de consolidation de création ou de reprise d’entreprise. Pour Christophe Clavé, un changement s’opérerait, avec un recul de l’intérêt marqué pour l’entrepreneuriat par les participants au MBA d’HEC.
Des Masters of Business Administration
Parler « du » MBA est une erreur. Au fil des années, le marché s’est étoffé avec des MBA spécialisés. Champion toute catégorie, l’ESG Paris en propose pas loin d’une trentaine (communication, cybersécurité, intelligence artificielle, intelligence économique et marché africain…). L’ESLSCA en compte neuf à son catalogue (conformité et gestion des risques, marketing digital et e-business…). Comme son nom l’indique, Digital College (car émanation du Collège de Paris) a choisi d’ancrer son offre sur la transformation numérique, avec un cursus baptisé Digital project management. « Le monde change, il est normal de voir évoluer les MBA, commente Ridouan Abagri, le jeune patron de cet établissement. D’autant que les publics sont de plus en plus variés. » Mais ce mouvement génère quelques grincements de dents. Ce serait un crime de lèse-majesté commis à l’encontre de l’esprit originel. Un sentiment de cacophonie viendrait brouiller la lisibilité de l’offre. « C’est contre-nature, argumente Christophe Clavé, professeur de stratégie & management à l’Inseec School of Business Economics. On peut ainsi parler de banalisation. Le MBA est une référence mondiale. »
Spécialisés, généralistes, francophones, anglophones… entre 80 et 100 seraient actuellement proposés, le plus souvent en business schools mais aussi dans des Instituts d’administration des entreprises (IAE). Un chiffre qui fluctue au gré des rentrées. Y en a-t-il trop ? Le terrain de jeu est international. Avec un marché à capter de participants venus d’Inde, du Moyen-Orient ou bien encore d’Asie.
Vie chahutée
Une chose n’évolue pas : le retour d’expérience. Le bouleversement qu’un MBA peut provoquer. HEC ou pas, business school en tête de classement ou pas, les témoignages sont à chaque fois unanimes. « C’est une étape qui bouscule, résume Olivier Lefaivre, directeur de la business unit du Global executive MBA de Neoma business school. Et pour cause, les participants passent par quatre stades en 18 mois, de l’inconscient incompétent au conscient incompétent, puis de conscient compétent à inconscient compétent ! Une évolution ponctuée de remises en question. Assurément, un MBA n’est pas un chemin facile. » Préparer un MBA, quelle que soit la formule (full ou part time), ne se résume pas à travailler une palette de compétences et de connaissances. À prendre de la hauteur de vue. « Ce cursus aide à se positionner tant dans la vie personnelle que professionnelle, confie Jérôme Pouzou, directeur développement opérations chez Exterion Media France, société spécialisée dans la commercialisation d’espaces publicitaires dans les villes de plus de 20 000 habitants. On apprend à identifier plus rapidement les qualités de ceux qui nous entourent. À identifier les bonnes personnes. À leur montrer l’importance qu’elles ont à nos yeux. Et on se rend compte du poids de la communication. Travailler la confiance avec ses équipes et ainsi déléguer plus facilement. On va à l’essentiel. L’évolution est significative, poursuit-il alors qu’il a entamé le programme de Neoma il y a tout juste quatre mois. Mais il ne faut pas compter sur le MBA seulement. La démarche de transformation est à prolonger. » Jérôme Pouzou se donne trois à cinq ans pour évoluer.
Vers une volte-face du marché ?
Pierre Trippitteli scrute le marché de l’emploi et du recrutement des talents de part et d’autre de l’Atlantique pour le compte de Perpetual, cabinet conseil spécialisé. Il est managing partner pour l’Europe. Et pour lui, pas de doute. « Le MBA a un petit côté has been. Si le propos est volontairement provocateur, commente-t-il, on ne peut nier que le marché connaît un certain fléchissement dans les deux pays. Une question de retour sur investissement aux États-Unis, bien normal quand le coût avoisine les 250 000 dollars, avec 10 à 15 ans à la clé pour rembourser. Et en France, les grandes boîtes que sont McKinsay ou L’Oréal recrutent des collaborateurs à des postes à fortes responsabilités, même sans MBA à la clé. Ce n’est pas sans incidence sur la vitalité du marché. Et c’est sans compter la vitesse d’évolution de l’économie. Il faut aller vite, de plus en plus vite. Et un certificat spécialisé va faire l’affaire, en lieu et place d’un cursus généraliste de 18 mois. Et puis, le terrain donne l’occasion de se frotter à toutes les problématiques abordées en MBA. » Une prise de position assez inhabituelle, il faut le dire, même si les langues se délient. La nouvelle économie viendrait-elle fendiller la statue du commandeur du MBA ? Cécile Eymard, consultante senior chez Clémentine, cabinet spécialisé sur le numérique et les IT, vient nuancer le constat. « Si ce secteur s’affranchit de certains codes du monde ancien, tel n’est pas le cas lors des comités d’investisseurs organisés pour des levées de fonds, explique-t-elle. Le discours est clair. Avoir dans son équipe des collaborateurs avec la bonne école, le bon MBA, compte pour convaincre. Toutefois, nos clients nous demandent de vérifier les expériences passées des candidats, jamais leurs cursus. Le diplôme – et le MBA – sont de moins en moins des “must have”. »
L’engouement pour le MBA jouerait les montagnes russes et dépend de la croissance économique. C’est la thèse défendue par Fady Fadel, directeur de l’American Business School of Paris. « Avec un chômage bas, les candidats se font plus rares, assure-t-il. En cas de crise, alors l’investissement dans l’éducation se fait plus important. » De là à dire que les business schools attendent avec impatience le prochain décrochage boursier…
Murielle Wolski