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La preuve par les chiffres
L’idée fait des émules dans les entreprises tricolores mais comment objectivement le quantifier et le mettre en place ?
«60% des collaborateurs se sentent plus motivés au travail lorsque l’employeur prend en considération le bien-être physique et mental au bureau. » C’est ce qu’il ressort d’une étude menée par l’association britannique Mind sur la question du bien-être au travail. Le bien-être au travail est devenu un enjeu stratégique dans les grandes entreprises. Ipsos dans son dernier baromètre « Comprendre et améliorer le bien-être au travail », publié en 2016, faisait le constat « qu’encourager le bien-être au travail, en implémentant des politiques actives dans ce domaine, impacte positivement l’engagement des salariés et, in fine, la performance durable des entreprises ».
Dans les faits, un salarié heureux est un salarié qui sera moins en retard, moins absent, plus proactif. « La volonté de se dépasser et la fierté d’appartenance sont des facteurs qui montrent l’efficacité et le bien-être des salariés », souligne Cécile Guillois, responsable RH du groupe Solocal (4500 salariés). Le groupe a d’ailleurs développé, il y a trois ans, un pôle Qualité de vie et Santé au travail, et lancé un plan global de transformation. « Nous avons travaillé sur des petites choses qui changent le quotidien, comme l’autonomie des collaborateurs en autorisant le télétravail, réorganisé les zones des commerciaux, etc. » Solocal a aussi créé un poste d’assistante sociale et mis en place un numéro vert à destination des collaborateurs. « Est-ce que ça porte ses fruits ? Oui. Régulièrement, nous faisons des enquêtes. Et l’on constate, par exemple, une hausse de l’indice d’engagement qui a cette année pris dix points. » 94% des salariés de Solocal éprouvent le besoin de se dépasser.
Que sait-on du lien entre bien-être et performance ?
En France, c’est sans doute la Fabrique Spinoza (1), think-tank du bonheur citoyen et son fondateur Alexandre Jost, qui en parlent le mieux : « On peut mesurer le lien entre bonheur et performance à trois grands niveaux : de l’individu, de l’entreprise (micro) et de la Nation (macro) ». Sur le premier point, il existe une méta-analyse fondatrice de 225 études académiques, réalisée par trois chercheuses Sonja Lyubomirsky, Ed Diener et Laura King qui s’intitule The Benefits of Frequent Positive Affect. Elles sont parties du principe que le bonheur et les affects positifs étaient la cause du succès dans la vie d’un individu. Et ont pu clairement démontrer la causalité unidirectionnelle entre la satisfaction personnelle et les bons résultats opérationnels.
Pour atteindre cette conclusion, les trois chercheuses ont croisé quatre sortes d’études. La première, la preuve transversale, consiste à comparer les gens heureux avec les autres : « Est-ce que les gens heureux ont du succès ? ». La deuxième, la recherche longitudinale, permet d’observer les individus sur une période plus longue et d’examiner leur évolution : « Est-ce que le bonheur précède le succès ? ». La troisième, la preuve expérimentale – une expérience en laboratoire – fait s’interroger sur le bonheur et les affects positifs : « Est-ce qu’ils précèdent les comportements engendrant le succès ? ». Enfin, la quatrième et dernière étude, la méta-recherche, consiste à croiser différentes études déjà réalisées en s’appuyant sur des mots-clés signifiants (émotions, bonheur, etc.) et réaliser une synthèse de la recherche existante sur le sujet.
« Le bonheur, c’est un état de fonctionnement optimal de l’individu. Optimal en terme émotionnel et cognitif », explique Alexandre Jost. « D’un point de vue neuroscientifique, quand un individu est stressé, il se réfugie dans son cerveau reptilien et a accès à trois états d’urgence : le combat, la fuite ou faire le mort. Il est une version diminuée de lui-même. »
Comment mesurer le bien-être au travail ?
Pour répondre à cette question, Ipsos a déterminé trois sujets concrets, dans son baromètre « Comprendre et améliorer le bien-être au travail », sur lesquels l’entreprise doit absolument travailler : le cadre de travail, l’attention et l’émotion.
Pour que le salarié parvienne à atteindre ce bien-être plein et entier tant recherché, il doit bénéficier d’un cadre de travail idéal. Outre la mise à disposition d’équipements et moyens matériels adaptés, « le salarié doit avoir une idée précise de ce que l’on attend de lui dans son travail », souligne Ipsos.
Cet épanouissement passe aussi par une attention marquée de la part de l’entreprise. « Le salarié doit se sentir considéré par sa hiérarchie. Il a besoin qu’elle se préoccupe de ses compétences mais aussi de sa formation. »
Si le contexte est favorable, il ressentira alors une émotion bien réelle à pousser la porte du bureau chaque matin, suscitée par « le plaisir de venir travailler », l’intérêt de la tâche confiée, « un environnement stimulant et une confiance quant à l’avenir professionnel au sein de l’entreprise ».
Une stratégie globale de l’entreprise
S’il veut favoriser cet état de bien-être chez ses salariés, l’employeur a tout intérêt à s’investir et proposer des améliorations concrètes à ses collaborateurs, dans le cadre d’une stratégie globale. « Les dirigeants doivent parvenir à identifier des leviers faciles à mettre en place, simples à animer à long terme et apportant de réels bénéfices aux collaborateurs », préconise l’association Mind.
Exemple à Saint-Grégoire, près de Rennes, où la société Médiaveille (130 salariés) – qui doit faire face à une forte croissance – soucieuse du bien-être de ses collaborateurs, a décidé de créer un poste de « Happyness Manager ». Tous les matins, Roxane Wallesch débute sa journée par une tournée de bises aux employés. « Mon job, outre la communication interne, consiste à gérer tout ce qui est corporate au sein de l’entreprise. Ainsi que les échanges entre la direction et les salariés. Olivier Méril, notre patron, a une philosophie : un salarié heureux, un client satisfait. »
Pour Alexandre Jost de la Fabrique Spinoza, « la morale de cette histoire est que le bien-être au travail ne peut se traduire par une performance que si l’entreprise s’engage avec sincérité et de manière systémique. Le bien-être doit faire partie de son ADN dans toutes ses composantes : gouvernance, ressources humaines, plan de formation, rémunération, etc. ». L’entreprise de conseil Mozart Consulting, qui a développé le concept d’IBET (Indice de Bien-être au Travail) estime que si on augmentait de 10% la qualité de vie au travail, alors on augmenterait le PIB de 1% en France. L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail évalue, elle, à 4% du PIB le coût du stress au travail.
Cyril Michaud