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Enracinée à droite, la capitale de l’Aube – reine de l’andouillette – se rêve en Silicon Valley, version Champagne-Ardenne…
Visite guidée.
L’Aube. Côté pile : des filières industrielles dans le rouge et un taux de chômage qui frôle les 12,5%. Côté face : une énergie, « un bouillonnement rare », selon Francis Bécard, directeur général de la technopôle de l’Aube en Champagne. « On est ici sur du neuf », note ce quinqua, véritable VRP du territoire aubois qui dirige également le groupe ESC Troyes (1800 étudiants en formation initiale). « Je retrouve dans l’Aube le même foisonnement d’idées, la même dynamique qu’à San Francisco ou qu’à Tel-Aviv ». Rien de moins !
« Sur du neuf », Troyes – ville incarnée depuis 18 ans par le chiraquien François Baroin (tout juste réélu avec 62,57% des voix au 1er tour !) – est en effet assise. « Avec la crise industrielle des années 80/90, nous avons dû réinventer complètement notre modèle », précise Francis Bécard. Exit les grandes usines textiles « à la papa », qui ont employé jusqu’à 40000 ouvriers et qui ont depuis (presque) toutes plongé. Aujourd’hui, à Troyes et aux alentours, on parle start-up, business angels, innovation appliquée et surtout… matière grise. Deux mots qui résument, veulent croire les caciques locaux, le nouvel ADN aubois.
Tapis rouge donc pour les profils ingénieurs, les doctorants… les cerveaux de la République et d’autres horizons. « Nous avons pris le pari de faire de la matière grise notre principal facteur de développement », explique Philipe Adnot, sénateur et président du Conseil général de l’Aube. Pari difficile alors que le département traîne toujours, concède-t-il, « la lourde reconversion de ses industries manufacturières ». Mais Troyes « joue désormais dans la cour des grands, veut croire quant à lui Dominique Lemelle, président de la CCI de l’Aube. Nous sommes sur tous les dossiers de nouvelles implantations : rien ne nous échappe ». Et quand ses équipes ferrent un investisseur, « elles s’en occupent à fond ! On ne lâche rien ! »
Sa mue, Troyes la doit aussi – et surtout – à sa nouvelle dynamique universitaire portée par la technopôle (70 hectares), le groupe ESC (qui a également intégré une école supérieure de design) et son université de technologie – des établissements sortis de terre il y a une vingtaine d’années à peine. « Aujourd’hui, 50% de nos étudiants ont un niveau master ou plus », place Francis Bécard. Quand l’Aube sort de l’ombre… « Nous sommes encore petits mais je ne crois pas à la notion de taille critique. Ici, nous avançons tous en rang serré : il n’y a pas de compétition entre nous. Nous n’avons qu’une seule ambition : innover ; nous démarquer. ».
Guichet unique
Mieux que les autres territoires… C’est en substance le slogan aubois pour attirer les porteurs de projets. Et derrière cette promesse, une botte secrète : une seule et unique plateforme d’aide à l’implantation – baptisée Aube Développement – en place depuis 1993. « Une première en France », commente Dominique Lemelle, président de la CCI locale (qui revendique plus de 9000 ressortissants) qui en assure historiquement le pilotage et la gestion. Et l’homme – à la tête du groupe Lemelle, leader français de l’andouillette de Troyes – de vanter la « rapidité, l’efficacité » des équipes de ce guichet unique (doté d’un budget annuel de près de 700000 euros) et surtout leur « très grande discrétion » vis-à-vis des entreprises souhaitant s’implanter dans le département. A bon entendeur.Paris en ligne… de mire
L’Aube, véritable carrefour autoroutier (avec l’A5 et l’A26) aux portes de l’Île-de-France, est-elle dans l’influence de Paris ? « Il y a une dynamique Troyes-Paris », préfère-t-on nuancer à la CCI du département. Un cordon économique historique. De fait, les deux territoires partagent un cours d’eau – la Seine – qui arrose Troyes (placée à 1h50 de Paris en voiture) et sur lequel transitent des milliers de tonnes de céréales depuis le Port de l’Aube à Nogent-sur-Seine, 2e port céréalier français. A terme, dixit le département, « la future liaison Seine Nord Europe permettra de relier, par voie fluviale, Nogent-sur-Seine à tous les ports du nord du Vieux Continent (Anvers, Rotterdam, Amsterdam…) ».
La ville de François Baroin aimante également des écoles du bassin parisien qui y créent sur place des cursus sur mesure ; façon de diversifier et d’étendre leur offre de formations. C’est le cas de l’Ecole polytechnique féminine (créée en 1925, mixte depuis 20 ans), qui a accueilli à Troyes sa première promotion d’élèves d’ingénieurs à la rentrée 2010 sur le site de l’université de technologie (UTT). Ces élèves peuvent également s’adosser à l’école doctorale de l’UTT pour une thèse. Idem pour Supinfo qui s’est installé en 2012 au cœur du pôle tertiaire de la ville.
Plug & Start
Nom et signature du séminaire annuel dédié aux « entrepreneurs innovants », organisé sur la technopôle de Troyes (plus de 500 salariés sur le site). Le principe : détecter les meilleurs porteurs de projets, leur « donner un coup de pouce » et pour certains les accompagner dans leur implantation locale. « Nous sommes capables de lever jusqu’à 300, voire 400000 euros », relève Francis Bécard. Créé en 2002, ce rendez-vous a déjà récompensé près de 400 projets sur toute la France (sur 5000 candidatures). Consécration : le programme a été reconnu par le réseau EBN parmi les 15 meilleures pratiques dans le domaine de l’aide à l’entrepreneuriat innovant en Europe. Ce séminaire a été renforcé en 2009 avec la création d’un Plug & Start Campus qui permet l’incubation sur place, au sein d’un Young Entrepreneur Center, de jeunes pousses créées par des étudiants.
« Truffe rouge »
La pépite de l’Aube ! La « truffe rouge », la betterave. Cette racine comestible avec laquelle le groupe coopératif Cristal Union – à Villette-sur-Aube – produit chaque année 150000 tonnes de sucre cristallisé et…1,5 million d’hectolitres d’alcool ! De quoi faire travailler (et trinquer) dans les plaines auboises plus de 1500 exploitations agricoles. L’Aube des champs est également dans le top français pour son orge que le groupe Soufflet (849 salariés, 5e entrepreneur du département) transforme en malt. Malgré tout, le secteur strictement agricole ne représente plus que 5,9% des emplois sur l’ensemble du territoire aubois.
Attractivité
La capitale de l’andouillette ne caracole pas dans le peloton de tête des territoires les plus prisés par les cadres en manque de vert. Elle est même classée 32e – juste devant Limoges et derrière Le Havre – au dernier palmarès de l’Express sur l’attractivité des villes et territoires urbains français. Qu’importe, la cité est indiscutablement plus dynamique qu’il y a 20 ans… Son agglomération (plus de 130000 habitants) connaît d’ailleurs une poussée démographique inédite et « unique en Champagne-Ardenne », note Philippe Adnot. Une croissance qui contraste de fait « avec la situation des autres agglomérations de la région, en baisse démographique parfois prononcée », confirme l’Insee sur place. La zone d’emploi de Troyes rassemble désormais 20% des emplois cadre de Champagne-Ardenne. La ville et ses environs devraient également capter cette année près du quart des projets de recrutements dans la région…
Tissu économique
La carte du made in Aube
Effet Montebourg ? Le territoire surfe sur la vague du savoir-faire local en redonnant un coup de lustre à son industrie du textile-habillement, ravagée par des décennies de crise. Pas si simple.
Une filière en panne, balayée par le vêtement low cost fabriqué à l’autre bout du monde : en Chine, au Vietnam, au Bangladesh. La coupable : la mondialisation… qui ici a fait des ravages. Sur l’ensemble du département, l’industrie du textile n’emploie plus que 3000 personnes (contre 7500 en 2001). Une lente et persistante érosion. « Entre 2001 et 2007, le secteur du textile-habillement, fortement concurrencé par les pays émergents, connaît dans l’Aube la plus forte baisse de l’emploi, avec une perte nette de 3500 salariés », précise une récente étude de l’Insee. Le sénateur Philippe Adnot se souvient pourtant d’une « époque où tout le monde avait dans sa famille au moins un salarié de l’habillement ». Epoque révolue ? Pas sûr. Car même si « la dynastie du textile d’autrefois n’existe plus », comme le souligne Francis Bécard, de la technopôle Aube en Champagne, nombreux sont ceux qui veulent croire au renouveau du label « made in Aube », auquel s’accrochent les marques Devanlay et Petit Bateau (1), dont les usines sur place tournent toujours à plein régime. Petit Bateau vient même de décider la construction de son nouveau centre mondial de distribution. Un bâtiment de 50000 m² au cœur du nouveau parc logistique de l’Aube. Des créateurs parisiens pourraient également opter pour la carte du « made in Aube », à l’instar de Stéphane Marchand – dirigeant de Wouwouleloup – qui vient d’y installer une partie de sa production de vêtements pour nouveau-nés.
¹ Respectivement 2e et 3e employeurs industriels du département après EDF (d’après la CCI Champagne Ardenne)
Pierre Tiessen