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La pétillante

Durement frappée par la crise, l’agglomération rémoise se cherche un nouveau modèle de croissance en jouant notamment sur sa proximité avec Paris. Pour ainsi devenir une sorte de 21e arrondissement – beaucoup plus abordable celui-ci – de la Ville Lumière. Décryptage.

Un taux de chômage qui a flambé depuis 2008 (passant de 7,5% à près de 12%), un solde migratoire dans le rouge¹ et un vieillissement de la population devenu inquiétant… Le territoire rémois – champenois plus largement – est de ceux qui a subi de plein fouet les secousses d’une crise globale, qui n’a par ailleurs épargné aucune région limitrophe. Plus de 1000 entreprises locales (majoritairement des PME) ont ainsi coulé sur l’année écoulée. De quoi plomber la destination Reims !

Et pourtant… « Nous avons tout pour plaire », plaide le président de la CCI Reims-Epernay. Et Jean-Paul Pageau de souligner l’importance et « la réactivité » du bassin d’emploi local, le rayonnement de l’AOC Champagne – « ambassadeur du territoire » –, la qualité des infrastructures routières (avec l’A34 et l’A6), le TGV, la zone d’activités de Reims-Bezannes ou encore le nombre de formations et écoles post-Bac reconnues

La stratégie du territoire ? Inciter les entreprises à faire le choix de Reims, placée à 30 minutes en train de l’aéroport Charles-de-Gaulle, et alors s’imposer comme « la banlieue privilégiée de Paris », insiste-t-il. « S’implanter à Reims permet aux entreprises d’économiser en frais de structure et de fonctionnement un million d’euros par tranche de 100 salariés par rapport à Paris », détaille Jean-Yves Heyer, directeur général de l’agence de développement économique Invest in Reims créée en 2003 et qui a depuis aidé à l’installation locale de près de 160 sociétés. Taxi G7, ING Direct, Henner et dernière implantation en date, le japonais Yanmar (géant de la pelleteuse avec 6,5 milliards de chiffre d’affaires)… Ils ont fait le choix de Reims pour y installer leur relais France ou d’importants centres d’appels.

L’agglomération cherche à imprimer une vraie dynamique de reprise, malgré « la faiblesse du réseau de PME local », confesse Thierry Stadler, directeur du pôle de compétitivité IAR. La densité de recherche croissante pourrait changer la donne : trois nouvelles chaires s’y sont implantées, avec l’arrivée récente de AgroParisTech et École centrale Paris. Deux écoles parisiennes d’excellence. Reims, dans l’aspiration de la première ville de France….

¹ L’Insee estime que près de 80000 habitants, sur un total de 1,25 million, auront quitté la région Champagne-Ardenne en 2030.

La Chine, oui. Mais à quel prix ?

Missions de prospection sur place, rencontres d’affaires, journées d’information… Le « pack des entreprises rémoises » – porté par la CCI locale et la région Champagne-Ardenne – sonde à tout prix le marché chinois. Efficace ? Pas sûr.

Chengdu, capitale de la province chinoise du Sichuan. Aujourd’hui, l’un des principaux moteurs de la croissance de la deuxième puissance économique mondiale… C’est ici, sur les premiers contreforts du Tibet, que la région Champagne-Ardenne a ouvert – il y a plusieurs années déjà – un bureau de représentation à plein temps. Sa mission : faciliter les rencontres avec les officiels et hommes d’affaires chinois et, in fine, participer à « l’internationalisation » du territoire. Les résultats concrets ? « Insuffisants », tacle sur place un entrepreneur français installé de longue date. Pour preuve, la ligne aérienne de fret – inaugurée en 2012 – entre l’aéroport international de cette mégapole chinoise de 12 millions d’habitants et celui de Paris-Vatry dans la Marne voisine, a très vite fermé. Une ligne qui représentait pourtant « une chance extraordinaire donnée aux produits français et champardennais de s’exporter », comme le notait alors à l’époque Jean-Paul Bachy, président du conseil régional. La faute à « la chute du volume de fret échangé entre la Chine et l’Europe », analyse le portail spécialisé WK transport-logistique. Peut-être, mais une chose est sure : aucune entreprise rémoise n’est pour l’heure implantée à Chengdu, ville certes prometteuse mais isolée des principaux centres d’importation chinois. En vérité, peu de « PME françaises sont taillées pour cet environnement si spécifique, qui demande de lourds investissements », estime le même entrepreneur tricolore sur place. Et même si fin octobre une poignée d’entreprises de Champagne-Ardenne ont participé au forum PME France-Chine à Chengdu, les retours concrets de cette opération risquent de se faire attendre.

Ce grand « nulle part »

Assurément, Reims souffre d’un certain « complexe géographique ». Peu d’ensoleillement, aucun littoral, pas de relief… « Nous sommes un peu nulle part », reconnaît volontiers Jean-Paul Pageau, président de la CCI. « Nous ne sommes pas à Nantes, encore moins à Bordeaux ou Grenoble… », énumère-t-il. Et il est sans doute « plus facile de vivre à Tours qu’à Reims ». Un « handicap de localisation » dixit, qui oblige les institutionnels locaux à phosphorer pour vendre auprès d’investisseurs étrangers la destination Reims. Ceux-là mettent notamment en avant la force du « made in France », comme les métiers de bouche. « Nous sommes la première agglomération gastronomique de France(1) », insiste Jean-Yves Heyer, de l’agence Invest in Reims. Place au marketing territorial, avec une formule globale : « Le soleil se lève à Reims », façon de casser l’image d’un territoire froid l’été, gelé l’hiver… « Il n’y a finalement qu’un écart de 1,8 degrés entre ici et Paris, précise Jean-Yves Heyer. Nous devons travailler sur nos points de faiblesse, notamment l’aspect météo. » Il n’empêche trop souvent encore, « les gens qui ne sont pas originaires de la région partent après quelques années, ils vont ailleurs », relève Jean-Paul Pageau. Reims est de fait généralement hors du Top 10 des villes les plus attractives de France, classement trusté par Bordeaux, Lyon ou encore Toulouse. Plus globalement, les migrations ne sont pas favorables à la région qui perd des habitants. L’agglomération rémoise est néanmoins plébiscitée pour sa qualité de vie par les 27000 étudiants qui y vivent. En dix ans, sa population étudiante « a augmenté de près de 3% », note ainsi une dernière étude comparative du magazine l’Etudiant. Des établissements d’enseignement Supérieur ont su se hisser dans les haut des classements nationaux, à l’exemple de NEOMA Business School, née de la fusion de Rouen BS et Reims BS. L’agglomération obtient son meilleur résultat en sport (3e au niveau national). « Elle peut se féliciter de son dispositif d’accueil des étudiants à la rentrée : la “Welcome Week”. Une bonne initiative à reproduire peut-être dans d’autres domaines… », précise l’étude. Et de conseiller « la mise en place d’une carte ou d’un chéquier culture, ainsi que d’un système de location de vélos qui permettrait probablement de rattraper les métropoles qui s’en sont dotées et lui sont passées devant »

Calculé en fonction du rapport nombre d’étoiles au Michelin/nombre d’habitants.

Vous avez dit « bio-économie » ?

Que faire de la betterave, de l’orge, du colza ? Du sucre, de la bière, de l’huile. Oui mais pas seulement. Dans l’agglomération rémoise, on cherche aussi à transformer ces produits alimentaires courants en bio-carburant, isolants ou nouveaux composites… C’est la « bio-économie », qui consiste à valoriser les agro-ressources et leur transformation industrielle ; le cœur de mission du pôle de compétitivité à vocation mondiale IAR, créé en 2005 au nord de Reims. « Nous sommes depuis impliqués dans la chimie du végétal et les biotechnologies industrielles », précise son directeur général adjoint Boris Dumange. Les enjeux sont, sur ces secteurs stratégiques, à l’évidence infinis. Depuis sa création en 2005, ce pôle à vocation mondiale a d’ailleurs labellisé pas moins de 170 projets, pour un montant total frôlant 1,4 milliard d’euros. Les défis du pôle ? Être reconnu comme le territoire de démonstration sur la bio-raffinerie et la valorisation des agro-ressources. La ville accueillait même fin septembre le congrès européen de la biotechnologie et de la bio-économie qui réunit chaque année 700 décideurs du secteur, dont des représentants de la Commission européenne, des industriels, des chercheurs, etc. « Les défis sont agricoles également. Il faut aujourd’hui être en mesure de produire mieux et davantage tout en diminuant l’empreinte environnementale », précise Thierry Stadler, directeur de l’IAR. Le pôle s’apprête à piloter un programme expérimental de culture dérobée de 110 hectares, sur une ancienne base aérienne. La filière est également renforcée sur le territoire par l’Agro-industrie Recherches et Développements (ARD) – structure de recherche privée mutualisée née dans les années 80 – compétente en particulier dans les domaines du fractionnement et de la raffinerie végétale.

Champagne !

Des petites bulles magiques qui font la réputation d’un vignoble d’excellence de quelque 35000 hectares. Une AOC qui pèse 4,4 milliards d’euros, soit près de 12% du PIB régional. Le Champagne… cet or liquide, mélange subtile de pinot noir, de meunier et de chardonnay, dont la production – en constante augmentation – est aujourd’hui établie à 380 millions de bouteilles environ, dont la moitié destinée à l’export. C’est véritablement « l’image de Reims et d’Epernay », insiste-t-on au syndicat général des vignerons de Champagne. Le secteur vinicole fait aujourd’hui vivre plus de 15000 champenois qui travaillent à la production ou à la commercialisation de ce vin effervescent, symbole du glamour à la française. Il est pourtant pour beaucoup « l’arbre qui cache la forêt ». « L’attractivité du territoire ne doit pas être réduite au Champagne », répète-on ainsi à Invest in Reims. Pour preuve : près de 20000 personnes travaillent dans la filière automobile. Filière reconnue puisque le japonais Akebono – spécialiste des systèmes de freinage – a signé début octobre un compromis de vente pour l’achat d’un terrain de 20000 mètres carrés sur le parc d’activités de Bezannes, dans l’agglomération de Reims. Il s’agira d’un centre de R&D destiné à développer de nouvelles pièces mécaniques de freinage et à gagner des parts de marché en Europe. Des parts de marché que les vignerons de la région cherchent également à maintenir. L’AOC pourrait de fait agrandir son aire de production (de quelques dizaines d’hectares seulement) afin de conforter sa place sur le marché particulièrement concurrentiel des vins effervescents.

La stratégie du nearshoring

Reims, destination low-cost pour entreprises franciliennes ? « Ce n’est pas le positionnement du territoire, rectifie d’emblée Jean-Yves Heyer. Nous sommes néanmoins compétitifs et attractifs pour des activités propres au nearshoring » – lesquelles consistent à délocaliser une activité économique, mais dans une autre région du même pays ou dans un pays proche (à la différence du offshoring). En d’autres termes : « Nous cherchons à développer l’activité tertiaire – type centres d’appels – à proximité de Paris ». Les avantages de cette option Reims ? Tous les institutionnels du territoire de vanter en premier lieu la stabilité et la qualité du bassin d’emploi local. « Il n’y a pas ou peu de turn-over localement », répètent-ils en chœur. Et l’argument fait mouche. L’agglomération a ainsi récemment « officialisé l’implantation d’un nouveau centre de gestion d’un courtier en assurances avec, à la clé, 150 emplois », comme le notait début septembre le site Le Monde Informatique. « Notre défi à terme est de marquer le territoire sur deux secteurs clés : les biotechs (voir ci-après) et les services, en développant en particulier le nearshoring », résume le même Jean-Yves Heyer.

Pierre Tiessen

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