Bordeaux, l’orgueilleuse d’avenir

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L’orgueilleuse

« La belle endormie » n’est plus… Bordeaux – qui fait la course dans le peloton de tête des métropoles les plus attractives de France – affiche une santé presque indécente. Les clés du succès ? Des filières « nobles » (vin, aéronautique, etc.), un maire « présidentiable » et aussi une (bonne) dose de marketing territorial.

Bordeaux… « LA » vitrine d’un Juppé-candidat à l’Élysée. Le Landais d’origine – réélu à l’hôtel de ville, le Palais Rohan, avec près de 60% des suffrages en mars dernier – y est véritablement « chez lui ». Il incarne en effet cette métropole réputée bourgeoise – longtemps repliée sur elle-même – devenue pourtant la locomotive du grand Sud-ouest français et que lorgnent aujourd’hui nombre de cadres parisiens qui rêvent de s’y poser. Pour eux, Bordeaux fait souvent figure de west coast idyllique « où l’on trouve du bon vin, des plages à proximité et une dynamique entrepreneuriale rare », soutient Pierre Goguet, président de la CCI locale.

La ville est même devenue celle en France où l’envie d’achat immobilier est la plus forte, selon une récente étude de meilleurstaux.com. Et son auteur de conclure : « Bordeaux confirme ainsi son statut de ville où il fait bon vivre ». L’agglomération a de fait « énormément changé en une décennie. Elle est devenue accessible à tous, ce qui n’était sans doute pas le cas avant », estime Pierre Goguet. Est-ce l’effet Juppé ? « Oui, mais pas seulement. » Cette mue, Bordeaux la doit d’abord à une politique de grands travaux menée tous azimuts et « voulue par tous », insiste-t-il. Densification du réseau de tramway, construction d’un pont supplémentaire franchissant la Garonne (Pont Levant), réhabilitation des quais, etc. : la ville est méconnaissable et n’a plus rien à voir – ou si peu – avec celle des années Chaban-Delmas – l’autre « grand homme » qui régna sur Bordeaux pendant près de… 50 ans ! Cette nouvelle dynamique, le territoire l’a créée en s’appuyant également sur des filières régionales d’excellence comme l’aéronautique, le spatial, la défense… En matière de rayonnement scientifique, l’ensemble du territoire – autrefois peu reconnu – a rattrapé son retard, « en moins de dix ans » précise la revue économique locale Objectif Aquitaine. « D’une région spécialisée dans l’agriculture et la biologie fondamentale, l’Aquitaine est devenue en 2010 une région dans laquelle les domaines de spécialisation ont évolué, notamment en matière d’instrumentation et des sciences pour l’ingénieur. Ainsi, les publications scientifiques ont augmenté de 25%. » De 2000 à 2010, le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur a par ailleurs explosé : « + 17%, la plus forte à l’échelle nationale ». Restent malgré tout, les impacts – parfois violemment ressentis – d’une crise globale qui n’a pas épargné la ville. Bordeaux affiche un taux de chômage de plus de 10% (contre 7,5% en 2008), avec un bond de plus de 7% sur un an….

Infrastructures ferroviaires

Aux portes de la « Banane bleue »

Isolée géographiquement, la capitale d’Aquitaine joue une course contre la montre pour se placer à deux heures de Paris et à un jet du grand « couloir » européen des affaires, densément peuplé, qui relie Londres à Milan. Au cœur de ce défi hors norme : une nouvelle ligne LGV, prévue en 2017.

Il s’agit du plus grand chantier ferroviaire européen. Rien de moins. Une nouvelle bande de 340 kilomètres entre Bordeaux et Tours, dont la construction a débuté en 2011. Cout total de l’opération : près de 8 milliards d’euros – vertigineux ! Le prix à payer pour placer la gare de Bordeaux-Saint Jean et celle de Paris Montparnasse à 2h08 de TGV (contre 3h15 actuellement). En parallèle, un établissement public d’aménagement de plus de 700 hectares – baptisé Euratlantique – se construit au centre de la ville, au bord de la Gironde, permettant à terme de proposer près de 15000 nouveaux logements et 500000 m² de bureaux neufs. « Il est fondamental de nous rapprocher des sièges sociaux des grandes sociétés, dont pratiquement aucun n’est installé à Bordeaux », plaide le président de la CCI locale. La « Perle d’Aquitaine », ville d’eau, joue donc à fond la carte du ferroviaire. « Nous avons un port en sommeil (3) ; nous vivons dans la nostalgie d’un Bordeaux maritime », regrette au passage Pierre Guoguet. Idem pour « la rocade que l’on promet à trois voies… Cela traine », tacle-t-il. À bon entendeur.

³ Le Grand port de Bordeaux est classé 9e port français, avec un trafic maritime évalué en 2012 à 8,2 millions de tonnes (contre 3,3 millions pour Bayonne, 2e port régional)

So (French) Tech

C’est dans le numérique – aussi – que se joue l’image du territoire bordelais. Rien d’étonnant donc à que les équipes d’Alain Juppé – Virginie Calmels en tête, ex-Dg d’Endemol Monde, « recrutée » et propulsée nouvelle adjointe au maire – aient récemment phosphoré pour décrocher le fameux label « Métropoles French Tech ». Label qui permet notamment, promet-on, une visibilité maximale à l’international. Impossible donc de passer à côté. Et pour cela, Bordeaux sort le grand jeu et les grands chiffres. « Nous allons créer 25000 emplois dans le numérique d’ici à 2030 », lançait ainsi au sortir de l’été la nouvelle adjointe en charge de l’économie. Déjà, la filière des TIC et du numérique génère sur l’ensemble de l’agglomération quelque 23000 emplois concentrés principalement au sein de clusters comme Bordeaux Games et TIC Santé. Et le quotidien online La Tribune d’énumérer : « Cdiscount, numéro un français de la vente en ligne, côtoie Immersion, leader européen des technologies 3D immersives et collaboratives pour l’industrie, Concoursmania, leader européen des jeux concours en ligne ou encore Asobo, premier studio indépendant de jeux vidéo de l’Hexagone – Bordeaux étant la troisième ville française pour les jeux vidéos. » Si Bordeaux est retenue – ce qui semble être aujourd’hui quasiment acquis – la ville pourra alors s’appuyer, comme les autres métropoles lauréates, sur 200 millions d’euros investis par l’État dans des initiatives privées pour accélérer la croissance des entreprises numériques françaises.

Pins fragiles

L’Aquitaine, c’est avant tout des forêts entières de pins dont le territoire est couvert à plus de 40% (contre une couverture forestière de 30% pour le reste du pays). En tout, la filière emploie plus de 15000 salariés dans la région dont les tâches au quotidien vont de l’entretien de plantations privées, à la découpe/transformation du produit brut en passant par la R&D grâce à une filière de recherche dynamique (INRA, université de Pau et liens académiques avec l’école nantaise ESB bois). « Notre principal défi est avant tout de conserver ces emplois, relève Nicolas Langlet, dirigeant de Xylofutur, le pôle de compétitivité aquitain spécialisé bois et biomasse à Gradignan. Mais on sait que l’on va en perdre. » Car le secteur « souffre » et le pin s’est raréfié. « À la suite de la tempête Klaus, qui n’a laissé que 79 millions de mètres cubes sur pied alors que le stock initial était de 115 millions, la pression sur la ressource en pin maritime s’est renforcée, précise un récent article du journal Sud-Ouest. Le prix du bois a augmenté et ses usages se sont diversifiés, ce qui pose la question de l’avenir des activités traditionnelles de la filière. » À cela s’ajoute la concurrence directe de marchés « low cost ». « Il faut aider les entreprises régionales à être plus performantes sur leur positionnement et leur stratégie », tranche Nicolas Langlet. Et pour certaines, la nécessité est de « se réorienter ». Sous peine de disparaitre complètement.

La tête dans les étoiles

EADS, Thalès, Dassault, Turbomeca… Autant de « pépites » bordelaises qui brassent des milliards et font de la région (avec celle de Toulouse), l’épicentre européen de l’aéronautique et du spatial. Des filières d’excellence qui drainent localement, énumère-t-on à la CCI, pas moins de « 630 établissements, 34700 salariés, dont 14600 salariés directement affectés aux commandes aéronautiques et spatiales chez 28 donneurs d’ordres… ». Un secteur « très innovant et très technique, mais aussi très prudent », relève Agnès Paillard, présidente du pôle de compétitivité Aerospace Valley à Bordeaux(2), qui compte 750 adhérents, dont 450 PME. Une prudence qui impose la validation de chaque processus : « Le périmètre de certification touche l’ensemble des machines », – même les plus petites – utilisées en usine. Conséquemment, « l’effet d’entrainement entre les grands groupes du secteur et les jeunes pousses, type PME, n’est pas toujours évident », commente cette « ex » de l’ESCPI Paris Tech, par ailleurs présidente du conseil d’administration de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Les enjeux de la filière ? Développer un rôle de « passeur » sur d’autres secteurs et ainsi ouvrir le marché. « On ouvre des champs de recherche sur des applications – comme les drones par exemple ou les services autour des satellites – qui pourraient trouver preneur dans le bâtiment, l’agriculture, la santé… ». En d’autre termes : « Rendre compréhensibles au plus grand nombre les données spatiales pour offrir de nouveaux services » et ainsi rentabiliser la filière. L’aéronautique pèse pour 10% de l’emploi salarié en Aquitaine et se classe au 3e rang national derrière Midi-Pyrénées et l’Île-de-France.

² Ce pôle de compétitivité mondial associe les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine.

In Bordeaux veritas

Cheval Blanc, Ausone, Petrus… Autant de domaines viticoles prestigieux dont la production – trustée par une nébuleuse de négociants – s’arrache à prix d’or, de Hong-Kong à New York… Car Bordeaux la ville, c’est avant tout à l’étranger un nom générique désignant des bouteilles légendaires et un certain luxe à la française. Le vin… « Assurément, notre meilleur ambassadeur », reconnait volontiers Pierre Goguet. L’AOC Bordeaux, qui « court » du Médoc à Sauternes, pèse encore plus de 15% du PIB du territoire. La région est, avec la Bourgogne, la première région viticole de France en valeur, avec plusieurs milliards d’euros générés chaque année. Un poids renforcé grâce à la demande chinoise qui a bondi de près de 170% depuis 2006(1). Et pour continuer à vendre cette image de marque aux quatre coins du monde : une machine de guerre baptisée Vinexpo, salon international de la filière viticole, véritable vitrine du « Bordeaux, capitale mondiale du vin », en place depuis 1983. Un rendez-vous incontournable – qui se tient alternativement entre Bordeaux et Hong Kong – et dont la dernière édition en 2013 a attiré plus de 2400 exposants et 50000 visiteurs. A noter que les vins de Bordeaux sont en train de lancer une grande campagne internationale d’affichage dans sept pays prioritaires, dont la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou la Chine). Les panneaux sobres et suggestifs vont en appeler au côté poétique de la dive bouteille.

¹ Ces ventes (vins et spiritueux bordelais) en Chine ont toutefois accusé un recul de 28% au premier semestre 2014, conséquence de la campagne anti-corruption menée par le régime chinois.

À l’heure rugby

À Bordeaux, la terre serait-elle ovale ? Une chose est sure : le rugby y gagne du terrain. Chaque match de l’Union Bordeaux Bègles (UBB, meilleure attaque du Top 14 l’année dernière) fait en effet déplacer près de 20000 fans (presque autant que le FC Girondins !). Une revanche pour ce club qui a longtemps évolué en Pro D2 avant son retour parmi l’élite française en 2012. L’UBB – dotée d’un budget de 16 millions d’euros et présidé par Laurent Marti, ancien junior au Stade Toulousain – draine derrière lui des dizaines d’entreprises locales, type PME, qui « vivent » du rugby et des retombées économiques du club. Un président qui vient d’annoncer vouloir accélérer la croissance de l’UBB, « en convainquant trois ou quatre joueurs de haut calibre de nous rejoindre ».

Pierre Tiessen

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