Grenoble, l’innovation sanctifiée

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Avec son centre du CEA et quantité de laboratoires et multinationales spécialisés dans l’industrie numérique, les biotechs et les nouvelles technologies de l’énergie, la capitale des Alpes est l’un des premiers bassins d’emploi en France dans la recherche.

Et compte le rester.

Grenoble, blottie aux pieds des massifs du Vercors, de la Chartreuse et de la chaîne de Belledonne… Pays de la glisse l’hiver, paradis pour randonneurs en saison estivale. Et c’est dans ce décor de haute montagne que cette ville – autrefois réputée pour son industrie hydroélectrique – vient de se hisser à la 5e place des villes les plus innovantes au monde, d’après un dernier classement de la revue américaine Forbes(1). La capitale des Alpes, cité natale de Stendhal (150000 habitants aujourd’hui), devance ainsi Stuttgart et Boston. Incroyable ! « Ce n’est pas une surprise, rétorque pourtant Catherine Candela, directrice du pôle de compétitivité local Tenerrdis spécialisé dans les énergies décarbonées (180 adhérents, dont 58% de PME). La ville a toujours été portée par l’innovation et la technologie. Depuis la création du pôle en 2005, nous avons labellisé plus de 230 projets de recherche et développement collaboratifs et démonstrateurs », pour un budget global de 1,6 milliard d’euros.

D’autres chiffres viennent conforter cette position qui fait de Grenoble un territoire d’exception pour l’innovation scientifique : son agglomération – 1er pôle de recherche publique du pays après l’Île-de-France – recense 220 laboratoires publics, compte près de 25000 chercheurs, 62000 étudiants et abrite quatre pôles de compétitivité. « Grâce à cet écosystème ultra performant et à la présence de multinationales (STMicroelectronics, Schneider Electric, HP, Xerox, Alstom, Air Liquide, etc.), le territoire est leader sur la recherche en microélectronique et nanotechnologies », confirme Gérard Matheron, directeur du site industriel de STMicroelectronics à Crolles, aux portes de Grenoble (6000 emplois directs, 18000 emplois indirects et plus d’un milliard d’euros de dépenses annuelles sur l’agglomération). Et de vanter l’effet d’entraînement et « la chaîne de valeur technologique » unissant ces grands groupes et la myriade de PME locales qui les accompagnent. « Nous avons adopté un modèle inspiré de la Silicon Valley, qui a percolé auprès des PME. Ici, tout le monde se connaît. Nous sortons tous des mêmes écoles, ce qui crée de la fluidité dans les échanges », soutient ce diplômé de Grenoble INP où sont formés la grande majorité des patrons de l’agglomération.

Une proximité qui favorise des évènements comme le Forum 4i® (Innovation, Industrie, Investissement, International), dont la 17ème édition consacrée à la Silver Economy aura lieu le 22 mai au centre de Congrès du WTC, réunissant investisseurs, acteurs de l’innovation et start-up qui ont levé 600 millions d’euros depuis le début.

Grenoble, sûre d’elle ? Jean Vaylet, président de la CCI qui représente 30000 entreprises en Isère, préfère évoquer un modèle de rupture, qui repose sur « un puissant esprit d’équipe et de solidarité ». « Nous avons été les précurseurs des pôles de compétitivité », soutient-il. Résultat : « la ville a créé une dynamique », que beaucoup envient – même à Lyon, le poumon économique régional. Sans oublier l’empreinte des « trois Louis » rappelle Catherine Candela, qui ont façonné le paysage universitaire grenoblois et poussé la ville vers la recherche et l’innovation : deux professeurs, Louis Néel, Louis Weil, et un industriel, Paul-Louis Merlin (co-fondateur de Merlin Gerin, fleuron local racheté en 1992 par Schneider Electric). « Sans eux, la ville ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui… ».

Le CEA, tête de pont du « modèle grenoblois »

Que serait Grenoble sans son centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui emploie localement près de 5000 personnes ? Cette institution – intégrée à la ville depuis 1956 à l’initiative du prix Nobel de physique Louis Néel – est de fait « un acteur incontournable du transfert des compétences vers les entreprises et les universités », souligne Jean-Charles Guibert, son directeur valorisation. Ce centre, qui consacre l’essentiel de ses recherches au développement des nouvelles technologies, s’inscrit ainsi au cœur du fameux « modèle grenoblois » (qui repose sur le triptyque recherche/universités/entreprises). « Le CEA a une capacité d’innovation énorme et travaille avec l’ensemble des entreprises du territoire », reconnaît volontiers Gérard Matheron, de STMicroelectronics. A l’origine des deux tiers des brevets déposés chaque année par le CEA (plus de 800 en 2013), le centre de Grenoble est notamment très présent dans le pôle de compétitivité Minalogic qui regroupe près de 200 entreprises, 12 centres de recherche et 15 collectivités territoriales.

Future métropole (isolée ?)

« Nous venons d’obtenir le statut de Métropole pour 2015 », se félicite Jean Vaylet, de la CCI Grenoble. Un nouveau découpage mariant une cinquantaine de communes, qui devrait donner l’opportunité, espère l’élu – ancien président du Medef Isère –, « de mettre à plat toutes les structures d’animation existantes ». En d’autres termes : de rationaliser l’offre d’animation tout en continuant à drainer autant d’investissements étrangers (à l’instar de HP ou de Carterpillar France basés à Grenoble et alentours). Un défi alors que le territoire grenoblois, certes attractif, souffre d’un problème d’accessibilité depuis Paris (plus de trois heures de train) et peine à garder ses start-up qui préfèrent parfois rejoindre Lyon, mieux connectée. Une urgence, selon Jean Vaylet : mettre en place dès maintenant une vision du territoire pour les vingt prochaines années et surtout, « raisonner en englobant l’ensemble de la région ».

Des montagnes d’or blanc

Le territoire grenoblois sait également capitaliser sur les activités liées à la glisse et développer une véritable industrie des sports d’hiver. Transport par câble (avec l’entreprise iséroise Poma), aménagement et sécurisation des domaines skiables (groupe MND, leader mondial dans ce domaine) ou encore fabricants de ski (Rossignol et Dynastar)… Ces fleurons, malgré une crise du secteur et une forte concurrence des autres « pays montagne » (Suisse et Autriche notamment), génèrent localement plusieurs milliers d’emplois… et innovent. D’autres se sont installés sur le site de Alpespace, à 50 km de Grenoble, en Savoie – cluster de 150 entreprises (1900 salariés), dont près de la moitié ont une activité liée à la montagne (fabrication d’infrastructures, équipements, tourisme, institutionnels, R&D, formation, test produits, showrooms, etc.).

Handicap et accessibilité

Grenoble est la première ville française en accessibilité, devant Nantes et Caen. Une place qu’elle doit au projet Inovaccess, mené de 2010 à 2013, dont l’objectif « est d’offrir à toute personne, quel que soit son handicap ou sa déficience, une accessibilité totale et continue, de la cité à l’entreprise, sur un territoire urbain à forte densité d’emploi. » Initié par l’Agefiph et doté d’un budget de trois millions d’euros pour son volet entreprise, ce dispositif offrait notamment la possibilité d’aider à financer (à hauteur de 70 M du coût global et dans la limite de 150000 euros par entreprise) les travaux correctifs d’accessibilité dans l’entreprise pour les personnes handicapées. Une initiative unique en France.

Un campus d’innovation de rang mondial

Nom de code : GIANT, pour Grenoble Innovation for Advanced New Technologies. Ce campus réunit sur un même site organismes d’enseignement supérieur, laboratoires de recherches et entreprises. En tout, 11000 emplois ; et plus de 20000 à terme, dans 15 ans. Un projet urbain entoure par ailleurs le projet GIANT, afin de créer un nouveau quartier de vie, la Presqu’île. « Ce projet représente 1,3 milliards d’euros d’investissements, financés notamment par les collectivités, l’Etat, les entreprises et les universités », précise le maire de Grenoble Michel Destot (cf. verbatim, ci-après). Autre projet d’envergure : le programme Nano 2017, financé par l’Etat (600 millions d’euros), l’Union Européenne (400 millions d’euros), les collectivités (100 millions d’euros) et STMicroelectronics, plus important contributeur avec 1,5 milliard d’euros investis sur cinq ans. L’objectif de cet ambitieux programme, lancé par Jean-Marc Ayrault à l’automne dernier, est « de conforter le pôle industriel isérois parmi les cinq leaders mondiaux de la filière microélectronique, en développant des technologies alternatives sur les matériaux », confie le premier magistrat de la ville.

Investissements publics en recherche

Maigres retours ?

Grenoble est la commune de Rhône-Alpes qui finance le plus ses pôles de compétitivité, pour un total de trois millions d’euros par an. Trop généreuse ? Son maire Michel Destot (PS), qui ne brigue pas de 4e mandat en mars mais soutient son adjoint Jérôme Safar lancé dans la course, s’explique.

« Les enjeux de la recherche ne se mesurent pas uniquement en termes de rentabilité, qui est de surcroît souvent compliquée à mesurer, a fortiori sur le court terme. C’est aussi une question d’emploi – sur le bassin grenoblois, la recherche représente près de 28000 emplois – comme de progrès de la science. Et d’autres retombées doivent aussi être mesurées.

Par exemple, Grenoble compte cinq centres de recherche internationaux, dont le Synchrotron et l’ILL (Institut Laue-Langevin), qui attirent chaque année quelque 8500 chercheurs. Ce sont autant de personnes, et parfois leurs familles, qui vont vivre à Grenoble quelques temps, y consommer, voire peut-être décider d’y revenir pour skier l’hiver ! Et au final, c’est aussi un retour sur investissement. Bien sûr, l’ultime rentabilité est le transfert technologique, du laboratoire jusqu’au marché. Et Grenoble a connu certains succès en la matière, par exemple avec les sociétés Corys, Sofradir ou encore Soitec. Sur ce point l’un des plus grands enjeux réside dans la capacité à mobiliser des investisseurs, comme nous le faisons chaque année avec le Forum 4I ».

Pierre Tiessen

¹ « World’s 15 most inventive cities », Forbes, juillet 2013 palmarès qui prend en compte le nombre de brevets pour 10000 habitants (7,69 dans le cas de Grenoble)

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