Temps de lecture estimé : 3 minutes
Singing in the RENNES
La métropole bretonne – historiquement ouverte sur l’Atlantique – pointe dans le peloton des territoires français les plus attractifs. Ses lignes de force : un ADN profondément régional, un secteur agroalimentaire performant et une filière numérique en plein boom…
Rennes… de nuit : les soirées (rythmées et festives) de ses « Transmusicales » et une rue célèbre, dite « de la soif »… De jour : un bassin de plus 350000 emplois et un taux de chômage de référence (8,8%, l’un des plus bas au niveau national). « Et ce malgré un contexte conjoncturel difficile ; nous étions à un taux de 7,1 % en 2011, rappelle Carole Lossouarn, directrice du développement économique à la CCI de Rennes. Nous avons en effet subi après-coup les secousses de la crise économique de 2008. Et nous les subissons encore aujourd’hui. »
Le territoire présente néanmoins de réels signes de résilience. Les services (conseil, gestion-marketing, télécom, numérique, éducation-santé-action sociale, activités financières et immobilières) demeurent ainsi des moteurs essentiels de l’économie locale. Croissance qui repose globalement sur un accroissement des services aux entreprises. Le tissu industriel, hormis le secteur automobile, résiste quant à lui plutôt bien à la conjoncture, « sous l’impulsion notamment de l’agroalimentaire », précise une note de synthèse émanant de la Métropole. Et de prévenir : « La vigilance s’impose toutefois. Il reste ainsi urgent de soutenir l’activité économique et d’optimiser le potentiel d’innovation et de recherche présent sur le territoire. » Décryptage..
Rennes/Nantes
Jumelles ou rivales ?
Les deux locomotives du « Grand Ouest » se livrent une bataille sourde et courtoise pour imposer chacune leur leadership régional.
Tous pour un… et chacun pour soi. A Rennes comme à Nantes, on veut bien jouer « collectif » mais dans l’intérêt aussi (et avant tout souvent) de son propre territoire. « Il y a forcément un challenge entre nos deux villes », reconnaît Loïc Jézéquelou. Plus peuplée, Nantes gagne la bataille du chiffre d’affaires. « Ses plus de 12000 entreprises ont dégagé une activité totale de 37,33 milliards d’euros en 2012, soit plus que les 23,93 milliards engendrés par les quelque 10700 entreprises implantées à Rennes. Mais au final, le chiffre d’affaires moyen est, à 700 euros près, le même : 222114 euros à Nantes contre 222814 euros à Rennes », détaille ainsi la revue Capital. Et le cas OVH de cristalliser ces luttes d’influence sur le terrain. Cet hébergeur digital a en effet cherché en 2014 à s’implanter sur l’une des deux villes. « Ils nous ont alors proposé un défi commun avec Nantes : trouver les meilleurs profils d’ingénieurs et techniciens, relève Loïc Jézéquelou. L’entreprise OVH se serait alors implantée sur le meilleur des deux territoires ». Match ex-aequo pour finir : après des mois de tergiversation, OVH a finalement opté pour une double localisation, sur Nantes… et sur Rennes.
L’atout « agro »
Qu’il soit laitier, céréalier ou animal, le secteur agroalimentaire structure fortement l’économie du bassin rennais. Il s’est même imposé comme levier de croissance de substitution face à la lente et inexorable « désindustrialisation du territoire », comme le rappelle Carole Lossouarn, de la CCI de Rennes. Réalité que reflète la situation locale du groupe PSA, qui employait dans son usine de Rennes-La Janais plus de 12000 personnes « il y a seulement quelques années », contre 4500 aujourd’hui… « On constate depuis 2011 une baisse sensible des emplois industriels, de l’ordre de 13%, compensée par un pic de croissance de 25% dans les emplois agricoles. » Le secteur « agro » (qui englobe également le machinisme agricole) pèse désormais plus du quart de la masse salariale de l’ensemble du bassin d’emploi local. Mais dans les exploitations, l’enjeu du renouvellement se pose à court terme. « D’ici à dix ans un tiers des exploitants agricoles du territoire rennais vont partir en retraite », relève ainsi une dernière étude de Codespar (Conseil Développement Economique Social Pays de Rennes).
« Breizh » Tech
Résolument bretonne, Rennes est aussi et « avant tout européenne… et europhile », insiste Carole Lossouarn, directrice du développement économique à la CCI locale. Et avec ça, profondément « technophile ». La métropole s’est de fait lancée « à corps perdu », souligne un récent dossier de la revue Capital, dans la recherche sur le numérique et les nouvelles télécommunications. « Une voie incarnée par la vitalité de Rennes Atalante, première technopole européenne sur les nouvelles technologies, dont la division d’Orange Labs est un des fleurons. » Une voie également récompensée par l’obtention, fin 2014, du label French Tech. « Une marque – même si faiblement dotée – qui a vocation à “internationaliser” la filière française du numérique », se félicite Pierre Berthou, président de cette French Tech qui englobe également Saint-Malo. Rennes ou la Silicon Valley bretonne ? « Notre ambition est claire : faire du territoire le “digital world” français », résume Pierre Berthou. Pas moins. En attendant, ce sont sur place quelque 1200 entreprises (dont 18 ETI) – pour 17000 emplois environ générés –, selon l’observatoire du numérique, qui fédèrent et animent cette filière rennaise… décidément en plein essor*. « Nous sommes sur un taux de croissance annuel de 500 emplois. Et plusieurs PME commencent à percer à l’international. » A l’instar de Digitaleo, spécialiste rennais du marketing digital destiné aux enseignes de distribution (60 salariés), qui levait fin avril 4 millions d’euros pour financer sa croissance européenne. Ou encore l’inauguration il y a quelques semaines du campus rennais de l’Institut de recherche technologique (IRT), dédié à l’innovation numérique. « Nous voulons accompagner les meilleures pousses et les aider à créer une ambition la plus désinhibée possible, poursuit Pierre Berthou. Qu’elles se sentent en confiance à Rennes et de là, s’installent dans le paysage européen… » Joli programme. Point noir au tableau : la difficulté, admise par les décideurs locaux, à chercher des gros tickets de financement pour les très jeunes start-up. Et ce souvent, par manque de visibilité au plan national ; ce que le label French Tech pourrait justement gommer…
* Rennes capte plus de 50 % des emplois de la filière numérique en Bretagne
Mélange « terre-mer »
A Rennes, point de cirées jaunes et d’ambiance portuaire mais assurément un esprit marin… et breton. « C’est notre ADN, insiste Loïc Jézéquelou, responsable de l’observatoire économique à la CCI de Rennes. La ville est à la fois proche de Paris et du reste du continent, dans ses liaisons ferroviaires et routières, mais également marquée par la proximité avec l’Atlantique et, bien évidemment, l’influence bretonne. » Une région économiquement « solidaire », selon lui. « Nombre de chefs d’entreprise préfèrent en effet rester sur le bassin régional plutôt que d’installer leurs sièges en région parisienne ». Et de citer le groupe Le Duff (Brioche dorée, Del Arte, etc.) ou encore « l’attachement » du Breton Vincent Bolloré au territoire… Reste que les « nouveaux Rennais » n’ont pas tous du sang breton, loin s’en faut. Attractive et affichant un solde migratoire positif (plus 110000 habitants entre 1999 et 2010), la métropole bretonne attire en effet des gens de tout le pays.
Cerveaux… sans IDEX !
Et rebelote. Pour la deuxième fois en quelques années, l’université Bretagne Loire (UBL), fédération des universités de Bretagne et des Pays de Loire*, n’a pas été retenue mi-avril parmi les projets IDEX (pour Initiatives d’excellence), visant à fédérer les grands pôles pluridisciplinaires du pays. Et qui auraient permis au passage d’obtenir de coquettes subventions au titre du programme d’investissements d’avenir… L’université Bretagne Loire passe ainsi à côté d’une quinzaine de millions d’euros de dotation annuelle. En cause notamment : l’échec récent de la fusion des universités Rennes 1 et Rennes 2, « a pu constituer un signal négatif », selon 7seizh.info. Des structures qui pourtant abritent parmi les meilleurs chercheurs français. Rennes 1 était ainsi classée en 2013 entre la 401 et 500e place mondiale par le désormais influent classement de Shanghai (et au 19e rang au niveau national).
* Qui fédèrera au 1er janvier 2016, 27 établissements, soit plus de 160000 étudiants, 6600 enseignants-chercheurs et 6500 personnels administratifs et techniques.
Pierre Tiessen