Patrick Levy-Waitz, auteur du rapport de mission sur le coworking en France

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« Le coworking répond à des logiques de transformation de société »

Signe des temps, l’actualité politique va soudain beaucoup parler du coworking : avant la fin du mois, le secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, va recevoir des mains du rapporteur qu’il a désigné en janvier 2018 le tout premier rapport sur l’impact du phénomène en France et ses régions. En avant-première, Patrick Levy-Waitz, PDG du groupe Freeland de services aux indépendants et en l’occurrence président du think tank Travailler autrement, dévoile sa réflexion.

Comment s’est décidée cette mission sur le coworking alors que le phénomène, pour l’heure, semble si éloigné des préoccupations politiques ?

L’idée est née d’un échange avec le secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des territoires [Jacques Mézard, ndlr], Julien Denormandie. Lui-même était engagé dans une réflexion sur cette question. On a organisé des rencontres d’acteurs, puis il m’a demandé de conduire une mission gouvernementale pour rédiger  un rapport sur l’impact de cette évolution entrepreneuriale sur les territoires. Or il s’agissait d’une problématique que nous connaissons très bien à la Fondation Travailler autrement car  nous sommes proches du terrain, que nous y avons construit des relais, des réseaux. De plus, je suis chef d’entreprise. La recommandation s’est résumée à deux mots : aller vite et bien. Julien Denormandie fait partie de cette génération de jeunes politiques qui manifestent en eux la conviction qu’il faut porter des projets et en être comptables auprès des citoyens, et faire confiance aux acteurs. C’est quelqu’un qui, je l’ai découvert, a parfaitement compris l’idée de la rupture des méthodes. C’est très encourageant.

Le coworking est-il vraiment, à vos yeux, une vague de fond qui va se pérenniser ?

C’est à tout le moins un phénomène de société. Rien ne nous dit qu’il s’agisse d’un mouvement pérenne tant il est vrai que, peut-être, les coworkers aujourd’hui convaincus voudront-ils un jour revenir à un modèle traditionnel d’entreprise au nom du principe schumpétérien qui veut que les gens créent, défont, recréent…

Mais je pense malgré tout que nous assistons à l’émergence d’une façon de travailler autrement, au sens plein, qui répond à des logiques de transformation de société, au-delà même du travail.

Quel en serait le déclic ?

Au-delà des avancées numériques considérables, qui interrogent tous les processus, les manières de travailler, tous les métiers, je vois une deuxième transformation liée à la transition écologique et ses trois grandes ruptures, celle du modèle économique, de l’utilité sociale adjointe à l’économie, de la distribution avec ses circuits courts.

Enfin, nous ne sommes pas sortis d’une quinzaine d’années d’un chômage de masse pendant lesquelles les citoyens ont fini par se poser des questions pour changer leur rapport au travail, comprendre que souvent les individus sont des variables d’ajustement, que le contrat de travail est ténu. La génération qui a connu ses parents au chômage sera majoritaire dans cinq ans. Elle a soif de liberté, elle a compris le besoin de responsabilisation, d’autonomie, avec l’amplification des nouvelles technologies.

Quel est le lien entre coworking et cohésion des territoires ?

Notre mission était centrée sur les territoires. Ils ont connu dans l’histoire un double abandon, l’un lié à la délocalisation des industries, le deuxième à la difficulté de l’accès aux infrastructures pour les populations. Les territoires ont rejeté violemment la mondialisation. Tout est en mouvement. D’où l’émergence du coworking. Les phénomènes ont structuré ce processus dans une chaîne de transformation. Le besoin de construire différemment, de co-construire, de bâtir ensemble, d’imaginer, d’innover, de créer, de collaborer a abouti à ce réceptacle qu’est l’espace de coworking où cette manière de faire peut facilement opérer.

Est-ce à dire que l’organisation traditionnelle d’une entreprise avec sa hiérarchie, ses bureaux, ses services propres a vécu, à terme ?

D’abord, cette organisation est devenue poreuse, de plus en plus ouverte à des intervenants externes. Ensuite, l’entreprise est en train d’opérer des transformations, elle est en train d’« horizontaliser » ses modes de pratique. On assiste à des délocalisations de directions entières au sein d’espaces de coworking, avec des étages loués par les sociétés quand l’espace partagé façon cotravail se déploie au rez-de-chaussée. Enfin l’entreprise doit revoir son mode opératoire sous la pression de la vitesse : les choses vont extrêmement vite et sont en transformation permanente : vous ne pouvez plus fonctionner en hiérarchie mais en latéral, de façon collaborative, en réseau, et ce mouvement-là est sans précédent. Voyez comment, déjà, la TPE et la petite entreprise ne connaissent plus de hiérarchie à l’ancienne. Les conséquences en seront considérables.

Quel rôle le pouvoir politique peut-il bien jouer dans cet accompagnement ?

C’est une grande discussion que j’ai avec l’Élysée et Matignon, et le ministre. De façon générale, une révolution culturelle doit s’opérer. On doit faire un aggiornamento sur le rôle des collectivités. Je pense que celui des pouvoirs publics est d’impulser et de soutenir. Impulser pour créer les conditions qui feront que les acteurs économiques et sociaux se mettent en mouvement, et soutenir ces mouvements, et pas de faire à la place. Il s’agit d’une révolution culturelle tout à fait centrale, on a besoin d’un État fort, de collectivités fortes et d’une pratique de l’exercice même de la fonction qui doit être en transformation complète.

Propos recueillis par Olivier Magnan

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