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« Les grands chantiers de l’ère Mitterrand sont bel et bien terminés. Mais… »
Le président de l’Institut du monde arabe (IMA) depuis janvier 2013 a su faire renaître l’organisation moribonde par de grandes expositions annuelles. Il a encore fait appel à cette capacité à « organiser » la culture qui a marqué les Français. L’occasion pour EcoRéseau, dans ce numéro d’été, de l’interroger sur ce domaine et son évolution dans l’Hexagone.
Comment s’est passée votre prise de fonction à l’IMA ?
J’ai été nommé il y a un an et demi, et je suis arrivé dans un Institut en crise profonde vivant une situation interne difficile, marquée par des problèmes financiers récurrents, une fréquentation en baisse et des luttes intestines. Ma mission première a été de redonner un sens, une vigueur, un souffle, en appliquant ma méthode, qui est celle de l’action continue. Nous avons initié de grands projets en quelques mois – l’exposition Hajj sur le pèlerinage à la Mecque (élaborée avec l’Arabie Saoudite, ndlr) et « Il était une fois l’Orient Express » –, alors que ceux-ci se préparent normalement sur des périodes beaucoup plus importantes. Et ce tout en gérant le fonctionnement au jour le jour. Nous y sommes parvenus avec un certain acharnement et surtout la mobilisation des proches. J’ai fait appel à des amis connus lors de mes passages au ministère de la Culture ou de l’Education, comme l’expert culturel Claude Mollard ou le diplomate Gilles Gauthier. Tous sont venus bénévolement et n’ont pas lésiné sur les efforts.
Le financement d’évènements culturels de cette ampleur est-il compliqué ?
Nous fonctionnons grâce à une subvention publique de 12 millions d’euros qui provient du Quai d’Orsay, soumis lui-même à des coupes budgétaires. Tout peut être diminué d’une année sur l’autre, nous gardons une épée de Damoclès au dessus de nos têtes. Il ne faut pas s’imaginer que je suis arrivé et que j’ai pu embaucher dans la foulée un directeur de cabinet. J’avais la tête pleine d’idées mais les mains vides.
Quels sont les grands enjeux d’une telle organisation ?
Bien sûr cette maison a un esprit, une histoire. A commencer par son statut hybride, puisqu’elle s’inscrit dans le régime des fondations, dans le secteur privé traditionnel, mais est sous protection de l’Etat. Mais nous avons ajouté un esprit militant culturel chez les 120 salariés. Le président doit veiller à ce que l’IMA joue bien son rôle de pont entre l’Orient et l’Occident grâce à des expositions, des représentations musicales, des forums et débats chaque jeudi, des petits-déjeuners économiques trimestriels regroupant des dirigeants de France et du monde arabe.
Avez-vous de grands projets d’avenir pour l’IMA ?
L’arabe est une grande langue et l’Institut de l’enseignement de la langue arabe devra être mis en place. De même pour le festival de cinéma arabe. L’IMA détient une antenne en Nord-Pas-de-Calais, nous envisageons de poursuivre ce mouvement de délocalisation à Lyon ou à Marseille. Des expositions sur les Arabes et la mer, sur les jardins orientaux, etc., sont prévues à l’avenir. Il existe de toute manière beaucoup plus d’idées de projets que de possibilités. Les partenariats avec d’autres institutions doivent aussi être développés. Ainsi, nous allons tenir une exposition sur le Maroc contemporain, quand le Louvres en parallèle se concentrera sur le Maroc médiéval.
Quel regard portez-vous sur la vitalité culturelle en France ?
Je tiens à préciser que la créativité est toujours aussi impressionnante dans ce pays, que les artistes se renouvellent et osent. En ce qui concerne les infrastructures, l’époque des grands chantiers des années 80-90 sous l’ère François Mitterrand est bel et bien terminée. Cependant un véritable élan a été initié. Musées, bibliothèques, écoles d’art et festivals en été sont apparus ou ont été remis à niveau, et existent encore aujourd’hui. La fête de la musique perdure et a fait des émules. Quelques belles initiatives viennent encore émailler le paysage, comme la construction porte de la Villette de la Philharmonie signée Jean Nouvel, ou l’édification du musée d’art contemporain de Bernard Arnault (fondation Louis Vuitton), signée Franck Guehry en plein Bois de Boulogne.
Que pensez-vous de la montée en puissance des financements privés en matière de culture ?
Les plus gros investisseurs étaient naguère l’Etat et les villes, les acteurs privés se mêlent désormais à la partie et je m’en réjouis. Moi-même en mon temps j’ai favorisé une loi sur les fondations d’entreprise. Mais il ne faut pas que ce phénomène devienne prétexte à se retirer pour la puissance publique. Je suis également ravi que des fondations étrangères s’attèlent à la rénovation de certains bâtiments, si les Français ne le font pas. La renaissance du Ritz est une très bonne nouvelle. En revanche il faut éviter certains abus de mercantilisation. Par exemple j’ai décidé en 1989 de classer la piscine Molitor à l’inventaire du patrimoine et des monuments historique pour ses décorations d’Art déco, alors que la ville de Paris voulait la détruire. Les travaux de réhabilitation n’ont pas débuté immédiatement, et les tags et détériorations ont continué. Il a fallu attendre l’ère Delanoë pour qu’on se lance dans une reconstitution des parties détruites. Mais aujourd’hui la société privée qui s’est chargée des travaux a inscrit cette piscine dans un complexe de luxe. La ville n’a pas vraiment exigé de contrepartie, à part quelques demi-journées d’ouvertures aux scolaires. Le public ne peut plus en profiter comme auparavant et cela me gêne.
Que pensez-vous des voix qui s’élèvent pour dénoncer le financement trop important de la culture « traditionnelle » (opéra, lyrique, théâtre…) en comparaison de ce qui est alloué aux cultures « alternatives » (BD, musiques contemporaines…) ?
C’est un faux procès. Quand j’occupais le poste de ministre de la Culture, des institutions sont nées, des modes de financement ont été mis au point. Il n’y avait pas de salles pour les jeunes souhaitant écouter de la musique contemporaine ; ceux-ci étaient condamnés à venir assouvir leur passion sous des chapiteaux, les pieds dans la gadoue. J’ai fait construire le Zénith à Paris. Depuis 20 Zénith sont sortis de terre en France.
Vous avez répondu à l’appel de Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point, pour venir afficher votre soutien aux intermittents place de la Concorde. Existe-t-il une solution à ce problème épineux selon vous ?
Le système des intermittents facilite le renouvellement des générations, aide les jeunes à se lancer. Je ne peux pas croire que le gouvernement ratifie cet accord qui précarise les petits nouveaux du métier. Il court le risque de mettre en péril la création vivante. Le mal est profond, car cet épisode prouve que c’est tout le dialogue social français qui est à revoir. La loi stipule par exemple que si des syndicats approuvent la loi, celle-ci s’impose de fait. Mais ceux qui ont accepté cet accord, la CFDT, FO et la CFTC, ne sont pas représentatifs. La CGT, qui est la plus légitime, a refusé de signer cet accord, qu’on risque de ratifier malgré tout parce que la règle est désuète. En outre tout a été très mal négocié et discuté. Il y a de très hauts comme de très faibles revenus chez les intermittents, un système de mutualisation ou de péréquation aurait donc pu être envisagé au lieu d’en venir à une solution radicale qui ne satisfait personne.
Comment faciliter l’entrepreneuriat dans la culture ?
Je pense que les freins ne sont pas spécifiques à la culture. Le système bureaucratique tatillon et formaliste entrave les dynamiques. Il existe une prudence, voire une méfiance à l’égard de ceux qui créent, ont des idées, inventent. En revanche il subsiste une tradition intéressante de partenariat entre les acteurs privés et publics pour initier de grands projets. Parfois les seconds se lancent seuls, comme Antoine de Galbert qui a au travers de sa fondation financé la Maison Rouge, haut lieu de culture contemporaine près de la Bastille. Les libraires sont aussi des éléments clés de vitalité des livres en France. Les Arnault ou Pinault – même si ce dernier s’est finalement détourné de l’île Seguin pour ouvrir son musée d’art contemporain à Venise – doivent être encouragés dans leurs actions.
Selon certains sondages vous êtes à nouveau en tête des personnalités politiques préférées des Français. Que vous inspire ce rang et comment l’expliquez-vous ?
Les Français aiment les esprits positifs et les bâtisseurs. Je suis donc très flatté par cet hommage rendu, qui prouve qu’ils voient ce que je réalise sur le long terme dans la culture, l’éducation ou à la présidence de l’IMA, ne dissociant jamais la réflexion de l’action. Il faut l’avouer : la politique en a fatigué et lassé plus d’un, les gens ne supportent plus les convictions changeantes. J’ai toujours soutenu avec vigueur ce en quoi je croyais, petits projets, grands projets, mais aussi des idées non majoritaires sur des sujets de société ou de culture. Et cette constance a fini par être appréciée.
Avez-vous eu des mentors qui vous ont fortement influencé dans votre parcours ?
Comme vous vous en doutez, des hommes comme Pierre Mendès France ou François Mitterrand m’ont énormément marqué. Mais en matière culturelle, j’ai longtemps réfléchi à la politique qui pourrait être initiée en France, bien avant d’accéder au poste de ministre de la Culture. Et pour m’aider je n’ai pas sollicité des mentors, mais je suis allé puiser de bonnes idées hors des frontières en Angleterre ou dans le nord de l’Europe, tout en les adaptant à la situation hexagonale. L’Allemagne aussi constituait un bon modèle en matière de musique classique ou dans la protection des droits des auteurs et des artistes. Je m’en suis servi, et j’ai poussé la logique un peu plus loin dans ma loi de 85.
Si vous deviez refaire votre parcours, que changeriez-vous ?
Je n’ai peut-être pas saisi à temps des opportunités politiques qui m’auraient permis d’assumer des responsabilités plus larges, parce que j’étais trop investi dans mes chantiers ayant trait à la culture ou l’éducation. Ainsi j’ai déclaré ma candidature pour briguer la mairie de Paris beaucoup trop tard, et sans l’appui de l’appareil politique. Avec le recul je constate que celui-ci compte énormément. J’étais trop accaparé par mes missions.
Que vous inspirent les résultats du FN aux municipales ?
Il ne faut pas se leurrer, le Front National tire bénéfice du vide idéologique, de l’incapacité des partis politiques républicains à proposer un changement. Les gens ne sont pas racistes. Je le constate aussi à travers l’exposition Hajj qui attire des gens de toutes origines et confessions. Ces résultats ne sont pas la victoire du FN mais la défaite des autres, qui ne sont pas capables de donner un horizon..
Bio
Le bâtisseur cultivé
Cet homme politique de 74 ans reste l’un les plus populaires de France. Né à Mirecourt dans les Vosges, il obtient son diplôme de Sciences Po puis un doctorat en droit, puis commence sa carrière comme professeur à l’université de Nancy II puis Paris X. En parallèle il devient directeur de théâtre. Il fut créateur et directeur du Festival mondial du théâtre universitaire à Nancy, directeur du théâtre universitaire de Nancy, directeur du théâtre du palais de Chaillot. Dans les années 1970, il s’engage auprès de François Mitterrand au PS puis est nommé ministre de la Culture dès 1981. Ce personnage charismatique du PS occupera ce poste pendant douze ans, bénéficiant du soutien constant du président de la République, notamment dans la réalisation des grands travaux à Paris (Grand Louvre, Arche de la Défense, Opéra Bastille, Bibliothèque nationale de France…) et en province, qui donneront un nouvel élan à l’architecture contemporaine en France (Christian de Portzamparc, Jean Nouvel, Dominique Perrault…). Il cumule avec l’Éducation nationale de 1992 à 1993. Il est d’ailleurs nommé à ce même ministère de 2000 à 2002. Parallèlement, il a exercé comme maire de Blois de 1989 à 2000 et a été député du Loir-et-Cher entre 1986 et 1988, en 1993, et entre 1997 et 2000 ; il est député du Nord-Pas-de-Calais depuis 2002. À partir de cette élection, il prend ses distances avec les instances de son parti, et accepte des missions proposées par le président de la République Nicolas Sarkozy, tout en se défendant de vouloir entrer dans un gouvernement d’ouverture à l’instar des anciens socialistes Bernard Kouchner et Éric Besson. « Parachuté » dans la 2e circonscription des Vosges pour les élections législatives 2012, il perd face au candidat UMP. Il devient président de l’Institut du monde arabe en 2013.
Propos recueillis par Julien Tarby et Jean-Baptiste Leprince