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Les Français – en particulier les jeunes – ont toujours plus envie d’entreprendre. Mais la création ou la reprise d’entreprise n’est pas un acte à prendre à la légère. Tour d’horizon des écueils à éviter.
Entre ceux qui ont l’intention de créer ou reprendre une entreprise, ceux qui ont engagé des démarches en ce sens, ceux qui sont actuellement dirigeants ou associés et ceux qui l’ont été par le passé, un tiers de la population française (âgée de plus de 18 ans) a déjà été placée dans une dynamique entrepreneuriale (source Agence France entrepreneur-AFE). Bonne nouvelle : dans l’Hexagone, la création d’entreprise semble n’avoir jamais été aussi importante.
S’épanouir, réaliser un rêve, devenir son propre patron et se lancer un défi sont les principales raisons d’entreprendre pour les porteurs de projet et les dirigeants d’entreprise français. A contrario, ceux qui n’osent pas se lancer invoquent principalement la lourdeur des investissements nécessaires, les risques d’échec, la complexité des démarches administratives et la préférence pour la sécurité de l’emploi.
En 2014, près d’un créateur d’entreprise sur quatre avait moins de 30 ans. Mieux, entre 2002 et 2014, le nombre d’entreprises créées par les jeunes a bondi de plus de 200% ! Cette progression s’explique notamment par l’évolution des mentalités vis-à-vis de l’acte d’entreprendre, mais également par la mise en place de mesures incitatives telles que la création du régime du micro-entrepreneur (ex-auto-entrepreneur). Et cette dynamique entrepreneuriale va certainement s’accentuer, puisque pour plus de la moitié des jeunes aujourd’hui, être son propre patron devient le choix de carrière le plus intéressant. Être salarié de la fonction publique ne fait plus tant rêver que par le passé…
Toujours selon l’observatoire de l’AFE, 70% des Français estiment que la création d’une entreprise doit avant tout être induite par la passion pour un métier. Hélas, la passion ne fait pas tout. Les écueils sont nombreux à pouvoir mettre en péril la jeune entreprise : formalités administratives, recherche de financements, quête d’un local adapté, contact avec la clientèle, solitude du chef d’entreprise, première embauche, etc.
Selon l’Insee, qui s’est intéressé aux entreprises créées en 2010, 71% d’entre elles étaient encore actives trois ans plus tard. Le chiffre n’était que de 66% pour la génération des entreprises créées en 2006. La situation tend donc à s’améliorer, mais les entreprises individuelles ou les commerces restent particulièrement fragiles. Et en l’absence d’un fort investissement de départ, d’un bon niveau de formation et d’une expérience préalable dans le secteur d’activité concerné, la pérennité d’une jeune entreprise risque d’être sérieusement compromise.
Fiction : Quand Matthieu enchaîne les galères
« Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille », paraît-il. Matthieu en est certain désormais. Lui qui rêvait de liberté, en lançant à Lyon sa petite agence web, expérimente désormais l’amère solitude du chef d’entreprise. Le jeune homme soupire en se prenant la tête dans les mains. Aujourd’hui, il aimerait vraiment qu’on l’aide un peu (1).
L’histoire commençait plutôt bien pourtant, lorsqu’il a trouvé ce joli local dans les vieux quartiers de la ville. Beaucoup de cachet. Mais surtout un loyer et des charges bien trop lourdes pour une activité en démarrage (2). D’autant que ses premiers clients tardent à régler leurs factures et que la trésorerie déjà bien maigre s’effrite un peu plus chaque jour.
Pour limiter les frais au démarrage, Matthieu a opté pour des logiciels libres, mais leur faible compatibilité avec les logiciels classiques ne cesse de lui poser des problèmes. Trop souvent, le jeune chef d’entreprise est obligé de ressaisir des données, multipliant les risques d’erreurs… et la pénibilité de son travail (3). Bonjour la productivité ! Pendant ce temps, il ne démarche pas et n’avance guère sur ses missions.
Sans oublier toutes ces paperasses qui s’empilent sur son bureau : RSI, TVA, impôts… Une gestion administrative dont il se serait volontiers passé. Il se dit que s’il s’était intéressé plus tôt au portage salarial, il aurait peut-être pu éviter tout cela (4). Un de ses anciens collègues a choisi cette option. Il en avait l’air tout à fait satisfait, l’autre soir, quand ils ont partagé un verre dans leur café favori, place des Terreaux.
Une chose est sûre, s’il continue à ce rythme-là, Matthieu va tout droit au burn-out. Et là, il n’est même pas certain d’être couvert par son contrat de prévoyance (5), celui que lui a refourgué son banquier lorsqu’il a ouvert le compte de l’entreprise. Sa femme lui avait pourtant dit de ne pas se précipiter et d’aller voir un spécialiste de la protection sociale. Mais Matthieu est plutôt du genre impatient… et puis il apprécie son conseiller bancaire qu’il connaît depuis de nombreuses années. D’ailleurs, c’est lui aussi qui lui a fait signer un contrat d’assurance (6). Il est comme ça Matthieu. Il marche à la confiance, sans trop savoir si c’est toujours le meilleur choix qu’il fait… Finalement, il aurait peut-être dû se poser plus sérieusement la question du choix de sa banque. Après tout, il aurait sans doute pu trouver mieux (7). Parce que, quand il évoque le Web à son conseiller, il a comme l’impression de parler chinois à un Islandais.
Un banquier plus avisé aurait peut-être pu aussi l’aider à gérer les retards de paiement de ses clients en lui expliquant le principe de l’affacturage (8). Il n’est pas trop tard, mais il va falloir se ressaisir sérieusement… pour éviter une prochaine escadrille.
1/Savoir bien s’entourer
Hélas, avoir une farouche envie d’entreprendre ne suffit pas pour durer dans le temps. « La première chose que je conseille au porteur de projet est de ne surtout pas rester seul et de se faire accompagner », insiste Frédérique Jeske, directrice générale de Réseau entreprendre. Ce qui fait la différence, c’est l’accompagnement dans la durée. » Clubs d’entreprises, Boutiques de gestion (BGE), Adie, Chambres consulaires… les réseaux ne manquent pas et chaque type de projet peut trouver celui qui lui conviendra le mieux. Avec ses 5600 membres bénévoles et 83 implantations en France, Réseau entreprendre est l’un des principaux réseaux d’accompagnement des créateurs d’entreprise. Gratuit et basé sur un principe de réciprocité, il propose un soutien financier (prêt d’honneur), un système de mentorat par un chef d’entreprise expérimenté et de la mise en réseau dans le cadre d’animations collectives. La recette fonctionne depuis trois décennies : « A cinq ans, nous avons 86% de pérennité des entreprises accompagnées, contre moins de la moitié pour celles qui ne le sont pas », précise Frédérique Jeske. Ajoutez à cela un bon expert-comptable et vous êtes paré.
2/Trouver le bon local
Domicile, local privé, technopole, incubateur, pépinière, centre d’affaires, hôtel d’entreprises… Les possibilités d’hébergement sont aussi nombreuses que variées. Comment choisir ? « On peut se permettre de travailler de chez soi si l’on ne reçoit pas de clients et si l’on n’a pas de stock, résume Patrick Deleau, consultant et formateur en entrepreneuriat et gestion. Cela évite de commencer avec des charges fixes importantes, surtout si l’on ne génère pas de chiffre d’affaires au départ. La trésorerie est le point central pour une entreprise. »
Si vous lancez une activité commerciale, le choix de l’emplacement est primordial, mais n’exonère pas d’un travail de démarchage. « Ce n’est pas parce que l’on a un bon emplacement qu’il ne faut pas aller chercher le client, avertit Patrick Deleau. Je conseille toujours de prévoir un petit budget de communication pour relancer une campagne au bout de six à neuf mois. »
Un projet innovant trouvera avantageusement sa place au sein d’une pépinière ou dans un technopôle où il bénéficiera d’un accompagnement et d’un environnement propices à son éclosion. « Quand le porteur de projet a la possibilité de s’installer dans un incubateur, c’est l’idéal, car il est directement plongé dans un écosystème et cela lui évite de rester seul chez lui devant son ordinateur », note Frédérique Jeske. Attention toutefois à la qualité de l’accompagnement proposé. « Il doit être régulier et se faire au rythme d’au moins un rendez-vous par mois », estime Patrick Deleau.
3/Fluidifier la circulation de l’information
« L’informatique, c’est d’abord un outil de productivité », affirme Philippe Orrière, expert en bureautique au sein du réseau Cosma. Se laisser séduire par la première solution logicielle qui passe sous prétexte qu’elle est peu coûteuse est certainement un mauvais calcul. « Les jeunes entrepreneurs doivent réfléchir bien en amont sur les processus de production et de gestion qu’ils souhaitent mettre en œuvre avant de choisir leurs logiciels. » L’objectif est de rendre la plus fluide possible la circulation des informations. Des logiciels qui communiquent mal entre eux généreront des pertes de temps telles que la nécessité de ressaisir manuellement des données. « Il est également important de choisir son fournisseur en fonction du domaine d’activité de l’entreprise, ajoute Philippe Orrière. Il ne doit pas être seulement quelqu’un qui vous vend un produit, mais faire preuve de proximité et de conseil. » Il est également conseillé de mettre en concurrence différents fournisseurs et de ne pas s’engager sur des contrats trop longs (une durée de trois ans est raisonnable). A noter que la grande tendance va au paiement à l’usage, au détriment du logiciel classique. Une solution qui permet d’avoir un outil en permanence à jour tout en maîtrisant au mieux ses dépenses.
4/Penser au portage salarial
La récente loi Travail entend lui accorder une place plus importante sur le marché de l’emploi. Le portage salarial, qui permet de travailler et de facturer tout en restant salarié, permet de limiter les risques d’une création d’entreprise. Par ailleurs, c’est la société de portage qui prend en charge les tracasseries administratives, permettant ainsi au porteur de projet de se concentrer sur son activité. Cette solution a toutefois un coût : les frais de gestion peuvent dépasser les 15% dans les sociétés de portage proposant des services d’accompagnement et de conseil au créateur.
(source Fondation ITG)
5/Avoir une bonne protection sociale
Le statut juridique de l’entreprise (SARL, SAS, SASU…) a des conséquences sur le statut social du dirigeant. Selon les cas, celui-ci pourra être soumis au Régime social des indépendants (RSI) ou au régime général. « Attention donc au choix trop rapide du statut social de l’entreprise », avertit Marc Bouyssoux, agent général Axa prévoyance et patrimoine. Un dirigeant de SAS ou de SASU bénéficie du régime général mais n’est pas éligible aux contrats Madelin (mutuelle, retraite, prévoyance) dont le financement est pris en charge par l’entreprise. Les dirigeants soumis au RSI sont, eux, éligibles au dispositif Madelin. Pour eux, « iI est préférable de souscrire un contrat de prévoyance complémentaire, car parfois la protection est faible, notamment dans les métiers de conseil », explique Marc Bouyssoux. De même, il est bon de faire un bilan retraite en vue de mettre en place des solutions complémentaires.
Ajoutons que depuis le 1er janvier 2016, tous les salariés du secteur privé doivent être couverts par une complémentaire santé collective. « Le chef d’entreprise a tout intérêt à se faire guider par un intermédiaire qui l’aide à se mettre en règle avec la loi, estime Philippe Labau, expert en assurance au sein du réseau Cosma. Le formalisme est lourd et précis et l’Urssaf est pointue sur le sujet. »
6/Assurer ses arrières
Les assureurs ne s’intéressent pas toujours aux entreprises en création car, fragiles, elles représentent un risque supplémentaire. « Il est préférable de se tourner vers les cabinets de courtage spécialisés dans le secteur d’activité de l’entreprise », recommande Philippe Labau. On peut dénicher les meilleurs courtiers dans les classements de L’Argus de l’assurance ou en se rapprochant de sa branche professionnelle. Le recours à un intermédiaire permet de réaliser une analyse détaillée des risques de l’entreprise et de proposer des contrats d’assurance adaptés. Un contrat standard qui ne cadre pas bien avec le profil de la société n’offrira pas une couverture suffisante. « Dans ce cas, l’assureur aura tendance à proposer des garanties qui le protègent lui plutôt que l’entreprise », prévient Philippe Labau. Au rayon des tendances nouvelles, signalons l’essor de l’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux, qui permet de limiter l’impact de la mise en cause du dirigeant en cas de faute. « Ce type de contrat est important dans les entreprises où les salariés prennent des risques physiques : BTP, transports… », précise Philippe Labau. Pour les entreprises du Web, un contrat de protection des données pourra limiter les dégâts en cas de piratage.
7/Choisir la banque adaptée
Le choix de la banque dépend du profil de l’entreprise. Certains établissements sont en effet spécialisés, ou encore disposent d’un réseau international utile pour les activités exportatrices. Si l’entreprise est basée en région, « il vaut mieux présenter son projet à une banque dont le centre de décision est local, car elle connaîtra bien le tissu économique et son analyse sera plus réaliste, estime Patrick Deleau. Vue de Paris, une entreprise de province n’est souvent qu’un numéro de dossier. »
8/L’affacturage pour bien gérer son cash
Depuis quelques années, le marché de l’affacturage est en plein essor. Si bien qu’en 2015, il est devenu en France la première source de financement court-terme des entreprises devant le découvert. Autrefois considéré comme un financement de dernier recours, l’affacturage est désormais perçu davantage comme un moyen d’optimiser la gestion du cash de l’entreprise et de faire face aux délais de paiement à rallonge. Tous les types d’entreprises y font aujourd’hui appel : TPE, PME, ETI et grands groupes. Mais les offres des géants du secteur (ABN AMRO, BNP Paribas Factor, Crédit agricole leasing & factoring, CGA (Société générale), Natixis factor…) sont parfois contraignantes à mettre en œuvre. C’est sur ce créneau que se positionnent des fintechs telles que Créancio, Finexkap ou Aston iTrade finance. Face aux filiales des grands groupes bancaires, elles se concentrent sur les besoins de la clientèle professionnelle et des TPE.
Yann Petiteaux