Notre-Dame de demain

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À peine l’incendie de Notre-Dame de Paris était-il neutralisé dans la matinée du mardi 16 avril que sa reconstruction/réparation/réfection était déjà dans tous les esprits. Aucun doute, la cathédrale sera rebâtie. Reste à déterminer comment et dans quels délais. Les avis et les estimations, déjà, s’entrechoquent.

Lundi 15 avril 2019. Dès 18 heures 50, la cathédrale Notre-Dame de Paris, monument français le plus visité et symbole national, est la proie des flammes. La vieille charpente de chêne, dénommée « la forêt » parce qu’elle a mobilisé le bois de vingt hectares, assemblée entre 1220 et 1240, n’a pas résisté. Avec elle, une partie de la voute et la flèche, imaginée par Viollet-le-Duc au xixe siècle, s’effondrent sous le regard consterné des Parisiens. Puis très vite, sous l’œil du monde entier. Le drame paraît irréel, le choc, planétaire.
Comment ce monument emblématique, magnifié par le chef d’œuvre éponyme de Victor Hugo (1831) et qui accueille chaque année quatorze millions de visiteurs, a-t-il pu subir pareille fatalité ?
Selon l’avis de plusieurs spécialistes et l’enquête en cours, la thèse criminelle reste peu envisageable. Le parquet a retenu les chefs de « destruction involontaire par incendie », tandis que l’hypothèse d’un feu couvant et d’une série d’erreurs humaines et de failles de sécurité qui auraient retardé l’intervention des pompiers gagne en crédibilité.

Des délais incertains

Première grande question : en combien de temps Notre-Dame de Paris pourra-t-elle retrouver son état antérieur, si cette option est retenue ? Entre l’amoncellement de débris et de pierres à déplacer, la sécurisation du reste de l’édifice, la reconstruction de la voûte et de la charpente, le chantier est considérable. Et considérablement gonflé par l’égrégore d’émoi qui va l’alimenter pendant des années.
Mais combien ? Si l’on s’en tient à la volonté d’un président Macron qui prend l’allure d’une injonction – et gare à lui si le délai n’est pas tenu, d’autant plus qu’il pourrait alors à nouveau présider aux affaires de la France et donc répondre de retards ! – la cathédrale sera rebâtie « plus belle encore d’ici à cinq années ». Volonté exprimée dès le lendemain de l’incendie en lieu et place des mesures issues du « grand débat » en cette période de gronde des gilets jaunes, repoussées au 25 avril. L’opportunité et l’intérêt politiques sont clairs, la récupération, pour certains, est manifeste. Emmanuel Macron se pose-t-il en « sauveur » de Notre-Dame en fixant une reconstruction achevée avec les JO de Paris 2024 ? Une façon de faire écho à l’émotion populaire, tout en s’accordant une trêve politique sur les dossiers chauds.
Si sa volonté est claire, elle ne se heurte pas moins aux analyses expertes. Pour quelques architectes, le cap des cinq ans est concevable. Mais pour la plupart, il est déraisonnable. Le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), qui compte dans ses rangs l’une des entreprises qui géraient les rénovations de l’édifice, évoque un temps long de dix à quinze ans.

Conformité vs modernité

La logistique de la reconstruction s’organise, sous l’égide du ministère de la Culture. Une fois le diagnostic des dégâts établi et la stabilisation du bâtiment assurée, la reconstruction concrète devrait pouvoir débuter en 2021. Soit trois ans pour tenir l’engagement présidentiel. Gageure ?
Le gouvernement a lancé un appel d’offres : il prend la forme d’un concours d’architecture pour reconstituer la toiture et la fameuse flèche, emblème d’une rénovation du XIXe siècle. Concours ouvert. Or nombre d’experts déplorent la non-limitation de ce concours aux seuls architectes du patrimoine, spécialisés en restauration de monuments historiques. Autre disposition sujette à polémique : un projet de loi d’exception vise à s’affranchir des procédures en vigueur en matière de monuments historiques, présenté en conseil des ministres le 24 avril. Alexandre Gady, historien de l’architecture et président du Centre André-Chastel – laboratoire de recherche en histoire de l’art –, fait partie des « puristes » qui déplorent cette dérogation au Code du patrimoine : « Nous sommes en train de tailler une loi sur mesure pour Notre-Dame. Pourquoi court-circuiter toutes les procédures existantes, pourquoi faire des lois si ensuite on fait des lois d’exceptions ? » (propos tenus sur l’antenne de France Inter le 24 avril). Sortir du carcan d’une reconstruction à l’identique laisse au gouvernement l’option de ne pas rebâtir entièrement. Argument : après tout, avant le XIXe, Notre-Dame n’avait pas de flèche ! Un scénario qui n’obéit pas à un souci d’économie : l’argent, une fois n’est pas coutume, ne manque pas ! Alors que l’estimation des coûts de la réédification et des travaux entrepris avant l’incendie varie entre 300 et 600 millions d’euros (la fourchette reste large, l’étendue des dégâts n’est pas encore connue avec certitude), les promesses de dons ont aujourd’hui dépassé le milliard, promesses des géants du luxe et dons de particuliers du monde entier additionnés.
L’appel d’offres devrait faciliter, selon le Premier ministre, la question de savoir si une nouvelle flèche sera ou non inscrite dans le projet. D’emblée, les architectes du monde entier se bousculent pour décrocher le graal au pied du parvis sacré, quitte à ressusciter la polémique mitterrandienne du choix du Chinois Ieoh Ming Pei pour la pyramide du Louvre ou celui du Danois Johann Otto von Spreckelsen pour l’Arche de l’humanité.
Parmi les projets novateurs, on se déchaîne déjà autour de celui du cabinet d’architecture Godart+Roussel : une toiture et une flèche de verre, d’acier et de cuivre, aux antipodes de la pierre et du chêne traditionnels. Selon l’ébauche, la toiture serait accessible au public et un plancher vitré s’ouvrirait sur l’intérieur de la cathédrale à la croisée du transept, à l’endroit de la feue flèche de Viollet-le-Duc. Un projet aussi fou que contemporain, entre rêve et réalisable.
Notre-Dame de demain pourrait bien réinterpréter l’hier.

Adam Belghiti Alaoui

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