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Sans grand tapage, les écoles rebattent les cartes, bousculent leurs catalogues de formation. Condition sine qua none pour capter la clientèle de plus en plus volatile et exigeante que sont les millennials.
Dans ce pays en pleines mutations, l’enseignement supérieur suit le mouvement, mieux, l’anticipe, s’adapte, investit, se modèle au monde sans frontières que vont affronter les jeunes Français(e)s formé(e)s à de nouveaux métiers. Bachelors, masters, agribusiness, video games, alliances des business schools, développement durable, ingénierie de la transition écologique. Les grandes écoles savent qu’elles forgent un avenir incertain pour des têtes bien faites décidées à assumer leur génération. Quelques tendances fortes dans l’univers impitoyable des machines à gagner…
L’hybridation des compétences mêle les campus
Le terme est un peu biologique, mais recouvre une notion assez simple. Finies les filières cloisonnées, étanches, en silo. On entre dans l’ère du « mouton à cinq pattes », des compétences mêlées, commerciales, scientifiques, numériques et un soupçon – voire plus – de design. L’époque du double diplôme entre écoles du même champ est révolue, la transdisciplinarité prime. L’une des unions pionnières reste celle de Centrale Nantes, d’Audencia et de l’Ensa (École nationale supérieure d’architecture). Ce que Christophe Germain, directeur général d’Audencia, nomme l’« Alliance », avec une saveur de guerre cosmique. Autre région, même pratique : depuis la rentrée 2015, les 3 500 étudiants ingénieurs, managers et designers d’EMLV partagent 20 % de leurs cours et tous les vendredis, les étudiants d’Artem, réunion des Mines Nancy, de l’ICN business school et de l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, planchent ensemble sur un sujet proposé entre autres par des entreprises, associations ou collectivités. L’objectif : développer un bouillon de cultures. Encore un exemple : Audencia a étoffé son offre de doubles diplômes dans les domaines de l’ingénierie, du droit, des lettres, des beaux-arts, de l’architecture, des sciences politiques ou encore de l’assurance…
Lancé à l’échelle des masters, le mouvement s’étend au post-bac. Pour preuve, l’annonce en novembre de l’ouverture d’un bachelier copiloté par l’Institut de commerce et du développement (ICD) et l’EPF, baptisé Digital innovators. « L’étude des offres d’emploi nous a permis de comprendre combien la transversalité est de plus en plus recherchée par les entreprises, explique Benoît Aubert, aux manettes de l’ICD. C’est le second cursus hybride, développé en partenariat avec l’EPF, à bac + 3. D’autres suivront. D’ordinaire, cette mixité de compétences est proposée en masters, voire au-delà. En réponse au marché, on a avancé le curseur. »
L’entrepreneuriat à toutes les sauces
Pas un établissement d’enseignement supérieur n’échappe aujourd’hui à la vague entrepreneuriale. Du post-bac au master of business administration, il n’est question que de ça. Les jeunes gens n’apprennent pas un métier pour entrer dans une entreprise, ils créent leur entreprise en apprenant plusieurs métiers : 75 % des grandes écoles – business schools et écoles d’ingénieurs confondues – proposent aujourd’hui une spécialité entrepreneuriat. « La demande sociale émane des étudiants, souligne Jean-Pierre Boissin, coordonnateur national du Plan étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (Pépite). Le changement date du début des années 2010, sans doute lié à la crise économique de 2008, à l’individualisation des comportements, au développement du numérique. La Commission du titre d’ingénieur (CTI) a, en 2015, intégré la création d’une entreprise dans le programme. C’est institutionnalisé. » Le système Pépite recense 3 700 étudiants entrepreneurs en France, contre 600 en 2014.
Preuves de cet intérêt marqué, mardi 4 décembre, le point presse de la conférence des grandes écoles (CGE) porte sur « la création de start-up : comment attirer les talents ». Du reste, deux tiers des grandes écoles disposent aujourd’hui d’un incubateur. Un critère d’excellence : c’est à qui alignera les meilleurs scores de « jeunes pousses » !
500 diplômés de l’ESCP Europe sont en 2018 entrepreneurs – tous cursus et toutes années confondus. Et peut-être même à l’avenir repreneurs. Et pour cause, l’école a signé un partenariat avec l’association Cédants et repreneurs d’affaires (CRA) au nom de l’idée qu’il n’y a pas que la création qui compte, la pérennité de celles qui existent déjà se révèle au moins aussi importante.
Nouvelle pédagogie
Les grands noms du CAC 40 en raffolent pour attirer à eux des jeunes talents ou fidéliser leurs collaborateurs. Aujourd’hui, les serious games constituent l’un des éléments clés de la marque employeur. Les écoles les intègrent aussi comme outil de formation. « L’approche est de plus en plus expérientielle, commente Benoît Aubert de l’ICD. Le temps des case studies, même de Harvard, n’est plus. La simulation a la cote. »
Un maelstrom dans l’enseignement supérieur auquel les lycéens ne sont en rien préparés. Ce pays doit aussi gérer ses transitions, et pas seulement écologiques.
Murielle Wolski