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La nouvelle loi se heurte à des chantiers d’ampleur que sont nos mœurs numériques et l’organisation du travail en tant que telle. Malgré une « soft law », des concrétisations émergent pour concilier qualité de vie au travail et obligations de résultat.
L’article 55 de la loi Travail, entrée en vigueur le 1er janvier 2017, prévoit l’obligation pour les entreprises de plus de 50 salariés de négocier avec les partenaires sociaux des « dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques, en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé, ainsi que de la vie personnelle et familiale ». L’esprit de la loi souhaite donc aménager de nouveaux temps de repos à l’ère du tout connecté et créer une frontière nette entre vie privée et vie professionnelle dans un contexte où, selon l’Ifop, avoir un outil numérique à sa disposition est un facteur de stress pour 51 % des salariés et que seuls 25 % des cadres déconnectent pendant les week-ends et les vacances.
La qualité de vie passe par le sans numérique…
« Il y a un besoin de définir et de clarifier les frontières par rapport aux outils digitaux qui impactent l’organisation du travail dans l’entreprise et l’individu dans son quotidien », note Me Emmanuel Wall, avocat à la cour de Paris, expert des nouvelles technologies. Originalité juridique française, le droit à la déconnexion pourrait embrasser un périmètre plus large que celui de l’entreprise pour finalement définir ce qu’est travailler aujourd’hui. D’autant que le temps de travail, le lien de subordination et le lieu de travail, les trois piliers qui dessinent une situation professionnelle, sont attaqués par la digitalisation.
Et Me Wall de continuer : « La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a également sorti un rapport en 2017 sur le droit à la déconnexion dans le secteur public. La réflexion s’élargit et concerne l’ensemble des travailleurs ».
S’il est encore trop tôt pour parler de jurisprudence, le droit à la déconnexion reste une première marche légale qui touche à la qualité de vie au travail et à l’organisation de ce dernier au sein des organisations, au sein desquelles il ouvre une réflexion. « Il s’agit d’une première phase : l’entrée du droit à la déconnexion sans véritable sanction et il y a fort à parier que le législateur y apporte des modifications pour ensuite y introduire graduellement des sanctions. On fait digérer pour l’instant les recommandations que peut amener ce doit à la déconnexion. La loi est une « soft law » : tout juste oblige-t-elle les entreprises à trouver un accord avec les syndicats, ou, à défaut, convenir d’une charte signée par l’employeur », commente l’avocat du cabinet Benssoussan.
Timides concrétisations
Dans les faits, le droit à la déconnexion se concrétise pour les entreprises qui ont dédié de l’appliquer par l’arrêt du renvoi d’e-mails professionnels vers le téléphone portable après une certaine heure voire par la suppression de la réception des e-mails le week-end jusqu’au lundi matin.
« En synthèse, voilà ce que prévoient les chartes qui prennent en compte le droit à la déconnexion : vous n’êtes pas obligé de lire vos mails et vous n’êtes pas obligé d’y répondre mais si vous le faites néanmoins ce n’est pas grave », précise Emmanuel Wall.
Dans les faits, Michelin est considérée comme une entreprise pilote à ce sujet. Le groupe n’a d’ailleurs pas attendu la loi pour proposer il y a deux ans un accord pour aider les cadres à se déconnecter. Grosso modo, un message d’alerte est envoyé aux RH, à l’employé et au N+1, au delà de cinq connexion hors des horaires prévus par l’accord. Les RH reçoivent consécutivement le manager et le managé pour trouver un dialogue. « La vraie question demeure l’urgence du travail et son organisation », insiste l’avocat du cabinet Benssoussan.
Des start-up se sont également emparées du sujet. Timyo (pour Times Is MY Own) consiste en une solution collaborative qui vise à responsabiliser l’émetteur d’un e-mail. Avant d’envoyer un e-mail, son émetteur devra préciser s’il attend une action, une information, juste une consultation et surtout dans quel délai. Un code couleur correspondant à l’action et le délai de réponse permet ensuite de faire un premier tri dans ses mails.
S’affranchir de la pression des pairs, du client et du manager
Si dans les faits, nombre d’entreprises n’auraient pas encore bougé le petit doigt, certaines études actuelles évoquent le pourcentage de 75 % pour les entreprises concernées, et la question de la déconnexion met sur le devant de la scène le problème du travail compulsif et de l’organisation du travail car « l’hyperconnectivité » renvoie à « l’hyperconcurrence ». Les tensions à l’œuvre sur le plan économique se déversent naturellement sur la force de travail. De plus, nombreuses sont les entreprises qui apprécient le salarié à l’aune de sa capacité sacrificielle. Au revoir mes temps sociaux, bonjours mes temps pro supplémentaires. Un équilibre qui est également brouillé car l’articulation n’est plus claire entre vie pro et perso. Temps et le lieu de travail ne signifient plus grand chose en 2018…
« A qui la faute ? », peut-on se demander… Un peu à tout le monde : les demandes excessives de l’employeur, la pression du client roi, une frontière floue entre conscience professionnelle et obsession de la performance, une crainte d’être mal vu auprès de ses collègues dans un pays qui fait peu confiance à ses salariés dès lors qu’il s’agit de home office ou de télétravail… Malgré toutes ces racines du mal, les experts s’accordent pour éduquer et informer sur le long terme. Ce n’est qu’à ce prix qu’un changement culturel va s’engager. Et les chartes arrivent comme première pierre à l’édifice. « Le droit à la déconnexion est un sous-ensemble de l’organisation du travail. Plus que le truchement du droit à la déconnexion, les entreprises doivent mettre dans le débat toute l’organisation du travail et tout remettre à plat… », lance Emmanuel Wall.
Geoffroy Framery
Ces nouveaux outils TIC présentent des risques pour le nombre grandissant d’employés et de cadres qui les utilisent intensivement, au point de concerner la majorité des effectifs dans le secteur tertiaire : ce sont surtout les risques psychologiques liés au stress, à l’excès de charge mentale qui apparaissent les plus préoccupants dans le développement non maitrisé des technologies de l’information et de la communication, à la fois sous ses aspects psychosociaux et organisationnels ( surcharge informationnelle, perte des limites entre vie professionnelle et privée, disponibilité et interactivité permanentes, nomadisme professionnel, affaiblissement des relations interpersonnelles). la prévention du stress et des atteintes à la santé mentale liées aux TIC relève de mesures techniques et organisationnelles, en repérant et éliminant des pratiques abusives et déviantes d’utilisation que les TIC peuvent générer, si elles ne sont pas maîtrisées et encadrées.
source pour plus d’infos : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=483