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Ils ne font pas que couper des têtes
Importé des Pays-Bas, le management de transition connaît une croissance exponentielle en France. Reconversion pour cadres dirigeants, cette pratique managériale séduit petites et grandes entreprises, pour développer, déployer une activité, et pas uniquement pour le clap de fin.
Wanted ! Ancien directeur général d’une petite et moyenne entreprise (PME), Olivier Kimmerling est manager de transition depuis une dizaine de mois. Référencé par Delville groupe, il n’en est qu’à sa deuxième mission. A 44 ans, il reçoit deux appels par mois de cabinets concurrents. Petites structures ou pointures du marché comme Valtus, Robert Half, Nim Europe ou Wayden transition, ces cabinets sont toujours à l’affût pour étoffer leurs effectifs – sous des statuts variés. H3O, petit cabinet doté de quatre sites en France (Nantes, Tours, Rennes et Paris) s’apprête en 2018 à s’adjoindre les services de cinq à sept nouvelles recrues – deux remplacements pour cause de départ en retraite, cinq pour faire face au surcroît d’activité. Ils sont 33 aujourd’hui. Sur sa page LinkedIn, le cabinet de recrutement Robert Walters affiche la couleur, avec pas moins d’une vingtaine de missions de manager de transition à pourvoir. Avis aux amateurs, les sélections ont lieu en ce moment. Avec pas moins de 6 000 profils référencés dans sa base de données, Nim Europe n’a même pas besoin de chasser. Sa notoriété est telle que les CV tombent tout seuls, comme à Gravelotte. Nés aux Pays-Bas dans les années 70, les managers de transition ont le vent en poupe dans l’Hexagone.
Croissance insolente
+26 % en 2017, après une année 2016 qui avait atteint +23 % (chiffres de la Fédération nationale du management de transition, FNMT) : ces bonds de croissance sont à faire pâlir nombre de secteurs. Celui du conseil en premier lieu. Même si cette profession devrait communiquer à la fin du mois sur une progression de 10 % de l’activité, c’est quand même deux fois moins bien que le management de transition.
Le marché représente environ 2 000 missions, de sept mois en moyenne, assurées par des ex-cadres dirigeants, en free lance, via le portage salarial ou affiliés à des cabinets dédiés, avec à la clé un chiffre d’affaires de 300 à 350 millions d’euros, pour grosso modo 60 acteurs référencés par la FNMT, tous «pure players». Voilà pour le tableau général. Mais, c’est quoi, au juste, le management de transition ?
Stop aux «coupeurs de tête»
Jean-Pierre Lacroix est à la fois patron de MCG France et de la Fédération nationale du management de transition (FnTM), Il a une voix de stentor et le verbe franc. « Des fous furieux se targuent, chez Elise Lucet, de virer des salariés, s’énerve-t-il. Ce ne sont que des salopards. Des coupeurs de têtes. Ca n’a rien à voir avec le management de transition. »
Pourquoi une telle sortie ? Longtemps, cette nouvelle pratique managériale a été associée au «restructuring». Autrement dit, aux fermetures d’usines, aux plans de sauvegarde de l’emploi, aux terrains industriels vidés de leur substance, aux villes décimées… On pouvait aussi parler de «cost killing». Le manager de transition était sollicité pour « faire le sale boulot ».
Mais, les temps ont changé. En 2018, les missions de gestion de crise et de retournement perdent du terrain, et ne comptent que pour 9 % de l’activité, perdant cinq points en douze mois. Chez Wayden transition, c’est un peu plus : 15 %. « Pendant des années, certains ont voulu faire croire que 20 % d’effectifs en moins généraient un gain de productivité de 20 % supplémentaire, soupire Emmanuel Buée, l’un des co-fondateurs d’H3O. C’est terminé. » Cette redistribution des cartes dépend aussi beaucoup de la conjoncture économique nationale. Et elle retrouve des couleurs.
« 60 % de notre activité concernent la mise en place de projets, analyse Grégoire Cabri-Wiltzer, PDG de Nim Europe. Nouvelle organisation, nouvel ERP (Enterprise Resource Planning), ouverture d’une filiale à l’étranger, implantation d’une nouvelle entreprise en France… Quand il y a quelques années, on ne sollicitait que les compétences internes, aujourd’hui, ces missions sont confiées à des managers de transition, extérieurs. » DAF pour direction des affaires financières, DSI (direction des systèmes d’information), direction des achats, de business unit, de site de production, supply chain… tous les pans d’une entreprise sont concernés. L’une des dernières missions de Wayden : accompagner le redressement d’une entreprise chimique, un site classé Seveso dans les Hauts-de-France, frappée d’une menace de fermeture par la Préfecture. 150 salariés à la clé. 150 emplois d’un fleuron du secteur chimique finalement sauvés.
Conduite de projet et gestion du changement restent les fers de lance du management de transition, avec 61 % des missions réalisées. Et pour quelle efficacité ? 76 % des directeurs des affaires financières (DAF) considèrent que recourir à un manager de transition crée des gains d’efficacité, dixit le communiqué de presse de mars dernier de Robert Half. Et Karina Sebti, qui dirige la division management de transition chez Robert Walters, d’ajouter : « La part intuitu personæ est importante dans la réussite de la mission. »
Et le cousinage avec le conseil ?
A la tête d’Origa consulting & advisory, Michel Noiry met la dernière main à la rédaction de l’édition 2018 de l’étude annuelle du marché du conseil en stratégie et management, qu’il produit pour le compte de Consult’in France-Syntec Stratégie & Management. Va-t-il développer quelques lignes sur le management de transition ? Réponse : non. « Ce sont deux façons de répondre au même problème, explique Michel Noiry. Deux approches différentes. L’un n’exclut pas l’autre d’ailleurs. Si manager de transition et consultant sont des prestataires, s’ils s’inscrivent dans un contrat avec un début, une fin, des points d’étape, à chacun son process. Le consultant pose un diagnostic et établit des préconisations. Le second est moins dans la méthodologie, plus dans l’action immédiate. »
Marché qui se structure
10 octobre 2017. Date retenue pour la tenue des premières assises du management de transition. « Nombre d’acteurs économiques ne savent pas ce que recouvre cette activité, souligne Jean-Pierre Lacroix. Un travail sur la notoriété, sur l’image est requis. A nous de donner des preuves de ce qui est fait. D’où la première étude sectorielle conduite par Xerfi. N’importe qui peut se présenter comme tel. Aucune contrainte n’encadrait jusque-là. » Pour séparer le bon grain de l’ivraie, un référentiel des bonnes pratiques a été rédigé. Et le Bureau Veritas passe au crible les sociétés de management de transition.
Sujet tabou
Pas facile – voire impossible – de faire parler les entreprises clientes. Le sujet n’est pas simplement confidentiel, il est tabou. « Quelle est la problématique ? Quel est le frein ? Qu’est-ce qui coince ? Ce sont des questions importantes, souligne Emmanuel Buée, d’H3O. Leur réponse demande de la maturité. Un dirigeant peut ne pas vouloir faire connaître ses trois derniers choix hasardeux. L’échec est mal vécu en France. Aux Etats-Unis, il prend de la valeur grâce à ses erreurs. Dans l’Hexagone, il est cloué au pilori. » Et puis, évoquer les problématiques en jeu revient à rendre publiques les stratégies.
Pas que des quinquas
Laurent L. a 59 ans. Il tourne actuellement la page du salariat. Ses perspectives ? Le management de transition. « A mon âge, les solutions ne sont pas légion. Décrocher un contrat à durée indéterminée est quasi mission impossible, constate-t-il. Prendre au pied levé une mission, relever un défi, est une posture qui me plaît bien. C’est passionnant de remettre de la vie dans un corps en train de mourir. Il faut avoir l’esprit commando, être un guerrier dans l’âme. » En quelques mots, on retrouve là le portrait robot du manager de transition – 64 % des missions opérées par des managers de 50 à 59 ans –, un cadre dirigeant qui cherche à rebondir, différemment, avec d’autres règles du jeu.
Olivier Kimmerling a tout juste 44 ans, et un an d’expérience comme manager de transition. A 41 ans, David Ostrowski, affilié lui aussi au groupe Delville (cf. encadré verbatim), est sur le marché du management de transition depuis trois ans. Déjà. Effet de contagion de la génération Z ou Y ? Cette profession est embrassée de plus en plus tôt. « L’idée d’être indexé toute leur vie professionnelle durant à une entreprise ne leur convient pas, commente Rémi Dessertine, directeur associé de Wayden transition. Ils sont davantage dans une logique de contribution, plutôt que de statut. Ils ne sont pas dans l’exhortation mais dans l’action» Coût horaire de la prestation : 1 000 euros. Et un cador – un ancien directeur général, riche d’une longue expérience – peut percevoir le double.
Us et coutumes des entreprises
Qui a recours au management de transition ?
Les entreprises de taille intermédiaire (dont le chiffre d’affaires oscille entre 50 millions d’euros et 1 500 millions d’euros) sont les premières consommatrices, à hauteur de 32 %. Les groupes internationaux et les grandes entreprises françaises sont au coude-à-coude avec respectivement 22 %, et 21 %. Et le secteur industriel reste le premier commanditaire.
Concentration géographique. Rien d’étonnant, l’activité se développe avant tout en Ile-de-France : cinq missions sur dix s’y déroulent. La région Auvergne-Rhône-Alpes arrive loin derrière, avec 11 %.
Source : Fédération nationale du management de transition (Fnmt), avril 2018.
Partage d’expérience – La parole à… David Ostrowski, 41 ans, manager de transition de Delville groupe
« Si les entreprises ne trouvent pas d’écho favorable en leur sein pour faire bouger les lignes, le manager de transition est là pour mener à bien cette tâche »
« Je suis un bâtisseur. Apolitique, avec pour seules obsessions le timing et l’objectif visé. Aucune dérive de temps possible comme dans les grosses boîtes. Pas de cachoteries dans l’espoir de prendre une place. Pas de besoin de reconnaissance. Je ne suis pas donneur de leçons non plus. Un manager de transition est dedans, dans l’opérationnel. Les gars de l’équipe de nuit, ou du week-end, je les connais. Ils me connaissent. Cela ne se passe pas que dans un bureau !
Le fonctionnement par mode projet est privilégié, tout comme dans le secteur automobile, par exemple. Avec l’objectif de multiplier les «quick win». Les réfractaires ? On les décèle vite. Garder le cap est alors indispensable, être optimiste. Ca fait des bébés !
Si les entreprises ne trouvent pas d’écho favorable en leur sein pour faire bouger les lignes, le manager de transition est là pour mener à bien cette tâche. Le leadership, on l’a ou on ne l’a pas. La défaillance est parfois à chercher de ce côté-là. Cette dimension se travaille. Si c’est impossible, l’organigramme peut être changé. Des emplois menacés ? Comment je fais pour travailler «mes reclassements» ? Cela veut dire appeler le Préfet, le directeur général, même à l’étranger… Bouger. Le quotidien m’ennuie vite. »
Formation continue
Une émergence embryonnaire de programmes
Une nouveauté dans le management, et les établissements d’enseignement supérieur s’en emparent. Le management de transition n’échappe pas à la règle, mais ils sont encore peu nombreux à le proposer. Deux ou trois exemples : en collaboration avec H3O, Audencia a mis en place un certificat spécialisé. En 2016, les Mines-Paris Tech a inscrit à son catalogue un certificat, autrefois porté par Paris 9-Dauphine-, développé par le cabinet de conseil et formation Rist. Son nom de code : Hermès. « Ces sessions ont vocation à vitaminer des managers de transition qui ont l’habitude de travailler en solo, explique François Fort, gérant de Rist. Les enseignements portent sur le noyau commun de compétences des consultants et managers de transition. Pâtissier et boulanger sont deux métiers différents, pourtant on trouve bien des boutiques qui annoncent les deux, boulangerie-pâtisserie. » Enfin, après un an de tergiversation, les Mines de Saint-Etienne s’apprêtent à ouvrir, en formation initiale, un mastère spécialisé en management de la transition industrielle.
Murielle Wolski