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On en parle à tout coin de réforme. Elle est rendue obligatoire par la loi. Mais fait-elle désormais vraiment partie de la nature de l’entreprise ? La responsabilité sociale des entreprises (RSE) est bel et bien au cœur des mutations et sert de cap pour faire face aux bouleversements actuels. Mais elle s’applique à des degrés variés.
« Trois Français·es sur 4 déclarent que la question environnementale sera importante dans le choix de leur vote (dont 28 % pour lesquel·les elle sera “très importante”) », résume la dernière enquête d’Elabe de mars 2021 sur Les Français et les enjeux environnementaux. Le message est clair. Les entreprises sont de plus en plus amenées à conduire une politique RSE pour répondre aux attentes des clients. Mais aussi à celles de leurs parties prenantes, salarié·es, actionnaires, fournisseurs, banques, administrations, régulateurs, associations…
Les grandes entreprises sont mobilisées
Plusieurs grands dirigeant·es, comme Blandine Mulliez (Fondation Entreprendre), François Asselin (CPME), Geoffroy Roux de Bézieux (Medef), ont invité les entrepreneur·es, dans une tribune en décembre 2019, à se tourner vers un autre modèle et s’orienter vers le bien commun. « Nous, entrepreneur·es et dirigeant·es chrétien·nes, Medef, CPME, Fondation Entreprendre, invitons les entrepreneur·es qui le souhaitent et le peuvent à tourner résolument leur entreprise vers le service du bien commun, à dépasser les intérêts particuliers pour œuvrer à un développement qui associe esprit d’entreprise, épanouissement des salarié·es, profitabilité, pérennité, innovation, intégration des plus fragiles et respect de la planète. »
Du côté des organisations professionnelles, la CPME depuis décembre 2017 et le Medef depuis janvier 2019 encouragent les entreprises à s’engager dans la RSE. Cinq organisations syndicales (la CGT, la CFDT, FO, la CFE-CGC, la CFTC) ont émis en 2017 avec CPME une délibération commune pour développer la RSE.
La plate-forme RSE, instance de concertation multipartite placée auprès du Premier ministre, gérée par France Stratégie, a lancé en 2017 une expérimentation de labels RSE avec 18 fédérations professionnelles représentant 1 300 000 entreprises. Le bilan dressé par les entreprises et les parties prenantes est très bénéfique. Les initiatives ne manquent pas. Mais…
… les PME ne formalisent pas la RSE
Force est de le constater : les PME ne « suivent » pas. « 45 % des dirigeant déclarent ne pas avoir entrepris de démarche RSE ou une démarche peu développée, ce qui représente près de la moitié », indique la dernière étude de Bpifrance Le Lab.
Le premier frein, le coût. Induit principalement par… la complexité administrative. Pas moins de trois rapports d’inspection sur la RSE réalisés par de hauts fonctionnaires pointent des sommes rondelettes. « L’effort financier que doit fournir une société pour produire son rapport RSE est décroissant avec la taille », souligne un rapport du Sénat d’Élisabeth Lamure et Jacques Le Nay. Peu de PME ont formalisé une démarche RSE face à cette complexité coûteuse.
Une opportunité majeure
Pour les PME, c’est pourtant une opportunité : un moyen de se démarquer et de performer. La démarche RSE va réduire les coûts par un abaissement des consommations des ressources. Elle facilite l’innovation en repensant l’organisation, les produits et les services de manière responsable. C’est aussi un moyen d’identifier les risques afin de les anticiper et de les gérer de manière plus efficace.
Un exemple : dans le secteur du transport, plusieurs entreprises se sont engagées dans la RSE avec notamment des actions d’écoconduite. Le déploiement d’une conduite douce réduit les consommations d’environ 20 %, abaisse de 10 % les émissions de CO2 dans l’air en moyenne, minore les risques d’accidents ou d’infractions et améliore la satisfaction du personnel et des partenaires.
À l’échelle mondiale, les actions sont nombreuses. Aux États-Unis, le Business Roundtable, pris à l’initiative des grandes entreprises américaines, a publié en 2019 une déclaration pour repenser l’entreprise selon la RSE.
Pourquoi cet engouement ? Parce que l’intégration d’une démarche responsable, primo, fait « du bien » à la planète et à ses habitant·es, mais, secundo, génère des bénéfices économiques et sociétaux. Elle vise à l’obtention d’une performance globale.
« 88 % des plus de 200 études analysées constatent que les sociétés qui ont adopté de solides pratiques en matière de développement durable présentent de meilleures performances opérationnelles. 80 % des travaux de recherche analysés montrent que des pratiques prudentes en matière de développement durable ont une influence positive sur la rentabilité des investissements », expliquent les sénateurs.
La finance mise sur les mutations
Les investisseurs introduisent une mécanique d’enrôlement qui bouleverse totalement les modèles jusqu’alors établis. Les plus gros investisseurs, soit ceux qui représentent plus de 54 000 milliards de dollars, sont réunis dans Climate Action 100+ pour garantir que les plus grandes entreprises émettrices de gaz à effet de serre au monde prennent les mesures nécessaires pour lutter contre le changement climatique. L’ensemble des banques et institutions financières dans le monde, telles que le géant BlackRock, ne misent désormais que sur des actifs à impact environnemental, social et selon les modalités de gouvernance.
Dans sa lettre de 2021, Larry Fink, le président du fonds qui représente 6 000 milliards de dollars d’actifs (deux fois le PIB de la France), érige la durabilité des entreprises en l’un des principaux critères d’investissement. « Nous savons que le risque climatique fait naître une opportunité d’investissement historique. » Effectivement, entre janvier et novembre 2020, les investisseurs en fonds communs de placement et en ETF ont investi 288 milliards de dollars américains dans des actifs durables à l’échelle mondiale, ce qui représente une hausse de 96 % par rapport à une période de 12 mois en 2019.
La reprogrammation de l’ensemble des activités et des infrastructures qui devraient être financées pour changer le monde pèse des milliers de milliards. Goldman Sachs, comme d’autres établissements, joue ainsi de tout son poids pour investir dans les changements et les accélérer. « La transition climatique et la croissance inclusive sont les deux piliers qui sous-tendent notre travail, y compris notre engagement de 750 milliards de dollars et notre objectif général de conduire vers une économie plus durable qui fonctionne pour tous », affirme le géant américain. Idem pour Société générale en France : « La transition énergétique doit être juste, écologique et inclusive. Notre offre de solutions financières intègre des dimensions de durabilité pour accompagner nos clients dans leur transition écologique et les associer à nos engagements en matière de développement durable. » L’enjeu est de financer massivement pour changer très rapidement les modèles.
Les dépréciations d’actifs sur les activités carbonées s’accélèrent
Les entreprises trop carbonées ou non respectueuses de l’environnement sont sanctionnées, parfois immédiatement. Des entreprises du secteur de l’énergie connaissent des dépréciations de plusieurs milliards de dollars, en lien avec les questions climatiques à cause de leurs actifs en cours de dégradation. Alors que des entreprises comme TAE Technologies, qui travaillent sur la fusion nucléaire considérée comme énergie d’avenir, connaissent une valorisation.
La RSE devient alors une démarche pour réinventer le modèle d’entreprise avec les opportunités économiques et sociales qui sont liées. Des techs for good, des greentechs, des socialtechs… apparaissent avec des écosystèmes générés par ces changements. Ces nouveaux acteurs accompagnent les acteurs traditionnels dans ces nouvelles trajectoires pour ériger un nouveau monde et, pourquoi pas, revenir à l’origine de l’économie qui, étymologiquement signifie « la gestion de la maison » [commune] ?
Patrice Remeur