Économie verte : les pionniers sont gagnants

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Dans les territoires français, les entreprises engagées dans le développement durable sont formelles : elles tirent des bénéfices de leur engagement en matière économique. Au-delà, d’autres atouts compétitifs sont au rendez-vous : cohésion des salariés, capacité d’innovation et image.

L’économie verte définie par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en 2011 met, certes, l’humain au premier plan : c’est l’activité économique « qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources ». Beau programme qu’un nombre croissant d’entrepreneurs estiment constituer le seul moyen de conjuguer progrès économique et respect de l’environnement. Pas d’illusion : d’autres peinent à franchir le pas. Pourtant, les bénéfices d’un tel engagement et d’une telle orientation stratégique ne s’arrêtent pas à des considérations économiques. Ils impactent jusqu’à l’organisation, la capacité d’innovation ou encore la réputation et le capital intellectuel des entreprises.

Professions vertes et verdissantes…

En France, cette réalité « durable » concerne aujourd’hui près de 4 millions de salariés, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Dares). Les « professions vertes », celles qui portent une finalité environnementale, emploient 144 000 personnes, soit 0,5 % de l’emploi total. Elles sont liées à la production et la distribution d’énergie et d’eau (45 %), à l’assainissement et traitement des déchets (35 %) et à la protection de la nature et de l’environnement (20 %). Les « professions verdissantes », celles dont l’exercice est potentiellement affecté par la prise en compte des préoccupations environnementales, sont beaucoup plus nombreuses : 3 761 000 personnes salariées, soit 14,1 % de l’emploi total. On y trouve le bâtiment (39,5 %), les transports (19,4 %), la recherche (8,9 %), l’agriculture, la sylviculture et l’entretien des espaces verts (6,0 %), etc. Selon l’Insee, le secteur de l’économie verte a mieux supporté la crise que d’autres branches de l’économie nationale en 2009 et 2010 : « Les effectifs des éco-activités ont bel et bien progressé de 4,5 % lors de cette période, malgré la crise de 2009 », note un rapport de l’Institut. « Dans 96 % des cas, l’écoconception augmente les performances globales de l’entreprise en termes économiques, mais aussi de RH, par exemple », assure Samuel Mayer, directeur du pôle écoconception de Saint-Étienne.

L’impact sur le chiffre d’affaires et le modèle : significatif

Peu de mesures formelles quantifient l’impact économique d’une démarche en faveur du développement durable sur le chiffre d’affaires des entreprises. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) s’y est employée qui constate les bénéfices de l’écoconception. Quid ? L’approche tient compte de l’ensemble des étapes du cycle de vie de nos activités, produits et services (de l’extraction des matières premières et de l’énergie à la gestion de la fin de vie, en passant par les transports, la transformation et la fabrication de biens, l’emballage, la logistique et enfin l’utilisation). Selon une étude de l’Agence de février 2018, « l’écoconception amène de façon générale un gain de chiffre d’affaires significatif », avec un impact positif sur les ventes « de 7 % à 18 % ». Au surplus, « les coûts sont généralement réduits par l’écoconception, autour de 3 % en moyenne, de façon certaine et tangible ». Un abaissement qui provient d’une réduction des quantités de matières premières utilisées, des économies sur les postes de transport et logistique induites par l’allégement ou encore par l’effet de l’optimisation et de la simplification des processus de production, gages d’une diminution du temps nécessaire à la fabrication et à l’installation.

Chez Pic Bois dans le Rhône, concepteur de panneaux de signalétique touristique depuis 1990, l’engagement en faveur de l’écoconception a abouti à la commercialisation d’une gamme de panneaux durables, démontables et réutilisables, à partir de ressources locales et durables. « Ce positionnement fut un succès commercial : le produit répond à un besoin non exprimé. C’était un pari ! Au départ, on ne savait pas vraiment où l’on allait. Mais les collectivités ont été séduites par les arguments écologiques, d’autant que le design proposé signifie la naturalité. On voit que ce sont des produits écoconçus », raconte Bruno Chataignon, PDG.

Même son de cloche au sein de l’agence Web dijonnaise Logomotion, vingt ans d’existence. Elle avait entamé une action en faveur du développement durable en s’installant dans un bâtiment passif ® dès 2009. « Dans le cycle de fabrication logicielle, le coût environnemental le plus important apparaît lors de la conception. C’est donc sur le lieu de travail où exercent les développeurs qu’il faut agir pour réduire ce coût », explique Bertrand Laboureau, dirigeant de Logomotion.  Ce n’est que quelques années plus tard, poussé par la demande d’un client, que Logomotion s’est lancé dans le défi de l’écoconception, en développant un savoir-faire spécifique et la mise en place d’un ensemble de bonnes pratiques.  « Le basculement en 2014 dans une démarche d’écoconception logicielle a été une étape charnière dans la vie de l’entreprise. D’un statut d’acteur local, nous sommes passés à une nouvelle stature et sommes devenus une référence nationale sur cette niche », constate Bertrand Laboureau. Pour ces acteurs, l’engagement dans l’économie verte a débouché sur un élargissement de la clientèle ciblée et un accès à de nouveaux marchés.

Si le procédé n’existe pas…

Au sein de la société coopérative des Vignerons du Buzet, dans le Sud-Ouest, l’engagement environnemental a généré un bénéfice tangible en évitant une importante diminution de la part de marché, face à la concurrence grandissante des vins étrangers. Créée en 1953, la coopérative regroupe 188 viticulteurs à bénéficier de l’appellation Buzet, avec 95 salariés qui travaillent à la production pour un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros en 2016. En lançant une démarche de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), où entre l’écoconseption, la coopérative s’est attaquée à plusieurs chantiers : la protection de la biodiversité avec une réduction de l’utilisation de produits chimiques dans les vignes, un packaging éco-conçu, le recours à une énergie 100 % verte pour la fabrication, une optimisation de la logistique (circuits courts, regroupement des achats) et la récupération et la revalorisation des déchets. Impact significatif sur le chiffre d’affaires : la coopérative s’est maintenue dans la compétition mondiale.

Ce qui ne veut pas dire que le parcours ne soit pas semé d’embûches. Chez le fabricant de brosses à dents Bioseptyl, il a fallu se montrer créatif pour « trouver des alternatives aux plastiques à base de pétrole, au cycle de vie très long, difficilement renouvelable et donc dommageable pour la planète », rappelle Olivier Remoissonnet, le PDG de l’entreprise. La PME, dont les produits sont fabriqués dans le Perche, aura beaucoup tâtonné. Pas moins de trois années de développement ont été nécessaires pour identifier les matières premières adéquates et les filières industrielles associées. « Pour minimiser au maximum l’impact, nous utilisons du plastique à base de liège, fabriqué avec des chutes de copeaux issus de la fabrication de bouchons ou encore du plastique à base de coquille Saint-Jacques venu de l’industrie alimentaire. Le tout de source française ! Nous privilégions de plus le plastique recyclé, issu de déchets industriels de l’usine de notre partenaire en plasturgie. »

Chez le même Pic Bois auréolé de succès, cité plus haut, la démarche s’est parfois heurtée à l’absence de solutions sur le marché. « Un de nos premiers chantiers, qui s’est révélé très intéressant en termes de rendement, a été la réduction des solvants. Les alternatives n’existaient pas. On a servi de cobaye aux sociétés qui se lançaient sur ce segment », témoigne Bruno Chataignon. Même difficulté pour l’adoption de matières premières issues des centres de valorisation des déchets : « Nous avons besoin de matériaux dotés de certaines spécificités. Nous travaillons donc dans le cadre d’un partenariat de R&D avec des recyleurs pour développer de nouveaux produits correspondant à nos attentes. »

Facteur d’innovation

Difficultés de mise en place ou pas, aucun des dirigeants ne regrette l’engagement en faveur du développement durable. Les impacts touchent même parfois des aspects inattendus de la vie de l’entreprise.  « Au départ, tout le monde n’a pas sauté de joie à l’idée de tâtonner. Ce n’était pas forcément rassurant, et l’on a vu quelques résistances au changement. Aujourd’hui, l’adhésion est totale », se félicite Bruno Chataignon. Pour Bertrand Laboureau, « c’est un changement de paradigme. En interne, la démarche impose l’excellence. Mais elle apporte également une grande satisfaction aux équipes ». Une étude quantitative, copilotée par l’Institut de l’environnement et l’université Paris-Dauphine, publiée en 2014, avait déjà mis en avant ces effets collatéraux. Les résultats avaient révélé une productivité moyenne par employé 16 % plus élevée que la moyenne dans les entreprises dotées de standards environnementaux (ISO 14001, certification commerce équitable, agriculture biologique, etc.). La cause ? Une motivation accrue des employés, un meilleur taux de formation et de meilleures relations entre collègues, source d’un meilleur environnement de travail. Selon l’étude, « les normes environnementales favorisent aussi une amélioration organisationnelle (par exemple ISO 14001 impose une formation continue des employés et une amélioration continue sur l’engagement environnemental de l’entreprise et son efficacité), de quoi encourager l’innovation, le transfert de connaissance et de retour d’expérience ».

L’étude de 2018 de l’Ademe souligne également ce point : dans les entreprises « vertes », l’on constate « un renforcement de l’engagement des salariés et l’amélioration du fonctionnement interne de l’entreprise », notamment grâce à une « cohésion derrière des valeurs partagées positives », à la « nécessité de fluidifier le partage d’informations entre métiers au sein de l’entreprise ». La démarche « occasionne une montée en compétence des personnels impliqués ». Pour Bertrand Laboureau, « l’engagement environnemental tend à remettre en cause les acquis. Ça crée un contexte favorable à l’innovation ».  .

Bâtiment dépourvu de chauffage central ou autre système actif. Le soleil, l’isolation, les gains intérieurs suffisent même en hiver pour maintenir le bâtiment à une température agréable.

Elsa Bellanger

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