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Aude Guyon, avocate associée chez Fiducial Legal by Lamy, et Joséphine Briand, avocate au sein du même cabinet, reviennent sur l’abus de position dominante de Google.
TRIBUNE. Presque 15 ans après le début de l’affaire, la Cour de justice de l’Union européenne (la CJUE), vient mettre définitivement un terme à l’affaire Google Shopping.
Par un arrêt du 10 septembre 2024, la CJUE, réunie en grande chambre, a confirmé l’amende de 2,4 milliards d’euros prononcée par la Commission européenne à l’encontre de Google pour avoir abusé de position dominante sur plusieurs marchés nationaux de la recherche sur Internet en favorisant son propre service de comparaisons de produits, Google Shopping, au détriment des comparateurs de produits concurrents (CJUE 10 sept. 2024. aff. C‑48/22 P).
Les débuts de l’affaire
Par une décision du 27 juin 2017, la Commission avait infligé à l’époque une amende record de 2,4 milliards à Google pour avoir favorisé, via son moteur de recherche, son service « Google Shopping ». Depuis, ce montant a été dépassé par la nouvelle amende d’un montant de 4,125 milliards d’euros, toujours infligée à Google mais cette fois-ci pour avoir imposé son moteur de recherche sur les appareils Androïd (TUE, aff. T-604/18, 14 septembre 2022, appel en cours devant la CJUE).
Pour revenir sur l’affaire Google Shopping, la Commission avait considéré que Google avait abusé de sa position dominante sur le marché des services de recherche générale, en mettant en œuvre des pratiques d’auto-préférence. Google mettait en avant sur ses pages de résultats, « de manière proéminente et attrayante dans des « boxes » dédiées », son propre comparateur de produits et rétrogradait grâce à des algorithmes d’ajustement les services de comparaison de produits concurrents au-delà de la première page de résultats.
Ainsi, cette présentation de résultats sur les pages de recherche générale de l’entreprise américaine permettait d’augmenter le trafic sur les pages du comparateur de produits Google au détriment du trafic sur les services de comparaison concurrents.
La réaction de Google
Après avoir intenté sans succès un recours devant le Tribunal de l’Union européenne (le TUE) pour voir annuler la décision de la Commission, Google a introduit un pourvoi devant la CJUE.
Dans cette affaire, la CJUE était invitée à déterminer les critères permettant de qualifier une pratique d’auto-préférence sur des marchés du numérique d’abus de position dominante.
Tout d’abord, Google reprochait au TUE de ne pas avoir appliqué les critères établis par la CJUE dans l’arrêt Bronner en cas de refus d’accès à une facilité essentielle.
Sur ce point, la CJUE considère que lorsqu’une entreprise donne accès à son infrastructure mais soumet cet accès à des conditions inéquitables, les critères de l’arrêt Bronner ne trouvent pas à s’appliquer (les conditions issues de l’affaire Bronner portant sur un refus de fourniture d’accès à une infrastructure). Elle considère ainsi qu’en l’espèce Google ne refuse pas l’accès de ses concurrents à son service de recherche générale et aux pages de résultats générales, mais soumet cet accès à des conditions inéquitables.
Ensuite, Google reprochait au TUE d’avoir pris en considération trois éléments, à savoir l’importance du trafic généré par le moteur de recherche générale de Google pour les comparateurs de produits, le comportement des utilisateurs lorsqu’ils effectuent des recherches sur Internet, et l’impact du trafic détourné issu des pages de résultats générales, pour déterminer que l’entreprise Google s’est écartée de la concurrence par les mérites. Selon l’accusé, ces éléments n’auraient pas dû être pris en compte car ils ne se rapportent non pas à la nature de son comportement, mais concerneraient les effets probables allégués du comportement qui lui est reproché.
Une sanction sans surprise
La CJUE rejette l’argument de Google, considérant que les circonstances qui peuvent être prises en compte pour déterminer si un comportement doit être qualifié d’abus de position dominante sont celles qui concernent le comportement lui-même mais aussi celles portant sur les marchés en cause ou sur le fonctionnement de la concurrence sur ceux-ci. Or, les trois circonstances prises en considération par le TUE permettent de replacer les pratiques de Google dans le contexte des marchés concernés, et de déterminer que le succès de Google Shopping et les effets d’éviction sur le marché de la recherche spécialisée pour la comparaison de produits n’étaient pas dus aux mérites de Google Shopping.
Par ailleurs, la CJUE a confirmé que la Commission n’était pas tenue d’effectuer une analyse contrefactuelle pour examiner le lien de causalité entre l’abus allégué et ses effets probables. Si Google pouvait mettre en avant une telle analyse, la Commission est loisible de recourir à différents éléments probatoires, sans être tenue de systématiquement recourir à une analyse contrefactuelle.
De la même manière, la CJUE a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si les pratiques étaient susceptibles d’évincer des « concurrents aussi efficaces », ce test ne revêtant pas un caractère impératif et n’aurait en l’espèce pas été en mesure d’obtenir des résultats objectifs et fiables au vu de l’impact important du comportement de Google sur la concurrence.
En conséquence, la CJUE confirme l’amende de 2,4 milliards d’euros imposés par la Commission à Google. Cette condamnation n’est pas vraiment une surprise d’une part au regard des conclusions de l’avocate générale qui avait invité la CJUE à confirmer l’amende en janvier dernier, et d’autre part, au regard du Digital Market Act qui prévoit une interdiction des pratiques d’auto-préférence pour les contrôleurs d’accès (tels que le service Google Shopping).