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« Start-up Nation » ?
Le monde numérique, son langage, sa croissance, ses levées de fonds et une « asso » pour fédérer tout cela. Qui, quoi, comment, explications.
Vendredi après-midi, début juillet. Les grands départs estivaux n’ont pas encore complètement sonné mais Rachel Delacour, 37 ans, doit déjà jouer avec le planning des enfants, son smartphone collé entre l’épaule et l’oreille, un œil sur son dashboard et une novlangue pour mettre des mots sur son énergie et sa réussite. Il y a 18 mois, elle a vendu sa société, We Are Cloud, éditeur de Bime, un logiciel de business intelligence, aux Californiens de Zendesk, pour 45 millions de dollars, tout en restant CEO de la boîte. Elle fut l’un des premiers membres du board de France Digitale, créée en 2012. « À l’époque, l’écosystème n’était pas structuré, mais cela correspondait aussi à une génération de Business Angels qui investissait. Il y avait beaucoup d’énergie, de bienveillance, explique cette ancienne contrôleur de gestion qui avait lancé sa start-up en 2009. C’était une voix nouvelle, un tipping point, l’occasion aussi de s’engager sur des dossiers : la fiscalité pour garder les talents, défendre cette voix très tech des femmes aussi avec Girls in Tech et Jamais sans Elles. Et, bien sûr, une manière d’avoir le lien avec les VC (Venture Capitalists, pour les non initiés !). »
Indépendante des GAFAM
L’association, née dans le sillage du mouvement des Pigeons – la levée de bouclier lancée par Jean-David Chamboredon, dénonçant le projet de loi de finances 2013 qui avait fédéré des milliers d’entrepreneurs –, affirme clairement ses ambitions, décomplexée sur le réseau business et le think tank d’influence, que co-préside le patron d’Isai avec Olivier Mathiot, co-fondateur de Priceminister, pour faire émerger les champions numériques de demain. « Beaucoup de structures existaient, notamment des structures patronales, mais il manquait de la représentativité au digital qui avait sa propre dynamique, ses propres besoins, en terme de recrutement par exemple, de vitesse de développement, de croissance, etc. », explique-t-on rue Blanche, dans le 9e arrondissement de Paris. Avec huit cents adhérents, dont cent investisseurs du numérique, France Digitale se revendique la plus importante association de start-up en Europe, loin devant les voisins allemands et britanniques qui dépassent à peine le cap des quatre cents. « Avec deux particularités », explique la direction qui, laissant le journaliste un peu pantois, préfère la jouer collectif au moment de citer un nom et un prénom quand l’un prend la parole. « C’est la seule association à fédérer entrepreneurs et investisseurs – ce que même les États-Unis ont du mal à faire, c’est-à-dire un écosystème non fracturé entre ceux qui cherchent et ceux qui investissent ; c’est aussi un think tank qui n’est pas le faux-nez des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Nous ne dépendons en effet que de nos cotisations, qui sont proportionnelles au CA des entreprises qui nous rejoignent, ce qui permet une vraie accessibilité, que l’on soit une TPE du Bas-Rhin ou Blablacar. » Une adhésion libre, sans parrainage ni cooptation, pour être au contact des VC et bénéficier de la dynamique entretenue par les six permanents qui animent le réseau. Via un grand France Digitale Tour cette année, des rencontres autour de best practices sans oublier l’organisation de crunch avec les CTO, les CFO ou les CMO, comme dernièrement celui de Facebook, de passage en France.
Surtout pas d’entre soi
Un réseau open, d’investisseurs et d’entrepreneurs, mais assez parisiano-centriste dans les faits ? « Nous sommes France Digitale, pas Île-de-France Digitale ni Hexagone Digitale, parce qu’aujourd’hui, une PME doit forcément accomplir sa révolution digitale. Une PME dans la Creuse est forcément sur Google Map, utilise un CRM, etc., souligne l’association. Nous sommes là pour soutenir ça, au sens le plus large, au-delà même de nos frontières pour la rayonnement des entreprises françaises. Toutes les structures sont concernées, c’est d’ailleurs pour cela que nous avons des ambassadeurs identifiés en région. »
Mickaël Froger fait partie de ceux-là. CEO de Lengow, qui vend des solutions e-commerce depuis Nantes, il pointe combien « il est encore complexe pour les start-up régionales d’accéder à certains financements, faute de connections suffisantes avec Paris où sont concentrés les fonds de capital-risque et les Business Angels ».
Parvenir à un marché européen unique du digital
Le gouvernement a annoncé son intention de faire de la France une Start-Up Nation. France Digitale a déjà participé au mouvement FrenchTech, à la Banque Française d’Investissement, et contribué aux réformes du Code du travail « qui ne correspond guère aux besoins ni aux réalités des start-up, à la protection sociale aussi », explique Rachel Delacour. « Ce qui est visé, c’est une réforme européenne puisque, s’il est facile de vendre des allumettes dans toute l’Europe, c’est une tout autre histoire dans le numérique : il existe 27 législations dans la data. L’objectif est de parvenir à un marché unique du digital. »
La masse critique de FD lui permet d’être centre de ressources (avec un baromètre annuel sur la performance économique et sociale des start-up numériques) et un interlocuteur des pouvoirs publics, comme ce fut le cas sur la loi Travail ou les mesures fiscales, avec des échanges jusque Bruxelles avec la Commission Européenne et les parlementaires, comme sur les conséquences du Brexit ces derniers mois. Et Rachel Delacour de pointer : « J’ai toujours voulu recruter en France, y laisser mes capitaux, même après avoir été rachetée. Mais tout cela ne se fait pas seul. France Digitale a pris le pari de gérer la complexité du débat. Quant à nous, désormais dans la peau d’un BA, c’est aussi un moyen de redonner à la communauté. Quatre, cinq, six générations d’entrepreneurs où il y a du lien, c’est aussi ce qui a fait le succès de la Silicon Valley. »
Olivier Remy