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Le rêve américain
L’entrepreneur Reza Malekzadeh, revient sur ses succès et surtout ses échecs dans la Silicon Valley. Terriblement instructif.
«J’ai commencé ma carrière par un échec, lance Reza Malekzadeh, aujourd’hui responsable business de Cumulus Networks à San Fransisco. Mon diplôme HEC en poche en 1995, j’ai souhaité revenir travailler dans une start-up de technologie dans laquelle j’avais fait un stage. Peu de temps après mon embauche, elle a fermé ses portes. C’était un 24 décembre et j’avais jusqu’à la fin de mon visa, soit 30 jours, pour trouver un nouvel emploi. » C’était au moment où les start-up de la nouvelle économie allaient de mal en pis. Le système américain, dans ses extrêmes, fabriquait des fortunes tout autant qu’il laissait les collaborateurs sur le carreau. « J’ai surtout été surpris par les réactions des personnes employées dans cette start-up qui, comme moi, étaient licenciées. Chacun était touché mais tous se disaient « Cela n’a pas marché, tant pis. Un autre job nous attend ailleurs. » Leur réaction était agréable à entendre et à vivre, même si la pression était plus forte pour moi. J’avais 30 jours pour m’en sortir ! »
HEC ? Inconnue aux US
Le brillant étudiant, tout droit sorti d’HEC après son MBA Marketing et corporate strategy, n’était pas préparé à un tel revers. L’échec n’entrait pas dans les programmes de l’école destinée à former les grands décideurs de demain. Il adopte le positivisme ambiant et se met en quête d’un nouveau challenge. « HEC était, à l’époque, inconnue dans la Silicon Valley, avance Reza Malekzadeh. Si en France, le réseau est plutôt fort, ce n’était encore pas vraiment le cas aux Etats-Unis. Pourtant, quelques anciens, installés outre-Altantique, m’ont donné de précieux contacts. » Premier challenge relevé : il dégote un emploi en moins de 30 jours… NetCarta lui confie le poste de chef de produits junior pour les logiciels de cartographies qu’elle développe. « La croissance de cette entreprise était intéressante, car ses produits avaient la bonne techno, au bon moment. » Une analyse que le jeune professionnel concède après avoir vécu l’échec de la première entreprise qui l’a embauché. « J’ai tout de suite beaucoup réfléchi sur les causes de l’échec de cette start-up, confie-t-il. Dans les domaines très technologiques, la notion de marché est primordiale. Une entreprise peut échouer parce qu’elle a raison trop tôt, et du coup est en avance sur son marché et mal positionnée. C’était le cas de la première start-up pour laquelle j’ai travaillé. Mais pas celui de NetCarta qui était dans le bon timing. A tel point qu’elle a été rachetée par Microsoft un an après mon arrivée. »
En phase avec le marché
Une faillite, un rachat par une major, Reza Malekdazeh connaît les deux facettes du rêve américain et affine sa perception du business. Une expérience qu’il met au service de son propre projet en 2003. Il co-fonde Twingo Systems qui propose des solutions en sécurité informatique. « Nous avions développé une technologie hardware et software pour laquelle nous avions levé des fonds et réussi à vendre l’ensemble, se souvient le dirigeant. Pourtant, au début de la crise, les entreprises sont réticentes à se lancer dans un investissement conséquent, même si notre idée était bonne. Nous avons dû faire un choix difficile : jeter toute la partie hardware pour ne nous concentrer que sur la commercialisation du software. La proposition de valeur a été réduite, marketée et commercialisée. Nous avons trouvé des clients mais surtout un acquéreur. » Cisco Systems a racheté Twingo Systems début 2004. Reza Malekdazeh intègre alors les rangs de Cisco Systems pour deux ans, fort d’une nouvelle expérience sur le positionnement marketing et technologique d’une solution. « Les produits de Twingo Systems étaient au départ inadaptés au marché de l’époque. Il a fallut les repositionner rapidement. Dans ce cas-là, les décisions doivent être rapides et pragmatiques. » L’essence même des start-up dont l’agilité leur permet d’être en phase directe avec le marché.
Premier non-ingénieur
Sa principale leçon apprise aux Etats-Unis ? « Si le produit va à l’encontre du marché, c’est toujours le marché qui gagne. Pas le produit. Ce n’est pas la meilleure technologie qui connaît le succès, mais celle qui résout le problème du client au bon moment. » Ce sont désormais ces critères que le Français de Californie scrute pour s’engager dans une aventure professionnelle. « Je suis généralement le premier non-ingénieur à rejoindre une entreprise, expose le spécialiste du marketing. C’était le cas chez VMware, Nimbula (rachetée par Oracle) ou dernièrement chez Cumulus Networks. J’arrive quand la R&D est terminée, que la techno est prête et qu’il faut la transformer en un produit à vendre. Les bonnes réflexions portent ainsi sur la maturité du projet par rapport au marché visé et la qualité des équipes que l’on rejoint. Car on ne peut changer ni les hommes, ni le marché. » En revanche, trouver des business models adaptés et des services différenciants est la religion de Reza Malekdazeh. « J’ai vu de superbes technologies se planter, car la technologie en soi n’est pas un élément différenciant. »
De rebonds en apprentissages, Reza Malekdazeh a trouvé, en Californie, le bon terrain de jeu. « J’ai essayé de revenir en Europe quand mon entreprise a été rachetée par Cisco Systems. Mais dans mon domaine du software et des nouvelles technologies, je n’ai pas trouvé le même niveau de R&D qu’en Californie. » L’état d’esprit y est aussi très différent. « Si on commence sa carrière en France par un dépôt de bilan, la suite est plus compliquée. Aux Etats-Unis, c’est un sujet dont chacun parle très ouvertement et plutôt que l’accabler, on lui demande ce qu’il en a retenu. » Transformer l’échec en opportunité et en bonne expérience fait décidément partie intégrante de la culture américaine..
Stéphanie Polette