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Menhir atypique
Le groupe SOS, géant de l’économie sociale et solidaire (ESS), bouge les lignes depuis 30 ans. Grâce à son patron trublion…
Les chats ont sept vies, et Jean-Marc Borello pourrait bien concurrencer les félins. Son vécu haut en couleurs lui a d’ailleurs permis de façonner le groupe SOS, géant à part de l’ESS de 13000 salariés qui intervient dans six secteurs, pratiquant 30 à 40 métiers pour 650 millions d’euros de CA. Les 350 établissements, principalement des sociétés d’insertion autofinancées et des associations, sont regroupés en une unique structure qui impressionne par ses résultats. « Depuis cinq ans nous progressons annuellement de 20% grâce à une présence dans des domaines très variés. Il n’y a donc pas de raison que le rythme se tasse. Dans cinq ans nous aurons donc vraisemblablement doublé de volume », se réjouit celui qui a été fait Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur en 2000.
Iconoclaste, baroudeur, fonceur
Ce fils d’un père militaire de carrière et d’une mère salariée de Pechiney, élève peu assidu, enfant fugueur, réussissant juste à décrocher le Bac, suit un parcours aussi rectiligne qu’un sentier de montagne. Educateur spécialisé, travaillant dans un centre d’accueil pour jeunes délinquants, il se fait remarquer en jouant à la perfection les grands frères pour un «gamin» réputé inassimilable. En 1982, avec la gauche au pouvoir, on lui propose de rejoindre la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt). Puis, il part prêter main-forte à Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur et maire de Marseille. Sa rencontre avec Régine, la reine des nuits parisiennes, change tout : il se transforme en patron de boîte de nuit. Dirigeant son petit groupe d’hôtels et de restaurants à partir de 1986, il devient sans vraiment le vouloir entrepreneur – il se serait formé au départ en lisant un «Que-sais-je ?» sur les sociétés commerciales ! – réussissant à s’offrir le restaurant Ledoyen puis la célèbre boîte de nuit le Palace. Mais la police trouve quelques pilules d’ecstasy dans la poche d’un client. Il est condamné à six mois de prison avec sursis pour avoir « facilité l’usage de drogue par mise à disposition de locaux ». Un comble pour cet ennemi de l’addiction. L’établissement est fermé, le groupe Régine ne s’en remettra pas. « Ces expériences m’ont fait comprendre que je ne changerais pas le monde depuis un cabinet ministériel, alors que dans l’univers de l’entreprise, les effets des décisions se font ressentir tout de suite » tranche-t-il de son accent méridional. Ayant fondé en 1985 SOS Drogue International, il décide de pleinement s’investir en 1988 dans ce groupement d’associations et d’entreprises vouées à lutter contre l’exclusion.
Vous avez dit structure bizarre ?
L’organisation est hybride, étrange, grande à l’image de son fondateur de 1m92, devenu sans le vouloir l’archétype de l’entrepreneur social. A l’inverse des pratiques administratives tendant à cloisonner les types d’exclusion, l’entité intervient dans l’accueil des toxicomanes et des SDF, des handicapés, des jeunes en difficulté… « Nous sommes innovants sur les actions, n’hésitant pas à aborder, contrairement à 90% des autres associations, plusieurs thèmes : actions sociales, emploi, etc., car nous pensons que tout est lié : lorsqu’il y a des problèmes d’alcool ou de drogue, il y a généralement des problèmes de travail et de logement », explique celui qui a été maître de conférence à Science Po Paris sur l’économie sociale de 1998 à 2003. Cet acteur du commerce, de la restauration ou de l’import-export joue les « solutions providers » pour ceux qui ont été marginalisés. « Le groupe s’est positionné au fil des années sur la reprise d’entreprises en difficulté, la création d’entreprise, l’expérimentation de structures sociales. Nous intégrons constamment de nouveaux secteurs et métiers, comme récemment celui d’entrepreneur culturel », illustre-t-il. Une révolution permanente rendue possible d’une part par les dispositifs d’innovation, qui permettent de remonter les projets et propositions des 350 établissements, mais aussi par les propositions des pouvoirs publics pour reprendre des structures en difficulté. « Les associations en Lorraine, qui s’occupaient d’hôpitaux et de maisons de retraite, perdaient annuellement 27 millions d’euros quand nous les avons reprises il y a trois ans. Aujourd’hui elles gagnent un million d’euros », cite le Méridional. A cause de cette singularité, le groupe n’a pas de concurrents aussi transversaux. « Ceux qui sont en face de nous sont plutôt des entreprises du secteur lucratif qui officient seulement dans quelques-uns des domaines que nous traitons. » Un GIE, constitué de jeunes diplômés d’HEC, X ou Sciences-Po, centralise la recherche de fonds pour l’ensemble des associations, la communication et la comptabilité. Grâce à ses statuts d’ESS, les dividendes ne sont pas redistribués à des actionnaires et les bénéfices sont réinvestis chaque année. SOS se développe désormais à l’international, récemment aux Etats-Unis dans la Silicon Valley, en reprenant par exemple un restaurant d’entreprise au pied d’Oracle, au Texas, à Hong-Kong, au Maroc ou en Tunisie pour ouvrir des incubateurs ou pépinières d’entreprises comme à Bobigny
Une seule règle : pas de règle
Ce conducteur d’une Lexus hybride, qui ne mène pas un train de vie de grand patron – les écarts de revenus sont plafonnés de un à dix – a introduit son état d’esprit aux ouailles de l’open space qui l’entoure, et même à tout le groupe : la culture du résultat. « Nous recherchons toujours les économies d’échelle et la rentabilité dans nos actions. Dans les entreprises de réinsertion, l’aide publique ne dépasse pas les 5% du CA, nous devons donc nous débrouiller avec des salariés réputés inemployables », aime à rappeler celui qui n’a pas hésité à passer par deux plans de sauvegarde de l’emploi concernant 200 personnes, et 11 licenciements secs pour les associations de Lorraine. « Mais depuis nous avons rétabli et créé des établissements dans la région qui ont créé autant d’emplois, et même plus. » Le résultat, toujours le résultat pour celui qui mêle jeunes diplômés, ex-cadres de la fonction publique et autodidactes dans ses équipes. « Ayant plus d’argent, je peux maintenant embaucher des seniors, ce qui permet d’obtenir aussi une diversité d’âge », déclare le premier président du Mouves. Cette communauté d’entrepreneurs sociaux s’entraide et a poussé certains textes de la loi Hamon. L’autodidacte est désormais un dirigeant qui fait référence : « Il existe trois types de management : le charismatique lorsque la société se crée et que le patron parle d’un monde qui n’existe pas, l’autoritaire lorsqu’il s’agit de tenir la vision et de ne pas changer d’objectif, le politique lorsque l’opérationnel est rempli par d’autres. Je crois être passé par toutes les cases. » Mais s’il porte la bonne parole aujourd’hui, il est fort à parier que cet hyperactif relèvera d’autres défis.
Julien Tarby