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Sa marque d’optique est devenue une légende.
Tout sourit aujourd’hui à Caroline Abram qui s’était crue condamnée à vendre des montures industrielles enfermée dans une boutique. Puis long tunnel où elle enfile des perles au Sénégal. Dix ans d’artisanat besogneux en appartement avant qu’Opra Winfrey ne chausse l’une de ses montures. Sa success story de rebond est une suite d’enchaînements gagnés. Admiration.
Au lycée, elle rêve de suivre les cours d’une école d’art. Pour sa mère, c’est inenvisageable. Elle rêve, elle, pour sa fille Caroline d’un métier « sérieux ». Elle « fera optique », et après, on verra. « Je me suis laissé faire, même si, sans que je sache pourquoi, j’avais envie de manipuler la pierre ou le marbre », explique-t-elle. La matière, la jeune femme finira par en faire son métier. Pour l’heure, avec un père ophtalmologue et une mère opticienne, c’est tout naturellement qu’elle s’engage dans la voie choisie par ses parents. Diplômée, Caroline Abram travaille dans le magasin… de sa mère, Annette Hoffman (Opta Créateurs). « Rester coincée dans un même endroit fixe six jours sur sept, toute la journée, ce n’était pas vraiment pour moi. Je le vivais comme un enfermement », raconte Caroline. Elle a 20 ans. La voilà au Sénégal où vit désormais son père. Elle identifie un commerce de jolies perles. Idée : ça ferait une belle chaîne… de lunettes. Des représentants commerciaux la mettent en relation avec les grands magasins parisiens. Rapidement, son concept séduit. « J’avais deux vies, parallèles. Le jour, je travaillais dans la boutique de ma mère. La nuit, j’enfilais des perles, sans jeu de mots. Il y en avait partout dans ma chambre. Je n’avais plus de temps pour mes amis. Ils venaient chez moi, et ensemble, on se mettait à l’ouvrage. C’était la seule façon de les voir. Ils avaient fini par me surnommer Pénélope, par allusion à la femme d’Ulysse, toutes les nuits accaparée par son tissage… » Elle développe aussi des faces-à-main (de petites lunettes bijoux de lecture à la façon de sautoirs) et fréquente de nombreux salons pour promouvoir sa production. « Je me suis dit, tant que ça marche, je continue. Et ça fait vingt ans. »
Un travail très artisanal…
Elle est loin de soupçonner l’envergure que prendra son business. À l’époque, elle se rend de plus en plus souvent au Sénégal. La population locale la regarde travailler dans le jardin. Elle apprend que des femmes cherchent du travail. Elle les embauche. Et monte un atelier de fabrication. Douze dames contribuent à cette petite aventure. Les choses se structurent : Caroline monte une entreprise au Sénégal et une autre en France. Son travail reste besogneux, artisanal, sur un petit bureau dans une pièce au fond de son appartement de la rue Lepic à Paris. « Je n’étais pas du tout organisée pour grandir et je n’avais aucune idée de ce que ce projet allait devenir. »
… qui va rapidement prendre de l’ampleur
Caroline Abram a 30 ans. Dix ans après ses débuts, elle décide de s’installer dans des bureaux de 45 m2 qui deviennent rapidement trop petits. Elle migre pour 200 m2. 2018 : ce sera carrément la construction d’un immeuble de 800 m2, à Romainville.
Dès 2008, elle s’était lancée dans la conception de montures de lunettes. « Quand j’ai créé ma première collection, c’était la mode du rétro ou du rectangulaire. J’étais complètement à contre-courant avec mes lunettes papillon très colorées », reconnaît-elle. Pourtant, elle a l’intuition que les clientes aspirent à des lunettes plus féminines. Tout le monde n’a pas adhéré, mais elle trouve quelques ambassadrices totalement fans de ses montures. La plus connue ? Sans doute aucun Oprah Winfrey. Sonia Rolland et Marilou Berry sont elles aussi adeptes. Une pluie de signaux favorables s’abattent sur elle, y compris certains très anecdotiques. « Un jour, à l’aéroport de Sidney, l’hôtesse prend mon billet. Je croise son regard et… je constate qu’elle porte des lunettes que j’ai dessinées. J’étais vraiment heureuse et lui en ai offert une nouvelle paire », raconte-t-elle.
8 millions d’euros de CA et une croissance de 40 % par an
Le sens du business, Caroline Abram l’a dans la peau. « Je suis câblée comme ça. Je sais prendre des décisions rapidement », souligne-t-elle. Des erreurs, elle en commet bien sûr, notamment pour choisir ses fournisseurs. « La fabrication, c’est un vrai casse-tête, notamment à cause du non-respect des délais. J’en ai pleuré plusieurs fois. Mon conseil aux entrepreneurs : il faut les diversifier, mais ce n’est possible qu’à partir d’un certain volume. » La fabrication de ses produits se ventile désormais un peu partout dans le monde, en France, en Italie, en Chine, à Hong Kong et au Japon. Autre défi majeur : le plagiat. Elle est immensément copiée et tente de se battre contre ce fléau. Il n’empêche que son entreprise réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros. Avec une croissance de 40 % par an, sa marque est présente dans près de 70 pays et fait travailler une vingtaine de personnes, sans compter les représentants.
Caroline envisage de quitter Paris avec son mari et ses deux enfants pour s’installer à Hong Kong, tête de pont de sa conquête de parts de marché en Asie. Elle a d’ailleurs prévu de déployer des collections spécifiques pour tenir compte du physique des femmes asiatiques. Vingt ans après ses débuts, elle est évidemment fière de sa réussite, mais se décrit comme une éternelle insatisfaite. « Je veux toujours faire mieux. » Elle a déjà si bien réussi à éclairer le regard !
Ariane Warlin