Des pauses-café plus joyeuses qu’ailleurs…
Des pauses-café plus joyeuses qu’ailleurs…

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Créations éthyliques

A côté de l’épicerie gastronomique familiale, Nicolas Julhès, entrepreneur passionné, a réussi à ouvrir une distillerie. Rencontre rue du Faubourg Saint-Denis, la nouvelle route du Rhum…

«Notes de fleurs, de bananes, d’agrumes… » Les appréciations, laconiquement déclamées, retentissent dans l’atmosphère froide d’une cour du Xe arrondissement de Paris. Non il n’est nulle question ici de vin, mais bien d’alcools forts comme du gin, de la vodka ou du rhum. Le Galabé est à l’origine un jus de canne concentré de la Réunion, dont la recette a été quelque peu oubliée. « Ce breuvage est intéressant aromatiquement, nous le diluons et le distillons ensemble, en faisant du co-branding, pour créer le premier rhum de Paris », s’enthousiasme Alexis Rivière qui a fondé la société Payet & Rivière du nom de ses père et grands-père, importe du sucre et travaille avec nombre de chefs étoilés. Pour ce faire, il a trouvé la seule distillerie de Paris que gère d’une main de maître l’entrepreneur Nicolas Julhès, de manière originale et passionnée.

Alambic lutécien

Derrière les trois boutiques de la Maison Julhès – fromagerie, charcuterie, vins & spiritueux, puis boulangerie & pâtisserie, enfin antipasti & produits du monde – un long couloir mène à une petite cour parsemée de tables et de plantes nichées dans de vieux pots recyclés. Au fond de ce lieu apaisant, à l’abri de l’animation de la rue, la porte vitrée d’une bâtisse laisse entrevoir des équipements pour le moins hétéroclites ici : fûts, pompes, machines à embouteillage ou étiquetage, et surtout une araignée de tuyaux et de mécanismes. « Notre alambic n’est pas traditionnel, il est amélioré pour créer un alcool fidèle au goût du produit de base ; il existe une certaine transitivité dans le goût et la texture », soutient Nicolas Julhès, chef d’orchestre qui actionne des manettes pour moduler la circulation des vapeurs et ainsi ciseler le goût de l’alcool blanc qui sort avec un degré compris entre 65 et 80. C’est ensuite le bois qui le colore. « Nous ne faisons pas du vieillissement mais de l’élevage, l’âge n’est pas aussi important que dans les vieilles maisons de whisky, nous travaillons le goût », déclare-t-il en artiste. L’entrepreneur tenace a longuement bataillé avec l’administration pour concrétiser ce projet, qui relevait plus du rêve que de la rationalité. « L’investissement s’élève environ à 400000 euros dans la durée. Avec mon frère-associé nous avions un apport ; j’ai vendu un appartement pour cette aventure », explique celui qui est aussi passé par le financement participatif et KissKissBankBank. « Le crowdfunding n’est pas une simple lettre au Père Noël, nous avons mené une campagne sérieuse deux mois durant, récoltant 40000 euros. Somme bienvenue, eu égard aux dépenses de production et d’expédition qu’occasionne cette activité capitalistique. Mais cette opération a surtout été un bon coup de communication, permettant de constituer une communauté de sympathisants au-delà des frontières, aux Etats-Unis par exemple », décrit le passionné qui propose d’acheter en ligne du gin à l’architecture bergamote-genièvre, des flavoured vodkas, Brandys et autres rhums ambrés aux épices.

Philosophie anti-terroir

« Nous sommes toujours en quête du bon et de l’esthétique. Il ne s’agit pas de surfer sur les tendances marketing. Mais nous restons aussi ouverts aux collaborations atypiques pour innover. Nous ne voulons pas nous enfermer dans des traditions sclérosantes », précise-t-il en dégustant. Il a donc choisi la capitale parce que c’est un lieu de rencontres, d’échanges insolites, d’énergie créatrice. « Nous avons deux ennemis : les adeptes du « small is beautiful », et les « locavores ». Ce n’est pas parce que nous sommes au cœur de Paris que nous sommes cools. Nous sommes des adeptes de la qualité, pas du marketing. » Une ligne directrice qui est suivie à la lettre. « Prenez l’exemple des fûts : les gens croyaient que nous allions travailler avec des fûts d’occasion hérités de maisons anciennes, comme cela se pratique dans le whisky. Mais nous avons passé un accord avec le tonnelier Seguin Moreau qui nous en a concoctés des plus petits que la moyenne, adaptés à la micro-distillerie. Le volume bois différent fait donc varier le goût », déclare-t-il, avouant beaucoup s’inspirer du Cognac, « où la tradition de distillerie date de cinq siècles. Ce n’est pas pour rien que la Spirit Valley est connue des initiés dans le monde entier ».

Food entrepreneur de nouvelle génération

Acquérant aussi des eaux de vie d’une dizaine d’années pour les élever avec ses fûts, afin de les revendre sous la marque Fine de Bordeaux, il sait transmettre sa passion, notamment lors de ses passages sur une émission food d’Europe 1 ou au JT de France 2. Le référencement au Bon Marché ou à Lafayette Gourmet, puis dans d’autres villes comme Marseille ou Montpellier, démontrent que son histoire et le lieu insolite de production ne laissent pas insensibles. « Nous avons ce même esprit communicatif et collaboratif, propre à certains entrepreneurs évoluant dans l’alimentation », remarque Alexis Rivière, membre du collectif de start-up Génération Food. Nicolas Julhès, qui fait aussi du conseil en stratégie marketing et de la formation pour des marques de whisky et groupes de vins et spiritueux, s’inscrit dans cette mouvance. « Il est plus facile qu’il y a 15 ans de transmettre la passion pour notre produit. Le contexte a changé. Au salon Omnivore nous avions l’impression d’être le G8 de la nourriture, le centre de la planète. Les gens s’y intéressent vraiment, redécouvrent le patrimoine, le bon et l’élégant. Bien sûr le côté statutaire joue, il est agréable pour certains d’afficher leur condition par les produits qu’ils consomment, mais ils finissent par s’habituer au bon », remarque celui qui avoue emprunter le sillage des micro-brasseries. « Nos concurrents sont rares, et c’est dommage, car le secteur gagnerait à être plus connu. »

Parcours atypique

Sur le papier il était tout bonnement impossible d’ouvrir une distillerie au centre de Paris depuis un siècle. C’est dire l’entêtement du jeune homme de 38 ans, qui en quatre ans a su convaincre les douanes, la mairie et beaucoup d’autres. « Il est incroyable de constater le nombre de services qui détiennent le pouvoir de dire « non ». Je voulais deux distilleries, qui auraient produit des alcools différents mais compatibles. Les douanes n’ont même pas ouvert mon deuxième dossier. » Le Bac en poche, il est parti travailler aux Etats-Unis pour revenir en 1996 afin de débuter l’aventure entrepreneuriale Julhès avec ses parents et son frère. Un choix de vie qu’il ne regrette aucunement, occupé à disserter sur des créations alcoolisées tout en aménageant des rayonnages afin d’occuper au mieux l’espace, en bon Parisien…

Julien Tarby

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