Les paradoxes de Luc Ferry sur le bonheur

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Disons-le d’emblée, afin d’éviter toute équivoque : Luc Ferry est un ami. J’ai pour lui respect et admiration. Il m’a apporté, comme à beaucoup, tant de bonheur avec « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? », que je suis décontenancé par la lecture de son dernier ouvrage « 7 façons d’être heureux ». Il est vrai que dans ce dernier ouvrage l’auteur est moins soucieux de « cette pluralité même des réponses qui supposent une forme de sagesse », qu’il affirmait dans la recherche d’une vie réussie.

Commençons, paradoxe oblige, par les points de convergence. À l’opposé du moi-je, c’est le moi-nous : je me réalise en connexion avec les autres. Luc Ferry rejette la quête du bonheur pour soi seul grâce à un travail centré sur son ego. Il est vrai que le marché de l’individu, avec ses recettes pour faire de nous des winners, prétendre que le succès ne dépend que de nous, est truffé de balivernes.

Pas d’amalgame. Pour les optimistes, ce qui nous fait réussir, c’est d’abord le regard des autres, le travail en équipe, la mise en réseau, l’intelligence sociale. À l’opposé du moi-je, c’est le moi-nous : je me réalise en connexion avec les autres. Le philosophe en appelle constamment, à l’encontre – selon lui – des idéologies consolatrices mais funestes, à la réflexion, à la lucidité.

Nous sommes des optimistes lucides. Les optimistes béats sont les extrémistes de l’optimisme. Nous ne rêvons pas d’un monde plus beau qu’il n’est. Nous savons que la vie est belle à proportion qu’elle est féroce. Nous affirmons que l’optimisme est d’abord nécessaire pour faire face aux épreuves de la vie. Quand ça va bien, on peut même avoir des états d’âme. C’est face à la difficulté qu’il convient plus encore de mobiliser des énergies positives. D’ailleurs, c’est ce que font celles et ceux qui traversent les pires galères et se battent de toutes leurs forces pour s’en sortir.

Luc Ferry prône la pensée élargie, ouvrir les fenêtres, apprendre et créer, inventer et bâtir. Ne faut-il pas pour faire tout cela, par exemple être chef d’entreprise, une bonne dose d’optimisme ? Faut-il, comme le lapin pris dans les phares, rester obsédé uniquement par ce qui est moche, triste, effrayant ? Une bonne hygiène de vie consiste à savoir aussi orienter son regard vers ce qui beau, positif, vers ce qui fonctionne, les créateurs, les innovateurs, les entrepreneurs, ceux qui apportent des solutions au lieu de créer des problèmes, toutes ces initiatives économiques, sociales, culturelles qui montent chaque jour du terrain et portent l’espoir.

L’auteur condamne l’ignorance crasse des réalités du passé, rejette l’idéalisation de la France d’hier pour mieux noircir celle d’aujourd’hui. Les optimistes considèrent cette nostalgie de l’âge d’or, de ce passé qui ne reviendra jamais, comme une démission. Ils mettent en avant, malgré les crises, les atouts durables de la France et de la civilisation européenne.

Après cela, me direz-vous, à quelques détails près, où sont donc les points de désaccord ? La divergence centrale porte sur le fait que Luc Ferry jette le bébé de la psychologie positive avec l’eau du bain du bonheur. Il réfute du même coup toutes les avancées des recherches scientifiques, qui prouvent que pensées et émotions sont connectées dans le bon ou le mauvais sens, que nous avons en nous des ressources naturelles pour aller mieux et créer de l’entrain autour de nous. Il décourage toute personne de faire un effort sur elle-même pour éviter ce pessimisme funeste qui atteint notre moral collectif comme il gâche des chances sur le plan individuel. Pour aimer les autres, il faut se respecter soi-même à commencer par l’utilisation de toutes ses capacités personnelles. Luc Ferry en vient même, au nom de la platitude anti-tragique, à douter de l’intérêt du jogging, de la diététique, des bienfaits du sourire et, au nom de la dimension du sens, des intentions de ceux qui militent dans un groupe ou donnent du temps à une association. Faudrait-il, pour être vraiment heureux, mépriser son corps, se laisser aller, faire la gueule ? Faudrait-il que l’altruisme, la bienveillance, l’engagement de ces millions de Français engagés dans le bénévolat soient incompatibles avec le fait d’en tirer aussi un accomplissement personnel  ? Après avoir fait le constat des convergences et des divergences, concluons par un souhait qui s’applique aux philosophes, en général, et à Luc Ferry en particulier : un phare est fait pour donner de la lumière, non pour accompagner vers les ténèbres.

Thierry Saussez

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