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Pour cette chronique, suivez-moi dans un petit exercice d’imagination.
Imaginons…
Imaginons que nous sommes PDG d’un Groupe du CAC40. Nous sommes le capitaine d’un gigantesque paquebot qui vaut 19 Milliards d’euros, et emploie 100000 personnes. On gère cet empire, notre agenda se réserve deux ans à l’avance, on incarne le pouvoir et la toute-puissance. Même si en réalité, on n’a pas le droit à l’erreur, il y a les actionnaires, la pression est maximale, le rythme est intense… Et puis un beau matin, on sent un petit ganglion, on va consulter. Et là, tout s’enchaîne très vite : cancer, opération, rayons, fatigue, changement physique… On n’a qu’une envie : être tranquille. C’est vrai, qui ça regarde ? Personne ! Et pourtant… Pourtant, les rendez-vous les réunions les voyages s’enchaînent, et il faut bien lever le pied… Alors, faut-il le dire, donner la raison de ses absences, de ses déplacements annulés ? Mais alors à qui ? A son cercle proche, à ses 100.000 salariés, au monde entier ?
Vous, quel choix auriez-vous fait ?
J’ai imaginé que j’étais ce PDG, et je ne sais pas si je l’aurais eu, moi, le courage d’Arthur Sadoun, PDG de Publicis.
En janvier dernier, à Davos, il témoignait devant 200 dirigeants mondiaux sur son cancer, diagnostiqué à 51 ans, à quelques mois de la décision que devaient prendre ses actionnaires sur le renouvellement de son mandat. Il aurait été plus «prudent», a-t-il expliqué, de le cacher. De quoi rappeler qu’un salarié sur deux a peur de révéler sa maladie à son employeur, des craintes des conséquences que cela aurait sur sa carrière.
Arthur Sadoun a fait le choix de briser le tabou de la fragilité dans l’entreprise, à contre-courant du dogme délétère de l’invincibilité. Ce dogme, c’est celui qui nous enjoint non pas à performer, mais à surperformer, non pas à être bons, mais à être les meilleurs, non pas à être nous-mêmes, mais à être infaillibles, du moins à le faire croire : jeunes, beaux et en parfaite santé… C’est-à-dire inhumains, au sens premier. Puisque la fragilité est constitutive de notre humanité.
Méditons ces mots de Michel Serres, qui savait si bien nous remettre à notre place : « Le bébé est complètement dépendant pendant des mois. La société nous fait croire que certains d’entre nous sont sortis de cette condition-là, mais c’est faux : par essence, Homo sapiens est misérable, quelles que soient sa fortune, sa puissance, sa gloire ou sa grandeur.»
Arthur Sadoun nous a rappelé que nous sommes tous misérables, même au plus haut de l’organigramme. Derrière le masque de toutes les réussites, même les plus éclatantes, la vulnérabilité nous habite. Et nous sommes ou serons tous, à un moment ou un autre, dépendants des autres, comme nous l’étions enfants.
Mais notre humanité, c’est aussi de transcender cette fragilité.
Comment ? En faisant de nos pépins des pépites, ou d’une épreuve un engagement. Comme l’a montré Arthur Sadoun, en s’engageant pour un vaste mouvement positif, Working with Cancer, visant à mettre fin à la stigmatisation du cancer sur le lieu de travail. Ou comme le montre chaque jour l’engagement remarquable d’Anne-Sophie Tuszynski, qui a fait de sa maladie une force pour créer Wecare@Work, cabinet de conseil et organisme de formation qui aide les entreprises à accompagner leurs salariés et leurs équipes, confrontés à des maladies graves.
Cette chronique se veut donc un coup de chapeau à ces dévoilements courageux, qui donnent de la visibilité à ce sujet important. Continuons à oser en parler !