L’oenotourisme dépoussiéré en Champagne

Concilier le moderne et l’ancien sans pousser le bouchon trop loin ?
Concilier le moderne et l’ancien sans pousser le bouchon trop loin ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

« Enivrez-vous ! Mais de quoi ? »

Si le prestige des grandes maisons perdure, nombreux sont les acteurs à vouloir moderniser l’œnotourisme dédié au Champagne. Pour toucher un public plus large et à de plus nombreuses occasions.

Selon Baudelaire, « il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question ». Or, les jeunes se désintéressent du champagne et en consomment trois fois moins que leurs aînés à leur âge. Les spiritueux et la bière ont une image bien plus moderne. Biture express et champagne forment un oxymore irréductible. Les start-up de l’œnotourisme et les producteurs cherchent aujourd’hui à transformer une image du champagne perçu comme une boisson souvent élitiste, toujours occasionnelle.

Sans aucun prétexte, champagne !

Le manque de repères dans le monde des vins et spiritueux produit de la confusion et une tendance à l’égalisation. Sans connaissance, toutes les boissons se valent. Pourtant, les jeunes ont encore une conception solennelle du champagne qui incarne par excellence la boisson de la célébration. « Les jeunes ont l’habitude de boire du champagne pour les grandes occasions ou en famille. A notre génération, on boit souvent le champagne de nos parents », remarque Paul de Lanouvelle, président-fondateur de Champagne Lanouvelle qui promeut une consommation légère et décomplexée. Plus qu’un symbole de célébration consacré par trois cents ans d’amélioration, le vin de champagne est d’abord un vin issu d’un travail exigeant. Déguster un champagne, c’est goûter un produit qui a plus de profondeur et de complexité qu’un gin tonic ou une bière. Paul de Lanouvelle souhaite que « le champagne soit davantage un vin que l’on boit pour le plaisir, plutôt qu’un symbole pour célébrer ». De plus en plus de trentenaires – dès lors qu’ils commencent à gagner plus correctement leur vie – s’intéressent au vin de champagne. Souvent, la trentaine fait tourner le regard vers des produits de qualité et une consommation plus réfléchie. « Je veux produire le champagne de ma génération », assume Paul de Lanouvelle. La jeune génération est très peu solennelle. Tout le monde se tutoie et a décidé de tomber la cravate. Le marketing des grandes maisons symbolise le prestige autour d’un blason, d’une histoire souvent bicentenaire, de rituels de visite très codifiés et parfois pompeux. Ce type de communication ne touche pas les jeunes, trop peu conformistes. Champagne Lanouvelle contribue manifestement à changer l’image d’un produit parfois considéré comme poussiéreux. « Champagne Lanouvelle se positionne comme une marque moderne dont les moyens de communication majeurs sont Facebook et Instagram », explique Paul de Lanouvelle. Être vu sur les réseaux sociaux et dans l’événementiel, telle est la stratégie d’un champagne qui ambitionne d’être pionner de la vente en ligne.

Démythifier l’équation : champagne égale grandes maisons

Julien Plaud, co-fondateur de la start-up Vinotrip, propose « des cours séjours autour d’expériences œnologiques dans les vignobles français, notamment en Champagne ». Ce site de vente en ligne de séjours œnologiques est un tour-opérateur et un agent de voyage qui construit les séjours autour « d’une dimension expérientielle forte », précise Julien Plaud. Vinotrip cherche à dénicher des prestations très spécifiques comme des ateliers vendanges ou de découverte du dégorgement, des initiations à la dégustation, des hébergements insolites ou des rencontres exceptionnelles. Trinquer avec Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde. Rencontrer le vigneron star Anselme Selosse, meilleur viticulteur de Champagne. Selon Julien Plaud, « quoi de mieux pour découvrir et s’initier au champagne que de se rendre au cœur même des vignobles à la rencontre des vignerons ». Vinotrip n’est donc pas qu’une start-up spécialisée dans le business du vin, c’est d’abord une volonté déterminée de « faire dialoguer les œnotouristes avec des vignerons accessibles qui entretiennent un rapport «paysan» à la terre, afin de casser les barrières qui entourent le monde du champagne ». La start-up met surtout en avant les champagnes des vignerons. L’œnotourisme actuel contribue à démythifier l’équation : champagne égale grandes maisons.

Non pas démocratiser, mais décomplexer le champagne

L’œnotourisme a le vent en poupe : on compte environ dix millions d’œnotouristes tous les ans en France, généralement des CSP + à partir de 45 ans. Nicolas Manfredini, originaire de Champagne, y implante la start-up Winalist. Une cinquantaine de domaines font déjà confiance à Winalist pour améliorer leur visibilité. « Winalist propose de dynamiser l’image parfois vieillotte des domaines et de mettre en valeur leur offre œnotouristique grâce à une plateforme intuitive », affirme Nicolas Manfredini. Winalist aide les domaines à prendre le pli du digital : « Winalist n’est pas apporteur d’affaires, mais un service en partie chargé de faire la communication au nom des domaines sur le Web ». Longtemps, le champagne a entretenu le culte du secret autour de ses méthodes de fabrication, en même temps qu’il glorifiait son passé. « Parfois, même lorsque le portail d’un domaine est ouvert, bon nombre de touristes n’osent pas entrer », regrette Nicolas Manfredini. « C’est ce que nous cherchons à combattre grâce à Winalist en rendant plus accessibles les informations œnotouristiques, dans la continuité du travail des Offices du tourisme ». Non pas démocratiser, mais décomplexer le champagne. Pour démocratiser le champagne, il faudrait augmenter le volume de production pour diminuer les coûts de production. Impossible, sans tirer vers le bas la qualité du produit. Paul de Lanouvelle soutient que le champagne reste un produit de luxe, « à condition de définir le luxe comme le fruit de beaucoup de travail, d’un savoir-faire et d’un terroir exceptionnel qui contribuent à l’élaboration d’un produit très raffiné, sophistiqué et extrêmement subtil ». De ce luxe, il restera toujours quelque chose… Une fois de retour dans la famille, le séjour œnotouristique est l’occasion d’un récit, tout un poème. Julien Plaud insiste sur le fait que « le souvenir du séjour et l’histoire qu’il permet de raconter participent encore du séjour lui-même comme de la dégustation de ce vin si spécifique ». Et Baudelaire de conclure : « Enivrez-vous ! Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! »

Joseph Capet

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