Enquête exclusive : 7 transformations numériques à valeur d’exemple

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Les usines numériques d’Alfi Technologies

Le numérique pour que des usines visualisent leurs nouvelles lignes de production. C’est le défi que s’est lancé Yann Jaubert, directeur d’Alfi Technologies. Récit.

Dans les locaux d’Alfi Technologies, PME spécialisée dans la construction et l’installation de lignes de production et de manutention, un détail frappe : sur un coin de table, des casques de réalité virtuelle. Gadgets pour les pauses ? Sessions de team building ? Vous n’y êtes pas : outils de travail à part entière ! Depuis cinq ans, l’entreprise a opéré un véritable bond dans le numérique et propose à ses clients des visualisations en 3D totalement immersives. À l’origine de ce projet, une volonté du directeur de l’entreprise, Yann Jaubert : « Après deux ans à la tête d’Alfi Technologies et d’analyse de nos méthodes, j’ai fait le constat que les plans en deux dimensions que nous utilisions étaient un peu archaïques. Il était parfois très difficile de se représenter, en amont, à quoi ressembleraient les lignes de production que nous installions dans les usines. »

Alors, en 2012, il se lance dans un grand chantier : la conception de clones numériques des usines dans lesquelles l’entreprise intervient. « L’idée est très simple, poursuit Jaubert, il s’agit de numériser l’ensemble de l’environnement de nos clients sur des logiciels spécialisés. Une fois cette usine numérique entièrement modélisée, on peut y installer nos machines et proposer de véritables visites virtuelles, avec des casques de réalité augmentée. »

Réinventer l’activité

Qu’apporte cette implémentation d’usines virtuelles ? Une meilleure anticipation des erreurs, un calcul précis des plans de charge et de formation des opérateurs. Une réalité virtuelle qui booste la conception des lignes de production. Pour mener à bien ce projet, le chef d’entreprise croit fort aux bienfaits de l’intrapreneuriat. Il lance alors un appel en interne et monte une équipe aux profils divers (automaticiens, mécaniciens, ingénieurs…) qui travaille durant trois ans à l’élaboration de ces jumeaux numériques. L’enjeu est de taille : il s’agit d’une véritable opération de transformation du savoir-faire de l’entreprise. « Ce qui m’intéressait, c’était de réinventer mon activité en utilisant et en optimisant des outils numériques. » Mais la cellule numérique ainsi formée ne part pas de zéro. Sur le marché, de nombreuses solutions héritées de l’univers du jeu-vidéo et du serious game sont à disposition pour mener à bien le projet. Reste à cette équipe à se former à ces nouvelles technologies et, surtout, à former le reste des collaborateurs. En 2015, le projet d’usine numérique voit le jour. « Cette numérisation de tous nos processus a engendré de nouvelles opportunités de business. Nous proposons des formations virtuelles à l’utilisation de nouvelles machines. Ou gérer des opérations de maintenance en amont grâce au virtuel. » Le champ des possibles s’est étoffé… et avec lui le chiffre d’affaires de l’entreprise.

L’informatique embarquée d’EJ Picardie

Le numérique s’est voulu un outil de suivi affiné des flux de production dans une fonderie innovante. Dans l’usine d’EJ Picardie de Saint Crépin, c’est désormais une réalité.

Des caristes équipés d’ordinateurs embarqués : c’est l’idée surprenante de l’usine EJ Picardie à Saint-Crépin dans l’Oise qui fabrique des solutions d’accès pour les réseaux de télécommunication, d’eau, de gaz et d’électricité (plaques d’égouts, trappes d’accès sécurisés dans les ports et aéroports, etc.). Éric Ertzbischoff, directeur de production d’EJ Picardie, s’est demandé il y a quelques mois comment améliorer la gestion de ses flux de production et accélérer la mise à disposition des produits pour le client final. La problématique était simple : chaque jour, dans sa grande fonderie, 400 tonnes de fonte sont produites pour fabriquer des milliers de pièces métalliques. « On avait un aperçu global de nos productions en cours, mais pas la possibilité de suivre en temps réel nos flux. » L’entreprise engage un grand travail de transition numérique dans cet objectif : suivre en temps réel les flux de pièces au sortir de la fonderie pour se rendre vers les postes de finition. EJ Picardie implémente un nouvel ERP (Enterprise Resource Planning), le gros logiciel en charge de la gestion de toutes les opérations de l’entreprise. L’aboutissement s’avère bluffant : à chaque étape de production, l’informatique embarquée du cariste actualise les étapes de transformation des pièces qu’il transporte. Il/elle reçoit des indications optimisées pour le stockage et la mise en production.

La réussite engendre des projets

Mais cette transition numérique ne s’est pas limitée à un nouveau logiciel. Il a fallu repenser l’organisation du travail de collaborateurs parfois depuis de nombreuses années dans l’entreprise. « La certification demandée à nos caristes jusqu’à présent était le Caces. Avec ce basculement vers le numérique, les compétences requises ont évolué. » Donc mise en place de vastes programmes de formation. « Les premiers temps ont été un peu difficiles, certains collaborateurs ont eu plus de mal avec ces nouveaux outils, mais nous avions à cœur de tous les accompagner dans cette phase de changement. » Quelques mois se sont écoulés. Productivité et performances accrues, réduction des temps de traversée des produits dans les ateliers et augmentation de la qualité sont au rendez-vous. De quoi encourager la poursuite de la maturation numérique : maintenance prédictive avec l’analyse en temps réel des données issues des machines. Développement de la business intelligence pour la prise de décision ou encore fabrication additive pour l’impression 3D d’échantillons de produits pour leur homologation.

Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité, recommandation de la Cnam.

100 % télétravail chez HUH Corporate

Des salariés 100 % en télétravail ? Un pari fou. Que s’est lancé Alexandre Glas, cofondateur d’HUH Corporate. Levier : des outils numériques.

HUH Corporate, dès sa création en 2015, est le prototype même de l’entreprise totalement investie dans le numérique, avec ses développeurs full stack, des chefs de produit et même un CTO, Chief technical officer. On y élabore des chatbots de formation professionnelle en entreprises. Autrement dit, finies les journées de formation dans une salle sombre face à un paperboard, HUH conçoit des applications qui se glissent dans le téléphone des apprenants. Une sorte de numérisation des processus d’apprentissage. Cette boîte qui infuse de la transition numérique chez ses clients se devait de se numériser elle-même. Alexandre Glas, l’un des cofondateurs, propose d’emblée la mise en place d’un système de management différent car numérisé. Il fait le choix de ne pas imposer la présence au bureau. « Dans notre secteur de l’informatique, nos collaborateurs sont en demande de liberté et de flexibilité. Nous avons aujourd’hui 14 collaborateurs qui travaillent d’où ils le souhaitent. »

Le réseau social d’entreprise, clé du télétravail

À Berlin, Paris ou en Bretagne, les collaborateurs choisissent de venir travailler dans les bureaux, de rester chez eux ou de se poser où bon leur semble. S’agit-il d’attirer les millenials ? Eh bien pas forcément. « Au sein de l’entreprise, les collaborateurs ont entre 22 et 55 ans. Ce sont parfois les plus expérimentés qui demandent le plus de flexibilité », note Glas. Mais outre la confiance à accorder aux équipes dans la réalisation de leurs missions, HUH Corporate a dû se doter d’outils numériques pour assurer la bonne collaboration à distance. « Si nous nous étions contentés d’un système de mails, je pense que l’on aurait échoué. » Réseau social d’entreprise, mise en place de documents collaboratifs accessibles par tout le monde, généralisation de la visioconférence en lieu et place des réunions. Au lancement du projet, quelques petits couacs se sont glissés dans cette organisation bien huilée. « Le problème des documents collaboratifs, c’est que l’on ne sait jamais qui modifie et quand le document est fini ou non, se remémore le patron. Du coup, on a eu l’idée de créer un système de versionning pour tracer l’évolution des projets. »

Depuis cinq ans, ce modèle managérial entièrement numérisé fonctionne. « Ce management flexible retient nos collaborateurs. » Disparaissez pour que je vous conserve !

Logiciel de gestion de versions (Version control system) qui stocke un ensemble de fichiers en conservant la chronologie de toutes les modifications.

WeylChem Lamott, chimiste en quête de prédictif

Comment le numérique accompagne-t-il un secteur d’apparence traditionnel comme la chimie ? Éléments de réponse à WeylChem Lamotte où le numérique est devenu un véritable levier de croissance.

La chimie et ses 3 000 entreprises en France ont su se numériser depuis plusieurs années. Illustration dans l’usine de WeylChem Lamotte dans l’Oise. Ici, plusieurs centaines de tonnes de produits chimiques sont fabriquées tous les jours. Et comme l’explique son dirigeant, Gilles Zuberbuhler, l’informatique est passée par là. « Le numérique est présent dans notre industrie depuis de nombreuses années. Qu’il s’agisse de traçabilité de nos flux via l’utilisation d’ERP, des systèmes de conduite automatisés ou de numérisation des services de l’entreprise. Tout au bénéficie de la sécurité. » Ces systèmes complexes sont déployés depuis plusieurs années à l’usine. Mais si la fabrication de produits chimiques s’est numérisée, les opérations de maintenance des installations et des équipements sont toujours un peu à l’écart de ces mutations. « Comment pouvons-nous utiliser toutes les données que nous récoltons sur les équipements pour mettre en place de la maintenance prédictive », s’est demandé le dirigeant. L’enjeu : anticiper une panne ou un arrêt des machines avant leur survenue par une analyse des données.

Simplifier

WeylChem s’est appuyé sur un outil développé par la branche professionnelle France Chimie : un autodiagnostic numérique. À travers un questionnaire accessible en ligne, les acteurs du monde de la chimie auto-évaluent leur degré de numérisation et reçoivent des suggestions personnalisées sur les changements à opérer pour une meilleure inclusion dans le numérique. Pour l’heure, et avant d’obtenir une maintenance 100 % prédictive, WeylChem Lamotte s’est lancé dans deux projets d’envergure. Le premier : la mise en place de cahiers de consignes électroniques pour une meilleure communication entre les équipes et les services supports. Le second : le déploiement d’équipements connectés pour les opérateurs de maintenance. « Actuellement, nos opérateurs consultent d’abord des banques de données pour récolter les informations importantes, puis ils se rendent sur le lieu d’intervention. L’idée, c’est qu’ils interviennent directement auprès de la machine équipés de tablettes. »

Safran choisit une transition numérique mondialisée

L’équipe en charge de la transformation numérique de Safran veut centraliser et accélérer. Un témoignage éclairant.

Dans un groupe de plus de 95 000 collaborateurs et 12 sociétés, piloter un projet de transformation numérique semble une mission périlleuse. Impossible ? Sans doute pas. Depuis un an, Safran s’est doté d’un directeur en charge du développement de la stratégie des activités numériques, François Tarel. Il va infuser de la transformation numérique partout dans le groupe. « Des projets numériques, Safran en développe depuis des années, mais une solution à une problématique rencontrée dans l’une de nos filiales a toutes les chances s’appliquer à une autre filiale. Mon rôle, c’est de créer ces synergies. » Il ne débarque pas de Mars, François Tarel : Safran, voilà une vingtaine d’années qu’il s’en épice. Manufacturing Data for All, l’un des projets déployés dans le groupe, représente parfaitement cette centralisation de la transition numérique. Pendant plusieurs mois, les équipes de Safran ont travaillé en groupes pluridisciplinaires pour mettre au point une boîte à outils capable d’utiliser le big data et l’intelligence artificielle en vue d’analyser en temps réel les process de production. « Avec notre boîte à outils data et analytics, on est par exemple capables d’identifier rapidement les sources de baisse de qualité sur nos produits. » Cette boîte à outils conçue de manière générique est ensuite déployée unité de production par unité de production et adaptée aux besoins locaux.

Numérique durable

Mais le scope de l’équipe de François Tarel ne se limite pas aux enjeux internes. La transition numérique impacte aussi la relation avec les clients. C’est cette idée qui a poussé au développement d’Expert link, un service de télémaintenance. « C’est un outil qui procure à nos clients partout dans le monde une assistance personnalisée dans leurs opérations de maintenance avec leur smartphone. Ils sont en connexion vidéo, interagissent en temps réel avec un expert pour, par exemple, annoter les vidéos, échanger en photo des détails de la pièce à réparer, obtenir de la documentation adaptée à la situation et les meilleures recommandations sur les gestes à mener. » Au total, ce sont une douzaine de projets que l’équipe des activités numériques de Safran est en train de déployer. « Je suis en relation directe avec le Comité exécutif de Safran, décrit François Tarel. Je dirais que mon rôle est avant tout d’implémenter des leviers pour une transition vers le numérique durable. »

Datacenters écoresponsables : Webaxys les monitore et les automatise

Toutes les fermes de serveurs, catastrophe écologique, devraient adopter les solutions de ce « fermier » nobélisable.

Comment se transformer numériquement quand on est soi-même un acteur du numérique ? Question à laquelle répond Emmanuel Assié, fondateur de Webaxys, concepteur de datacenters écoresponsables. « Les données issues du numérique sont extrêmement polluantes, lance l’entrepreneur. Le stockage dans les serveurs et le refroidissement des datacenters sont des activités à impact terrible sur l’environnement. » C’est franc, vrai et déjà « responsable ». Alors, en 2010, Webaxys conçoit son premier datacenter écologique. Consommation d’énergie réduite pour la climatisation, utilisation de la chaleur des serveurs informatiques pour chauffer les entreprises alentour, c’était une première dans l’univers des centres de données – qui représentent 8 % de la consommation énergétique en France – et qui reste exceptionnelle. Raison pour laquelle Assié n’est pas satisfait et veut aller plus loin. « Je sentais qu’il était possible de faire beaucoup mieux. » En 2014, et pendant 18 mois, un grand audit du fonctionnement de son système aboutit à la mise en place de capteurs, analyse des pics de consommation électrique, réflexion autour du stockage de l’énergie : le centre est placé sous surveillance numérique.

Centres de données autogérés

Tout ce travail aboutit au lancement d’un second datacenter près du Havre en 2016. « Tous nos équipements sont monitorés minute par minute grâce aux capteurs et à la domotique. Le point fort de notre datacenter, c’est l’utilisation de l’air extérieur pour refroidir les salles. Des capteurs placés dans tous les bâtiments décident automatiquement des moments où lancer le système de refroidissement et à quelle température. » Les algorithmes développés par l’entreprise gèrent le stockage d’énergie. « Mais nous produisons parfois plus d’électricité que nécessaire. Nous avons installé des batteries de seconde main de véhicules électriques pour stocker ce surplus énergétique et le réutiliser par la suite. Et ce sont nos systèmes informatiques qui décident du moment où stocker dans les batteries ou au contraire d’utiliser leur réserve. »

Guillaume Ouattara

Sommaire du dossier
1. Enquête exclusive : 7 transformations numériques à valeur d’exemple
2. L’industrie en région : quel poids, quelle densité ?
3. (Im)maturités dans le monde…

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.