Qui sont les Licornes en France ?

« On se sent toujours un peu seul en France… »
« On se sent toujours un peu seul en France… »

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Les nouvelles stars ?

A la faveur de l’essor de l’économie numérique, les start-up valorisées plus d’un milliard de dollars, auxquelles a été donné le surnom de « licornes » pour leur rareté, sont de moins en moins difficiles à trouver. Elles seraient en effet près de 200 dans le monde. Mais elles se trouvent pour l’essentiel aux Etats-Unis et en Chine. Mais l’Europe pourrait rattraper son retard : harmonisation du marché numérique européen, développement de fonds d’investissement de croissance… l’écosystème leur devient plus favorable.

L’Américain Uber, le Chinois Xiaomi, le Français Blablacar et le Suédois Spotify ont un point commun : tous font partie du club très fermé des licornes, ces start-up non cotées en Bourse dont la valorisation égale ou excède le milliard de dollars. C’est le numérique qui a fait le succès de la plupart d’entre elles, puisqu’elles se sont développées dans l’économie collaborative, la Fintech, le commerce en ligne, le Big data, les médias en ligne, les jeux vidéo, la voiture autonome, les objets connectés, les réseaux sociaux, l’adtech, la cybersécurité, l’edtech, l’e-santé ou encore la réalité virtuelle. Profitant de l’intérêt des fonds d’investissement pour l’économie numérique, le nombre de licornes ne cesse de grossir : elles n’étaient que 45 au total en janvier 2014, 83 en janvier 2015, et 148 en janvier 2016. « Le secteur du digital croît de 15 à 20% par an. Il est normal que ses meilleures représentantes connaissent une très forte croissance. Elles remplacent des pans entiers de l’économie et ont une structure de coût qui leur permet d’être rentables même avec des marges plus faibles que leurs concurrentes de l’ancienne économie », observe Guillaume Bonneton, partner dans la banque d’affaires GP Bulhound.

Fin mars, le cabinet d’étude CB Insight recensait 188 licornes, dont une quinzaine ont franchi le seuil de 10 milliards de dollars de valorisation. Les dix premières licornes du classement sont américaines et chinoises. Uber, valorisée 68 milliards de dollars, occupe la toute première marche, suivi par Xiaomi (Chine, 46 milliards), Didi Chuxing (Chine, 33,8 milliards), Airbnb (Etats-Unis, 29,3 milliards) et Palantir Technologies (Etats-Unis, 20 milliards). Et l’Europe dans tout ça ? Sa première représentante, le service de musique en ligne suédois Spotify (8,53 milliards de dollars), n’arrive qu’au seizième rang. Rares sont les entreprises du Vieux Continent à avoir intégré ce club, puisqu’elles ne sont que 19, contre 98 pour les Etats-Unis et 44 pour la Chine, par exemple. L’Inde, à elle seule, en compte neuf. Dans le détail, six des représentantes européennes sont britanniques (Global Switch, Oxford Nanopore, Fartech, TransferWise, Shazam et benevolent.ai), quatre allemandes (Delivery Hero, Hellofresh, CureVac, Auto1 Group), deux suédoises (Spotify et Klarna), deux suisses (Avaloq Group et MindMaze), une néerlandaise (Adyen), une luxembourgeoise (Global Fashion Group). Seules deux représentantes de la FrenchTech se sont hissées à leurs côtés. Il s’agit du site de covoiturage Blablacar, valorisé 1,6 milliard de dollars, et de la société spécialisée dans l’hébergement dans le Cloud OVH, valorisée 1,1 milliard. Criteo a eu le statut de licorne jusqu’à son entrée en Bourse au Nasdaq en 2013, tandis que Vente-Privée, malgré 3 milliards de dollars de valorisation, a un peu trop d’ancienneté pour entrer dans la catégorie : le site de commerce en ligne a été créé en 2001.

Un écosystème moins favorable ?

Pourquoi si peu de start-up européennes ont-elles atteint le seuil du milliard de dollars de valorisation ? Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Cela pourrait d’abord tenir au terreau dans lequel elles ont été créées. « La plupart des licornes actuelles se sont créées il y a une dizaine d’années. A l’époque, l’environnement n’était pas aussi favorable à l’entrepreneuriat qu’il l’est aujourd’hui, du moins en France, estime Guillaume Bonneton, de GP Bulhound. Entretemps, l’écosystème a fait un lobbying important, à travers des organisations comme France Digital et Croissance Plus, pour faire prendre conscience aux politiques de l’importance de ces acteurs pour l’emploi et le développement économique du pays. Certains responsables politiques ont compris qu’il ne fallait pas les freiner par les taxes et éviter que les business angels déménagent vers des pays plus accueillants. »

Les start-up européennes éprouvent aussi plus de difficultés que leurs concurrentes américaines à lever des fonds pour financer leurs acquisitions, leurs recrutements et leur communication. En 2016, le rapport « European Unicorns » de GP Bulhound, qui prend en compte toutes les entreprises technologiques créées depuis 2000, soulignait ainsi que les licornes européennes ont levé un peu plus de 260 millions de dollars en moyenne, soit deux fois moins qu’aux Etats-Unis. En outre, seulement un tiers des entreprises milliardaires ont levé plus de 250 millions de dollars sur le Vieux Continent, contre deux tiers outre-Atlantique. Et leur valorisation ne représente en moyenne que 18 fois le chiffre d’affaires des premières, contre 46 pour les deuxièmes. « Cela démontre une certaine frilosité des investisseurs. Mais ces entreprises se sont adaptées, en allant vers des modèles B2C plutôt que B2B, car les premiers atteignent la rentabilité plus tôt », selon Guillaume Bonneton. « Cela fait d’elles des entreprises qui tendent à être plus viables financièrement », estime William Stevens, directeur général du Tech Tour, une plateforme qui fédère des investisseurs et entrepreneurs européens. De fait, GP Bulhound pointe la plus grande solidité des licornes européennes : 60% d’entre elles sont rentables, avec un chiffre d’affaires moyen de 315 millions de dollars, contre 129 millions aux Etats-Unis, où seules 20% des licornes ont atteint l’équilibre.

De plus en plus de fonds de croissance

Pour autant, l’Europe semble de mieux en mieux armée pour aider ses jeunes pousses les plus prometteuses à trouver les fonds dont elles ont besoin. Plusieurs fonds de croissance, ou « growth », ont vu le jour ces dernières années pour les accompagner. Guillaume Bonneton en dénombre trois nouveaux à Paris rien que ces deux dernières années : Partech Growth, Idinvest Growth Capital et Eurazeo Croissance. Partech Growth a par exemple été créé en 2015 par la société d’investissement française Partech pour financer les entreprises matures et en forte croissance. En juin 2016, elle a annoncé un « closing » à 400 millions d’euros. Les deux tiers seront investis en Europe, le reste aux Etats-Unis. Le fonds France Innovation Croissance (FIC) de Bpifrance se sent donc moins seul. Il avait été créé en 2007 pour « investir dans des PME et ETI à fort potentiel de croissance, de manière à faire émerger des sociétés de plus grande taille, compétitives sur les marchés européens et mondiaux ». « Des fonds anglo-saxons, comme KKR Growth, Goldman Sachs et Vitruvan, se sont aussi équipés pour investir sur le continent, en y installant des équipes », ajoute Guillaume Bonneton. Il remarque ainsi que « le nombre d’investissements de fonds étrangers dans des start-up tech françaises a quasiment doublé en 2016 ».

Vers un marché unique numérique en Europe

Les start-up européennes se heurtent aussi à la fragmentation de leur marché. Alors que leurs concurrentes américaines peuvent se développer sur un territoire de 320 millions d’habitants, avec une langue, des législations et fiscalités plutôt homogènes, les jeunes pousses européennes doivent composer avec 27 cultures et autant de réglementations différentes. « Pour atteindre un marché équivalent à la moitié du marché américain, les entreprises européennes doivent négocier trois expansions internationales, par exemple en Allemagne, en France, au Royaume-Uni ou en Italie, ce qui retarde beaucoup leur développement », juge Guillaume Bonneton.

Pourtant, la Commission européenne a fait du marché unique du numérique l’une de ses priorités, avec l’objectif de permettre l’éclosion de GAFA européens. Selon la Commission, ce marché unique pourrait représenter pour l’économie de l’UE jusqu’à 415 milliards d’euros de gains par an. En décembre 2014, le président de la Commission Jean-Claude Juncker avait ainsi indiqué que la mise en place du marché unique numérique serait l’une des priorités de son mandat. Un an et demi plus tard, la Commission a présenté une stratégie mettant l’accent sur la suppression des entraves, l’accès au numérique et la connexion sur le continent, la mise en place de l’économie numérique ou encore l’investissement dans la recherche dans le domaine des technologies de l’information. En mai 2016, des mesures législatives ont par exemple été adoptées au sujet de la livraison transfrontière des colis et de la protection des consommateurs. En septembre 2016, la Commission a aussi présenté un plan d’action pour le déploiement de la 5G dans l’UE. Une autre mesure, qui vise à supprimer les obstacles à la portabilité transfrontière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur, est en cours d’adoption.

Prochaines licornes

Sept prétendantes françaises au statut

Quels seront les successeurs de Criteo, Blablacar et OVH ? Le Tech Tour, une plateforme qui fédère des investisseurs et entrepreneurs européens, réalise chaque année depuis trois ans la liste des 50 jeunes pousses européennes qui présentent le meilleur potentiel pour devenir des licornes, sélectionnées notamment par un jury d’experts pour leur croissance et leurs levées de fonds au cours des trois dernières années. Son dernier classement, publié en février, compte sept représentantes françaises : Actility, Sigfox, Amplitude Technologie, Cedexis, Crocus Technology, Devialet et Scality.

Trois d’entre elles œuvrent dans le domaine des objets connectés. Actility (16 millions d’euros de chiffre d’affaires, 150 salariés) et Sigfox sont deux acteurs des réseaux basse-consommation et longue portée dédiés à l’internet des objets. La première a levé 100 millions d’euros depuis sa création en 2010. La seconde a levé 309 millions depuis 2009. La troisième, Crocus Technogy, développe des microcontrôleurs sécurisés pour objets connectés. Installée à Grenoble, cette société de 60 personnes a réalisé 7 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014 et a levé près de 100 millions d’euros au total.

Amplitude Technologie est une entreprise de 300 personnes installée près de Bordeaux, spécialiste des lasers de précision pour les équipements scientifiques, médicaux et industriels. Elle a levé 30 millions d’euros en 2012, qui lui ont notamment permis d’acheter en 2014 un fabricant de lasers américain, baptisé Continuum Lasers.

Fondée en 2009 par Julien Coulon, Cedexis propose aux éditeurs de sites internet et d’application des services technologiques pour améliorer leur trafic. Elle compte notamment Facebook et LinkedIn parmi ses clients. L’entreprise, qui a réalisé un peu plus de 10 millions d’euros en 2015, en a levé 40 depuis sa création. Comme le Lillois OVH, déjà consacré licorne, le Parisien Scality exerce ses activités dans le domaine du stockage informatique dans le Cloud. « Même s’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, notre ambition est de devenir une licorne », déclarait en janvier son cofondateur Jérôme Lecat aux Echos. L’entreprise de 190 salariés a levé 90 millions d’euros depuis sa création en 2009. Parmi ces sept licornes en devenir, une seule, Devialet, a choisi un marché B2C, celui de la hi-fi. Fondée en 2007, l’entreprise parisienne de 200 salariés commercialise des enceintes haut de gamme bourrées de technologies – 102 brevets déposés. Elle a déjà levé 150 millions d’euros pour accélérer la commercialisation de ses Phantom et Gold.

Selon le Tech Tour, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont les pays qui hébergent le plus de start-up prometteuses : 19 pour le premier (dont Deliveroo et Ledinvest), neuf pour le second (dont Babbel et SoundCloud). L’Espagne en a quatre (dont Carto) et le Portugal trois (dont Talkdesk).

Malgré leur jeunesse – 38 d’entre elles ont moins de dix ans – ces 50 promesses ont levé un total de 3,7 milliards de dollars, sont valorisées 338 millions de dollars, et ont créé 9000 emplois. « Les sociétés qui ont déjà dépassé le milliard de dollars de valorisation ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. De plus en plus d’entreprises européennes ont le potentiel pour atteindre ce statut iconique et sont sur la bonne trajectoire », estime William Stevens, directeur général du Tech Tour. La relève semble bien assurée.

Aymeric Marolleau

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