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C’est bien simple : en deux mois de confinement, la Terre s’est refait une – petite – santé. Air meilleur, faune préservée, déchets moins nombreux… Du coup, on s’est pris à espérer… quoi ? Que ça allait continuer ? Raté. Sitôt les meutes automobiles lâchées, les touristes libérés, les agriculteurs à engrais empoisonnés validés, pollution, néonicotinoïdes, incendies monstrueux et masques souillés à gogo par terre ont triomphé. Allons-nous vraiment nous autogénocider ou bien le scénario de la croissance « convivialiste » (selon le manifeste des EELV – Europe Écologie les Verts) a-t-il une minuscule chance de s’ancrer dans un nouveau modèle de développement ? Repères optimistes (malgré tout).

Parce qu’il fallait bien tenter de trouver un peu d’espoir au plus fort de la crise sanitaire, nombreux sont ceux.celles qui ont espéré un effet positif du confinement sur la planète. Réduction drastique du nombre de véhicules sur la route, fermeture d’usines et d’industries… Les émissions de gaz à effet de serre ont chuté de plus de 30 % durant cette période. La reprise de l’activité économique sous sa forme débridée actuelle a mis un coup de frein à cette tendance. Et sur le long terme, cette période de confinement n’aura sans doute pas les effets bénéfiques attendus. Une étude publiée par la revue Nature Climate Change détaille que le confinement n’aura aucun effet pour lutter contre le réchauffement climatique : d’ici à 2030, il contribuerait à la limitation de la température moyenne de 0,01°C seulement.

Il n’empêche que la pandémie aura mis en lumière la fragilité d’un certain nombre des systèmes de nos sociétés modernes. Elle a remis en perspective une constante de l’humanité : rien n’est acquis, tout peut changer. « Cette crise de covid-19 et toutes les conséquences sociales, environnementales et politiques préfigurent ce que sera la situation de crise en plein cœur d’une période de réchauffement climatique, explique Jacques Delpla, économiste, directeur du think tank Asterion. Il y a urgence à trouver les bonnes solutions pour lutter contre ce phénomène. »

Bonnes solutions ? Sont-ce les mesures pour venir en aide aux industries et aux entreprises que, dès la mi-juillet, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a voulu flécher vers un plan de relance verte avec l’accent mis sur la rénovation des bâtiments (source majeure de surconsommation électrique), les transports et l’énergie ? « Nous veillerons à ce que toutes les décisions de relance favorisent un nouveau modèle de croissance fondé sur la décarbonation, la sobriété énergétique et les innovations vertes. Le plan de relance sera un plan vert », a virilement martelé le ministre en répondant à notre confrère, le JDD. Des annonces dotées de financements concrets. Près de 40 milliards d’euros pour le développement de l’industrie et 20 milliards pour la transition écologique. Mais face à l’urgence et aux situations parfois délicates dans lesquelles des entreprises se retrouvent, la relance verte se décrète-t-elle à coups de milliards ? « D’un point de vue économique, il faut se figurer le confinement comme une crise cardiaque, analyse Jacques Delpla. Il y a d’abord une urgence vitale à régler avant de pouvoir mettre en place d’autres mesures. Quand un industriel doit relancer toute une production, il n’a pas forcément le temps ni les moyens de penser à la transition écologique. » On le croit volontiers.

Le vert, encore à moitié plein seulement

Il n’empêche qu’une relance verte, outre sa contribution essentielle à la limitation du réchauffement climatique, produirait des effets bénéfiques sur l’économie mondiale. Une étude publiée par l’Oxford Smith School of Enterprise and the Environment révèle que les relances vertes sont les plans économiques les plus viables pour les pays. La raison ? Qu’il s’agisse de construction de nouveaux bâtiments, d’exploitation de nouvelles sources d’énergie ou de développement de nouvelles technologies, de nouvelles filières et de nouvelles opportunités professionnelles surgiraient de ces orientations. Dans son dernier rapport réalisé avec EY, WWF estime à un million le nombre d’emplois que pourrait générer une relance verte d’ici à 2022 en France.

De telles annonces chiffrées sont-elles perçues par les entreprises ? Tom Lecrosnier, créateur de GreenKit, conseille des marques et des enseignes pour le développement et la vente de produits conçus écologiquement. Pour lui, l’ère post-covid offre un véritable challenge pour l’entrepreneur : « Nous redoutions que les entreprises décident soit de mettre de côté leurs projets écologiques, soit carrément de revenir en arrière sur certaines avancées par souci d’économies. Mais finalement ça n’a pas été le cas. Nos industries partenaires restent engagées sur la voie du développement durable. » Un constat partagé par Vincent Auriac, président d’Axylia, un cabinet de finance responsable. Lui accompagne des organismes pour réaliser des investissements responsables. La crise sanitaire n’a pas eu d’impact négatif sur son activité, ses clients continuent à investir. « Ceux avec lesquels je travaille continuent à vouloir réaliser des investissements engagés et plein de sens, confirme-t-il. L’activité de mon cabinet après le confinement n’a pas diminué, bien au contraire. » À quelle échelle, tout est là… L’expert des marchés financiers plaide pour un élargissement de l’investissement vert. « Avec le confinement, les Français.es ont beaucoup plus épargné que d’habitude. Près de 900 milliards d’euros dorment sur les livrets en France. Aujourd’hui, seuls 200 millions d’euros sont utilisés par les particuliers pour des activités vertes. Il faudrait réussir à inverser la tendance. »

Pour l’économiste Jacques Delpla, un plan vert ne sera pas suffisant pour affronter le défi environnemental à venir. « L’urgence écologique est là, bien présente, mais tout est une question d’échelle. Si du jour au lendemain la France stoppait toutes ses émissions de gaz à effet de serre, la pollution ne serait réduite, sur le plan mondial, que de… 1 %. » D’où son plaidoyer pour des décisions à échelle planétaire, et c’est une autre affaire. « L’idée d’un plan de relance uniquement français est questionnable. Pour se révéler utiles, les solutions proposées doivent se vouloir universalisables. » Au-delà d’une simple relance verte, l’économiste est favorable à l’instauration d’un prix mondial du carbone et à un investissement massif dans la recherche. « Lorsqu’il a fallu mettre en place la bombe nucléaire, l’urgence que représentait la guerre a justifié une avance très rapide. Nous devrions prendre conscience de l’urgence actuelle. »

Résilience et longueur de temps

On en est loin. Preuve en est avec le paradoxe de décisions majeures d’un État comme la France, qui se dédouane par 146 propositions citoyennes dont personne ne parle plus, en réalisant en parallèle des investissements qui questionnent. À commencer par l’aide conséquente apportée à Air France : 7 milliards d’euros. « En choisissant de renflouer l’industrie aéronautique et automobile, très gourmandes en pétrole, l’État envoie un signal contrasté », analyse l’économiste.

Autre difficulté majeure, la remise en cause du green deal européen. Ce projet, qui vise à rendre le continent européen climatiquement neutre en 2050, risque de prendre un coup dans les prochains mois. Les différents chantiers engagés sont repoussés, dont la COP26 reprogrammée en 2021. Et déjà, certains États tentent de renégocier leurs exigences.

Pour faire face à tous ces défis et aux changements à venir, un concept issu des sciences de gestion ressort souvent dans les discours des experts : la résilience, capacité pour une entreprise, ou des individus, à faire face à des situations totalement inédites. « Il faut bien comprendre que certains secteurs d’activité risquent d’être durablement touchés par cette crise. La restauration, le tourisme ou le monde de la nuit ne seront jamais plus comme avant. Il faut prendre cette donnée en considération dans nos façons de concevoir nos prochaines structures économiques », conclut l’économiste Jacques Delpla. Important, donc, de repenser nos manières d’agir dans un univers aussi incertain. Le terme résilience avait, d’ailleurs, été utilisé par l’armée pour nommer son opération de soutien logistique et de protection durant le confinement. Preuve, donc, qu’agir dans un cadre inédit est une véritable bataille.

Guillaume Ouattara

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