Jusqu’où ira Elon Musk, et nous avec lui…

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Depuis la création de SpaceX en 2002, que n’a-t-on pas dit sur et contre Elon (prononcé « ilone ») Musk ! Ses deux principales boîtes, SpaceX et Tesla, frôlent la banqueroute, mais l’ingénieur sud-africain d’origine sait les remettre sur roue et sur orbite. Depuis, son lanceur spatial réutilisable a déchaîné dans le public la passion proche des premiers succès de la NASA : voir en direct, et grâce à des images de très haute qualité, « son » Falcon et « son » Dragon acheminer deux astronautes jusqu’à l’ISS valide plus que jamais la devise de SpaceX : « The Moon, Mars and beyond ». Pas la peine de traduire…

30 mai 2020, centre spatial Kennedy, spatioport de Cap Canaveral. La fusée Falcon 9 équipée de la capsule Crew Dragon s’élève. À son bord, deux astronautes américains. Direction, la station spatiale internationale. Un peu moins de 20 heures plus tard, les deux hommes s’amarrent, puis rejoignent les trois passagers sur l’ISS. Mission réussie. Entre-temps, le fuselage largué est revenu en douceur sur sa base. Avec le succès de ce lancement – le premier vol spatial habité organisé par une compagnie privée – ce n’est pas seulement l’indépendance spatiale des États-Unis retrouvée après des années de dépendance à la fusée russe Soyouz qui flatte les nombrilistes Amréicain.es, c’est aussi la démonstration de la fiabilité gagnée par SpaceX quand la NASA en vient à louer les services du transporteur. Elon Musk hume le musc (signification de son patronyme) de la victoire. Toujours, chez lui, transitoire. Son ambition est « beyond », au-delà.

L’ISS, un petit saut pour Musk…

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des questions spatiales américaines nous l’explique : « La NASA invente une nouvelle relation avec ses partenaires industriels qui dépasse le cahier des charges technique. Elle achète un service et non plus un système, elle s’engage financièrement sur une enveloppe fixe, à charge pour les entreprises de se débrouiller comme elles veulent ou presque. Ces sociétés sont comme de petites agences spatiales. » Mais pour Elon Musk, la réussite de Crew Dragon sur l’ISS n’est qu’une étape vers un objectif plus transcendant, raison même de la création de SpaceX : coloniser Mars et faire passer l’humanité au grade d’espèce multiplanétaire. À peine Crew Dragon lancé, Musk s’est donc empressé, par un mail fuité, de demander à ses employés de concentrer leurs efforts sur son projet Starship, une fusée démesurée à destination de la Lune, puis de Mars. Sur ce point, les ambitions de la NASA et de SpaceX semblent coïncider, comme le note Xavier Pasco, « la question de l’ISS dans le paysage spatial américain devient un peu périphérique, l’objectif central aujourd’hui, c’est la Lune ».

La vision d’un entrepreneur de guilde spatiale…

Depuis quelques années déjà, le cœur de la géopolitique de l’espace bat plus fort, la course spatiale semble redevenir une réalité, notamment autour des projets lunaires et martiens. Ce regain d’intérêt a été alimenté en 2019 par la création du programme Artemis de la NASA, validé par Donald Trump : il s’agit de reposer le pied sur la Lune d’ici à 2024. Sur ce projet, trois entités privées ont été sélectionnées et mises en concurrence pour développer un vaisseau lunaire nouvelle génération. SpaceX en fait partie, aux côtés du Blue Origin de Jeff Bezos et de la firme Dynetics – Boeing n’a pas été retenu. Ce partenariat offre à la Space Exploration Technologies Corp., dite SpaceX, d’Elon Musk, de faire d’une pierre deux coups en présentant à la NASA son starship, déjà en test sur sa base de développement de Boca Chica.

Au-delà de l’aspect technique, c’est aussi toute une vision qu’Elon Musk tente de faire partager. Une vision qui lui aura d’ailleurs permis de constituer une véritable armée de fans de SpaceX avec qui il communique via Twitter. Pour notre expert, « la manière dont la NASA envisage son rôle pour l’exploration de la Lune a été directement influencée par le projet Musk, sa vision à lui, et par SpaceX. Aujourd’hui, ce que fait ou dit Elon Musk est plus entendu que ce que fait ou dit la NASA. Beaucoup se montrent pourtant extrêmement sceptiques sur ses plans à long terme, mais sa “vision” se révèle bien reçue par l’opinion publique, ce qui influe sur le positionnement des acteurs politiques. » La vision de Musk semble cependant quelque peu éloignée de celle de l’Agence nationale. Quand son objectif vise clairement l’exploitation de ressources spatiales, Elon Musk, lui, joue les colonisateurs à la Christophe Colomb, au nom d’un imaginaire romanesque, repéré par Xavier Pasco : « Il raconte une histoire de l’humanité dont le destin n’est pas de rester sur terre, mais de s’étendre dans l’espace. C’est la logique du philosophe russe Tsiolkovski, théoricien de la cosmonautique, qui disait au début du xxe siècle que “la terre est le berceau de l’homme, on n’a jamais vu un bébé ne jamais quitter son berceau”. » Dit comme ça, évidemment…

« Fly, fail, fix »

Au-delà de cette vision presque messianique, la particularité d’Elon Musk reste sa faculté à établir le lien entre ses multiples entreprises dans le cadre d’un projet global. Pasco : « Pour lui, la voiture électrique, les batteries solaires, Neuralink [implants cérébraux], hyperloop [son projet de transport rapide, fret comme passager, le long de conduites où les capsules se déplacent sur coussin d’air], SpaceX, Starlink [trains de satellites en cours de lancement], tout ça participe de sa vision d’un nouveau monde qu’il a en tête. Et tout est un peu lié. Je pense que, quand il imagine Neuralink [société de neurotechnologie pour une amélioration des capacités du cerveau], il pense aussi au futur de l’exploration. Elon Musk est un acteur politique au sens littéral, au sens grec du terme, dans la mesure où il communique une vision du monde, qu’il s’occupe de la vie de la cité. »

Elon Musk serait-il en train de bâtir les normes technologiques de l’homme multiplanétaire de demain ? L’avenir nous le dira.

Si la Lune figure pour le moment l’objectif principal de la NASA et de SpaceX, qu’en est-il de la Planète rouge que nous promet l’Iron Man du monde réel ? « La réponse habituelle depuis 50 ans, c’est qu’on ira sur Mars dans 30 ans, ironise Xavier Pasco. Musk a l’air très optimiste, il dit que ce sera dans les années qui viennent. Demeurent quand même des gros obstacles, comme celui des radiations*. Ça se fera peut-être un jour mais dans des décennies. » Si les dates fixées par SpaceX pour aller sur Mars semblent difficiles à tenir, il ne faut pas sous-estimer la force de la méthode Musk : « Fly, fail, fix. » On lance, ça rate, on change et on relance. L’idée est de supprimer les trop nombreuses étapes de sécurité pour fabriquer et tester des prototypes en un temps record. Lorsque SpaceX teste son prototype n° 4, les n° 5, 6 et 7 sont déjà en construction… Selon notre grand témoin, « sa méthode est symétriquement opposée à la philosophie du spatial où l’on fait les choses avec zéro défaut à la base. Là, c’est la logique du patch Internet, avec des mises à jour permanentes. Ça pourrait se révéler très dur pour SpaceX s’il arrive un accident, a fortiori “humain” : on remettrait alors tout ce fonctionnement en cause. »

Reste la question du financement. Elon Musk a beau jouer les milliardaires surentrepreneurs, il ne peut dilapider sa fortune – estimée à 19,6 milliards de dollars américains, 24e personne la plus riche aux États-Unis selon Forbes –, sans gagner encore plus d’argent. En réalité, il se garde bien de puiser dans ses avoirs, il cherche de l’argent en permanence via des levées de fonds. Quand Bezos (Amazon) injecte 1 milliard de dollars par an dans Blue Origin, l’une des autres sociétés de vols spatiaux privée, Musk, lui, essaie de tuer la concurrence. Il se sera montré notamment très féroce vis-à-vis de l’entreprise One Web qu’il a écrasée grâce à son projet de satellites Starlink, véritable vache à lait censée représenter 50 % des revenus de SpaceX au bout de trois ans, 75 % après cinq ans et 80 % à terme. Pour Xavier Pasco, l’espace est le nouveau marché pour entrepreneurs visionnaires : « Les satellites ont pris beaucoup d’importance, l’espace est en train de se diluer dans un monde de l’information qui a beaucoup gonflé. Il existe des enjeux à la fois politiques, économiques et celui de la standardisation. L’espace a donc repris de l’importance. Les technologies développées par la Silicon Valley, l’électronique et l’IA sont en train d’infuser dans le spatial et de faire baisser les coûts, c’est nouveau. La NASA et le spatial s’ouvrent, c’est de moins en moins cloisonné. » En attendant les vols spatiaux touristiques – le premier est prévu pour 2023 – vous pourrez toujours vous plonger dans le monde de Musk en observant, quand ils sont visibles, les trains de satellites Starlink de Musk, visibles depuis la terre.

Jean-Baptiste Chiara

* Ce rayonnement létal qui irradie dans le système solaire est filtré par l’atmosphère et le champ magnétique de la Terre. Dans l’espace, il pénètre tous les fuselages, ce qui a alimenté le doute des tenants d’une supercherie de la NASA lors des voyages lunaires.

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