Temps de lecture estimé : 4 minutes
Ces start-up qui veulent disrupter les métiers juridiques
Boostées par plusieurs changements législatifs récents, les start-up du droit sont parmi les plus dynamiques de la French Tech. Elles se comptent désormais par dizaines, ont leurs propres incubateurs, et multiplient les levées de fonds. Panorama de leurs principales représentantes.
Démocratiser l’accès au droit et réduire le coût des prestations juridiques grâce à la technologie (Web, algorithmes, intelligence artificielle), telle est la promesse des «legaltechs», les start-up de la justice. Le phénomène n’est pas nouveau, puisque les premières «legaltechs» sont apparues en France dès 2013 et le barreau de Paris a créé son incubateur en 2014. Mais plusieurs changements, notamment législatifs, ont facilité son essor. En 2014, la loi Hamon du 17 mars a ainsi autorisé les avocats à faire de la publicité, ce qui a permis la création de plateformes de mise en relation entre clients et avocats, comme Mon-avocat.fr. Et en 2015, la loi Macron a autorisé les avocats en activité à créer des sociétés commerciales.
Plus de 150 start-up du droit en France
Le barreau de Paris a depuis été imité par ceux de Marseille, Lyon, Toulouse, Montpellier, Nîmes, Rennes et Bordeaux, le dernier en date à créer son incubateur, début 2018. Ils forment le Réseau national des incubateurs de barreaux (RNIB). « Il s’agit d’offrir un soutien aux cabinets d’avocats pour développer des solutions innovantes. Elles pourront être tournées vers la profession, pour faciliter leur exercice quotidien, la relation avec les clients… Ou elles pourront être purement technologiques, autour de l’intelligence artificielle par exemple. L’incubateur proposera des solutions clés en main, notamment une offre de prestataires avec des prix négociés. Ce package sera adapté aux besoins des cabinets d’avocats bordelais », expliquait en mars au Journal des Entreprises Pierre Gramage, vice-bâtonnier du barreau de Bordeaux. Si bien qu’en janvier 2018, le site internet Village de la justice recensait 157 start-up du droit. Depuis peu, un salon est même consacré au secteur en France. Baptisé Village de la Legaltech, il est organisé par le site Village de la Justice et l’association OpenLaw. Sa deuxième édition, en décembre 2017, a accueilli 2 000 participants, pour une quarantaine d’exposants.
Domaines des legaltechs
Selon une étude du site Village de la justice, la rédaction d’actes et de documents juridiques est le premier domaine d’activité de ces acteurs (38 %) devant l’information juridique (20 %), la mise en relation (BtoB et BtoC) et les outils métiers (gestion de process pour les métiers du droit).
De nombreuses legaltechs se proposent d’aider les petites et moyennes entreprises, qui n’ont pas les moyens de recruter un juriste, dans leurs démarches légales et administratives. Créée en 2015 par Firmin Zochetto, Ghislain de Fontenay et Florian Fournier lorsqu’ils étaient encore étudiants, PayFit aide plus de 1 400 PME à gérer leur paie et leurs déclarations sociales via un outil d’automatisation, commercialisé en SaaS. Après avoir d’abord été soutenue par l’accélérateur The Family, la société a levé 5 millions d’euros en 2016 auprès Xavier Niel et Otium Venture, puis 14 millions d’euros en juillet 2017 auprès d’Accel et de ses investisseurs historiques. Créée en 2014 par deux frères, Philippe et Maxime Wagner, Captain Contrat aide les créateurs d’entreprise dans leurs démarches juridiques et administratives en s’appuyant sur l’expertise d’une centaine d’avocats et de juristes. L’entreprise, qui compte 40 collaborateurs, a 6 000 clients qui la rémunèrent de deux manières. Les avocats paient pour les outils que Captain Contrat met à leur disposition (logiciel, communication, marketing), tandis que les entrepreneurs paient pour les démarches administratives qu’elle réalise (enregistrement au greffe, au service des impôts…). La jeune pousse a levé 1 million d’euros en 2016 puis 4 millions en décembre 2017 auprès de CapHorn Invest, du fonds F3A (Bpifrance) et de plusieurs business angels. Sur ce créneau, on pourrait aussi citer Legalstart, Legalife (abonnement mensuel de service juridique externe), Ca crée pour moi, Lawcost, Bettr ou encore Impal’Act.
Certaines legaltechs s’adressent au grand public. C’est par exemple le cas de MaFiscalité.com. Créée en 2016 par Jean-René Alonso et Eve d’Onorio du Méo, ce site internet propose aux contribuables de personnaliser une cinquantaine de documents (réclamations, réponse à une demande de renseignements de l’administration, déclaration de compte à l’étranger…) pour 2,99 euros ou d’entrer en contact avec un avocat fiscaliste. LeBonBail, de son côté, propose depuis 2015 aux propriétaires une plateforme gratuite pour faciliter la rédaction de leur bail locatif. Il se rémunère par la mise en relation avec des professionnels, grâce aux données renseignées par les propriétaires. Testamento, créé en 2013 par Virgile Delporte, propose de créer son testament en ligne pour 29,90 euros. Plusieurs sites aident aussi les internautes à mener des actions en justice, comme DemanderJustice.com et Actoowin. Enfin, WeJustice.com est une plateforme de crowdfunding spécialisée dans les opérations en justice qui se rémunère en prélevant une commission de 5 % sur les collectes réussies.
Une menace pour les avocats ?
En février 2017, le rapport Haeri sur l’avenir de la profession d’avocat remarquait que les legaltechs ont soulevé de grandes craintes : « Les nouvelles technologies et l’utilisation des plateformes ont fait naître dans la profession un sentiment équivalent à celui de la Grande Peur de l’an Mil. » Mais que c’est « à tort [qu’elle y a vu] l’annonce des prémices de sa disparition ». « Il y a quelques années, les relations entre les professions réglementées et les acteurs des legaltechs étaient tendues. Elles les accusaient d’être des “braconniers du droit” », se souvient le président d’OpenLaw Benjamin Jean. Mais les choses se sont apaisées, tous ces acteurs collaborent. Au lieu d’une disruption, les avocats utilisent ces outils numériques pour améliorer leur activité.
En effet, de nombreuses start-up du droit, loin de vouloir prendre la place des 60 000 avocats qui exercent en France, veulent en faire leurs clients. C’est par exemple le cas de Doctrine.fr, qui se présente comme le Google des avocats car il permet aux professionnels du droit de rechercher (par mot clé, date, avocat, entreprise…) une décision de justice dans sa base de données, qui en réunissait 7 millions en septembre 2017, contre 2,9 millions pour LexisNexis, 2 millions pour Dalloz, et 900 000 pour LegiFrance. La société revendique 8 000 clients juristes (avocats individuels ou cabinets, experts-comptables, huissiers, responsables juridiques de PME ou de collectivités locales) et des grands comptes (grands cabinets, directions juridiques, services publics). Le logiciel est commercialisé sous forme de licence (129 euros par mois et par utilisateur, ou tarif négocié au-delà de dix utilisateurs). Doctrine a été fondée début 2016 par Nicolas Bustamante (diplômé de l’ENS), Raphaël Champeimont et Antoine Dusséaux (diplômé de Polytechnique et Berkeley). La start-up, qui compte une quarantaine de salariés, a levé 2 millions d’euros en octobre 2016 auprès d’Otium Venture, Kima Ventures, The Family et des business angels. Doctrine n’est pas la seule à proposer ses services aux avocats. « Les acteurs français de l’analyse des données juridiques bénéficient d’une barrière à l’entrée contre les acteurs américains, car ils ont pu entraîner leurs intelligences artificielles sur des décisions judiciaires bien différentes de celles auxquelles ont eu accès leurs concurrents d’outre-Atlantique », analyse Benjamin Jean (OpenLaw).
Nous pourrions aussi citer Case One (logiciel de gestion pour les cabinets d’avocat), Deepblock (blockchain), Dicma (dictée automatisée), Gino Legaltech (automatisation de la rédaction d’actes juridiques), Jarvis Legal (aide à la gestion des cabinets d’avocat), Legal Suite (éditeur de logiciels juridiques), Luxia (intelligence artificielle et big data au service du droit pour les professionnels et avocats), Secib (logiciel de gestion pour avocats), ou encore YouSign (signature électronique).
Les legaltechs qui se proposent de mettre en relation clients et avocats sont un autre atout pour ces derniers. C’est par exemple le cas de Mon-avocat.fr. Lancée début 2015 par Benjamin Bing et Charles Passereau, elle propose aux internautes de chercher le professionnel qui correspond le mieux à leurs problématiques selon leur localisation, leur domaine d’intervention ou encore leur expérience. Gratuite pour les utilisateurs, la plateforme se rémunère grâce aux services de publicité et de visibilité qu’elle offre aux avocats, commercialisés sous forme d’abonnement. Le panier moyen est de 350 euros par an. Cette start-up a levé 1 million d’euros en mars 2017 en amorçage auprès du fonds d’investissement du groupe W3 (VivaStreet, EasyRoomate). A l’époque, elle revendiquait 1 600 avocats inscrits dans 300 villes françaises. Ses concurrents se nomment LegalUP, Domaine Legal, JuriTravail, Le Droit pour moi, WebLex, ou encore Rocket Lawyer aux Etats-Unis. « C’est un marché très concurrentiel, mais il n’y aura pas à terme de la place pour autant d’acteurs », observe Benjamin Jean.
Les avocats se lancent aussi
Les acteurs traditionnels du secteur juridique ont bien compris les opportunités des legaltechs. Les cabinets d’avocat Herbert Smith Freehills et Baker McKenzie organisent par exemple des concours de start-up de la justice et des hackathons. Et en février 2017, Aurélie Charnier et Pascal Lorain, les dirigeants du groupe d’expertise comptable Secab, fondé en 2007 et qui compte une douzaine de cabinets en France, ont créé Wity, une start-up qui pourrait disrupter leur propre métier. La société propose en effet aux créateurs d’entreprise, moyennant un abonnement mensuel (à partir de 29 euros par mois), des prestations de comptabilité et de conseil juridique en ligne. Elle a levé 4,7 millions d’euros auprès de M Capital Partners.
Louis Marquis