Faut-il sauver le soldat libra ?

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États, entreprises, particuliers : les projets de création de cryptomonnaies s’accélèrent ces dernières semaines. Une course à l’armement aux enjeux planétaires.

À peine annoncé, le projet de cryptomonnaie de Facebook, le fameux libra, est-il déjà mort dans l’œuf ? Le GAFA révolutionnaire aura-t-il les moyens d’imposer sa monnaie d’échange aux nez et aux barbes des autorités financières grandes maîtresses de la monnaie ? Depuis l’évocation de son lancement pour mi-2020, les faisceaux des ligueurs s’élèvent pour barrer la route au coup de force du réseau social mondial. Une guerre mondiale s’orchestre. Qui en seront les victimes ?

Pas les États, proclame haut et fort, en pleine conférence de l’OCDE le jeudi 12 septembre, un Bruno Le Maire ministre de l’Économie français ! Il affirme catégoriquement que la France n’autorisera pas « le développement du libra sur le sol européen ». Il estime que « la souveraineté monétaire des États est en jeu ». « Toute défaillance dans le fonctionnement de cette monnaie, dans la gestion de ses réserves pourrait créer des désordres financiers considérables », prévient le ministre de l’Économie. Le G7 et l’OCDE souscrivent pleinement à la déclaration de guerre. Et pour cause : Paris et Berlin prônent la création d’une « devise numérique » à l’échelle du continent. Mais pourquoi le libra fait-il si peur ? Mais bien sûr parce que cette « monnaie » d’un réseau riche de quelque 2,7 milliards d’utilisateurs ne peut que venir chatouiller le sacro-saint intouchable système financier mondial, même si son but avoué reste, pour l’heure, de faciliter les paiements et transferts de monnaie par Messenger et WhatsApp ! Et ce ne sont pas les déclarations rassurantes de PayPal (l’un des 28 membres du consortium de gouvernance du libra, avec Mastercard, Visa, Uber, Ebay, Spotify ou le français Iliad) qui vont rassurer nos grands argentiers.

Proto-État

« Le libra représente plusieurs dangers. Il s’agit d’abord d’une tentative de privatisation d’Internet, qui a été créé sans monnaie native. Facebook pourrait ainsi se livrer à du chantage sur les résultats de son algorithme auprès de ceux qui choisissent de ne pas utiliser sa monnaie, avance Clément Jeanneau, cofondateur du cabinet Blockchain Partner. Puis surgissent les risques d’atteinte à la confidentialité des transactions. En outre, la possibilité pour Facebook d’analyser ces données financières combinées à ses données sociales actuelles lui conférerait un pouvoir inédit et dangereux. Enfin, le libra se fonde sur un panier de devises : Facebook pourrait à terme menacer l’économie de ces États en abaissant la part de leur devise dans ce panier en cas de décision contraire à ses intérêts. Ce serait l’émergence inquiétante d’un proto-État. »

Petro, crypto-yuan, gram, etc.

Bruno Le Maire ne s’y trompe pas qui annonce, dans la foulée, que la France réfléchit à son tour à la création d’une monnaie numérique publique, émise par les banques centrales. Mais d’autres États n’ont pas attendu la levée de l’écu français pour battre cryptomonnaie : le petro vénézuélien, l’estcoin estonien ou le crypto-yuan, dont le lancement le 11 novembre 2019 a été annoncé mi-août à la surprise générale, anticipent d’autres projets privés : le très secret gram de la messagerie cryptée Telegram, les annonces subliminales d’Apple et de JP Morgan ou celle d’Ark, en France – A Fast Secure Core Technology, projet qui vise à favoriser la démocratisation de la blockchain et son adoption par le public, avec ses 382 millions d’euros de capitalisation au 31 janvier 2018.

Des projets de « simples particuliers » tentent même d’ajouter leurs petites voix provocatrices à la grande foire de la cryptomonnaie, comme le « pac » du boxeur et sénateur philippin Manny Pacquiao, lancé début septembre !

En réalité, États et GAFA veulent s’affranchir de la dépendance au dollar et des intermédiaires financiers. « La monnaie numérique représente déjà 99,9 % des échanges. L’euro et le yuan numériques existent déjà. Il s’agit donc désormais, pour Pékin et Bruxelles, de créer une véritable cryptomonnaie pour empêcher qu’un libra privé n’ait valeur d’échange sur leurs territoires et conserver leur souveraineté, pointe Marc Zeller, analyste pour le courtier spécialisé Coinhouse. D’où la réaction de Facebook de retirer le yuan du panier de devises du libra et tenter de marquer des points auprès de Washington, son principal marché. »

Crypto-actifs

Mais face au bitcoin et aux cryptomonnaies (dont le marché total atteint désormais 250 milliards de dollars), le combat n’est-il pas perdu d’avance ? Le secteur financier semble l’acter, avec l’émergence d’acteurs attractifs (N26 ou Revolut), de produits innovants (comme Fizzy, le nouveau produit d’assurance d’Axa sur les retards d’avion à partir de la technologie blockchain ethereum) et de nouveaux outils de finance décentralisée. Même la Suisse vient d’allouer deux licences bancaires à des projets crypto ! « Techniquement, le code et le réseau de test du libra sont déjà accessibles aux développeurs ! assure Marc Zeller. Alors, peut-être ne sera-t-elle pas mise en place dès 2020, mais ne doutons pas que Facebook s’assurera le concours des meilleurs avocats pour s’adapter au cadre réglementaire à venir. Sinon, un autre GAFAM y arrivera… »

À l’avenir, les monnaies souveraines dématérialisées pourraient donc se retrouver en concurrence avec une ou plusieurs devises supranationales, comme le libra. Sur les marchés financiers, d’autres crypto-actifs viendront étoffer les portefeuilles des épargnants, à commencer par le bitcoin, qui aura remplacé l’or, comme valeur refuge numérique.
pierre havez

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