Temps de lecture estimé : 4 minutes
C’est l’un des grands enseignements de la crise sanitaire et de son corollaire, la crise économique : le made in France est de retour. Ou du moins, le vent lui semble favorable. Entre nouvelles exigences des consommateurs, besoins stratégiques et mise en valeur des savoir-faire français, il y a du patriotisme économique dans l’air. Et un sacré casse-tête pour l’exécutif.
À l’heure du ralentissement forcé de la « globalisation », en français mondialisation, vieille rengaine oblige, l’idée d’indépendance économique et d’un made in France retrouvé refait son trou. De l’avis de nombre d’observateurs économiques, la pandémie a mis en lumière une dépendance industrielle et stratégique trop importante, notamment vis-à-vis de la Chine et de l’Asie en général, en particulier pour l’industrie pharmaceutique. Mais surtout, en parallèle d’une conjoncture économique inédite, les Français.es revoient leurs habitudes de consommation, alimentaires et vestimentaires en tête, au bénéfice de la production française. Manger local, acheter français, s’habiller chez nos bonnetiers, pas forcément une évidence après plusieurs décennies de délocalisations industrielles massives hors de l’hexagone. Mais malgré quelques contradictions, la nécessité d’une souveraineté économique semble faire consensus. De son côté, Emmanuel Macron affirmait le 31 mars qu’il fallait « produire davantage en France ». Un constat qui n’étonne pas Sarah Guillou, économiste et directrice adjointe du Département innovation et concurrence à l’OFCE : « Il est vrai qu’en France, on revient souvent à la rengaine du patriotisme économique, le discours politique y a toujours été favorable et la conjoncture actuelle va dans le sens de ce penchant français, bien plus important que chez nos voisins européens. » Entre aspirations ancestrales et réalités économiques, la marche est haute, selon l’économiste. Mais le made in France ne relève plus du seul discours patriote, il trouve un nouveau souffle dans le mouvement écologique.
Made in France et écologie, tendances de fond
Une campagne présidentielle de 2012 marquée par la mode du made in France et du patriotisme industriel pour lutter contre le chômage, Arnaud Montebourg et sa fameuse marinière en une du Parisien magazine… La classe politique l’a compris, parler made in France, c’est vendeur. Selon un sondage Odoxa-Comfluence, 90 % des Français.es désirent que l’État pousse à la relocalisation de la production de médicaments et des entreprises industrielles, au risque d’une hausse des prix. Côté alimentaire, même son de cloche : 60 % des consommateurs affirment privilégier dorénavant la production de leur région, pour soutenir l’économie (sondage Ipsos). Élan éphémère dû à la crise sanitaire ou véritable dynamique durable, toujours est-il que les Français.es se montrent sensibles et réagissent à la conjoncture. Une situation que Sarah Guillou explique simplement : « Les tensions d’approvisionnement dues à la pandémie ont eu deux conséquences : l’arrêt de la production dans certains pays et donc l’arrêt de l’approvisionnement, étant donné l’interdépendance pour tout ce qui relève du manufacturier. La situation a questionné les pays sur leur autonomie et leur insertion dans la chaîne de valeur mondiale. »
Logiquement, et par ricochets, tous les grands producteurs mondiaux ont eu le réflexe d’alimenter et de se préoccuper en priorité de leur marché local. De quoi remettre le made in France sous les projecteurs. Et ce made in France là n’est plus seul, il a su trouver un second ressort dans le mouvement écologique. « Produire en France de la bonne façon, ça a un impact écologique positif direct, made in France et écologique sont directement liés », affirme Samuel Holichon, fondateur d’Another Way, jeune pousse française qui développe des solutions écologiques, à base de cire d’abeille notamment pour remplacer les produits jetables du quotidien.
L’écologie, voilà bien un enjeu qui tend à s’imposer parmi nos principales préoccupations, ce ne sont pas les élections municipales de cette année qui nous diront le contraire. « Les préférences écologiques structurent de plus en plus les attentes des citoyens, ça a donc du sens pour les entreprises d’investir cette dimension de leur production, l’argument écologique et la production locale justifient notamment la différence de prix », analyse Sarah Guillou. Produire français et écolo, nouveaux mots d’ordre d’un entrepreneuriat français prêt à faire la différence, dans tous les secteurs.
Protéger les savoir-faire français, l’exemple des « petits »
En surfant sur cette vague favorable à l’entrepreneuriat made in France, de jeunes pousses fleurissent chaque année, portant en elles des valeurs locales et écologiques prépondérantes. Brice Lambert, fondateur de Chevrons, est l’un de ces entrepreneurs « nouvelle génération ». Sa marque de denim 100 % français, lancée en plein confinement, s’inscrit dans une perspective en rupture avec l’industrie textile internationale d’aujourd’hui, ultra-fragmentée et ultra-polluante. « Dans l’univers textile, le jean est l’archétype du produit anti-écoresponsable, il est créé à base de coton, très gourmand en eau, et parcourt en moyenne 65 000 km avant d’arriver sur les étals, résume Brice Lambert. C’était donc un beau challenge à relever : produire des jeans français écoresponsables. »
Chevrons est un de ces « petits » qui montrent la voie aux « grands » du secteur. Le patron de la marque clame ses valeurs : « Le simple fait de favoriser la production locale et de réduire les transports, c’est intégrer des pratiques plus écoresponsables. Pourquoi aller chercher à l’autre bout du monde quelque chose qu’on a ici et souvent de meilleure qualité ? » Des produits de qualité mais à quel prix ? C’est l’un des défis du made in France : rester accessible. Un défi que relève Renaissance Luxury Group. Fondé en 2014, il se donne pour mission de revitaliser des entreprises françaises de la mode et du bijou et de pérenniser ces savoir-faire. Et pour cause, toutes les entités du groupe ont reçu le label d’« entreprise du patrimoine vivant » pour une production française ancestrale. Son président, Éric Lefranc, livre la recette : « On est parti sur une stratégie de marque basée sur l’innovation et l’industrialisation, pour valoriser le made in France et le rendre accessible. Quand on a repris le groupe GL Paris, 50 % de la production étaient délocalisés en Asie. Aujourd’hui, on est à 75 % de fabrication en Ardèche pour les bijoux et 100 % en Bretagne pour le cuir. » Citée plus haut, la jeune pousse Another Way accélère encore plus la démarche au nom de l’écolo et du social d’abord, du made in France ensuite. Samuel Holichon : « Au moment du lancement, aucune usine en France ne maîtrisait le process pour confectionner notre emballage en cire d’abeille, on a donc préféré sous-traiter à l’étranger le temps d’installer l’activité. Un an après, on a relocalisé toute la production en France. » À son engagement écolo, Another Way ajoute un engagement social : la marque fait déjà travailler des personnes en situation de handicap et vise de devenir une entreprise à mission.
Le compromis d’un made in Europe
Malgré la multiplication des démarches entrepreneuriales similaires à nos trois défenseurs du made in France et de l’écologie, chacun dans leur secteur, l’économie française dans son ensemble et ses gros poissons semblent encore loin d’une révolution. « Il se manifeste une forme de naïveté à croire qu’on va faire une croix sur la globalisation », souligne Sarah Guillou. Pour l’économiste, si le contexte actuel est favorable au made in France, il est futile, voire idéaliste, de préconiser des relocalisations des unités de production à tout va. D’autant plus qu’il faut savoir de quoi l’on parle : « Il y a de la délocalisation mais aussi de la localisation, si une entreprise s’implante à l’étranger c’est le plus souvent pour s’assurer l’accès à ce nouveau marché. Et dans ce cas, il n’y a pas de substitution, il s’agit d’étendre une activité qui n’a aucune raison d’être localisée en France, il ne faut pas tout mélanger. » Autrement dit, la relocalisation en France est à réfléchir au cas par cas. Elle n’est pas toujours souhaitable, la production locale n’est pas la solution miracle. « On peut juger nécessaire une relocalisation pour un type de produits dans le cas où il existe une tension sur l’offre de ce produit à l’étranger sur laquelle on n’aurait pas de levier, diagnostique Sarah Guillou. On peut estimer que relocaliser la production de médicaments sur le sol européen est nécessaire, mais la relocalisation prendra alors un sens européen, pas national. » Voilà ce que préconise notre économiste estampillée OFCE : un made in Europe, plus performant qu’un made in France jugé trop protectionniste. Attention, avis tranché : « Je suis convaincue des bienfaits d’une production localisée à l’échelle européenne, en premier lieu parce que, grâce à cette échelle de production, on pourrait produire en plus grande quantité pour un plus grand marché et donc réaliser des économies d’échelle. L’échelle du marché européen est comparable à celle des marchés américains et asiatiques, ça aurait donc du sens en termes de capacité de production, d’exportation et d’influence sur les prix. » Alors, renouveau du made in France, développement du made in Europe ou statu quo ? Faites vos jeux.
Adam Belghiti Alaoui