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La chasse aux éléphants
Le nombre d’années du candidat est un critère de choix plus évoqué par les électeurs que par le passé. Ce qui ne cache pas forcément un jeunisme effréné…
«Doit-on (aussi) choisir son candidat à la présidentielle en fonction de son âge ? » Selon ce sondage OpinionWay mené pour Metronews et LCI en février 2016, les Français sont apparus partagés sur la question – 48% sont pour – et la dernière ligne droite de la présidentielle semble le confirmer. Mais la question qui revient plus souvent sur le tapis témoigne d’un changement de paradigme.
Tradition de « sagesse »
A 62 ans, François Hollande fait partie des dirigeants européens les plus âgés. On comptait même encore récemment un trentenaire, l’Estonien Taavi Roivas (37 ans). Et par le passé les électeurs hexagonaux n’ont jamais été rebutés par le poids des années, bien au contraire. Adolphe Thiers, doyen des présidents, avait 74 ans lors de son élection en 1871, comme Paul Doumer. Jules Grévy et René Coty, 72 ans. La majorité de nos chefs d’Etat avaient entre 60 et 70 ans, avec quelques septuagénaires dans le lot. Le plus jeune, Louis-Napoléon Bonaparte, avait 40 ans à son élection en 1848. Plus près de nous, le benjamin Valéry Giscard d’Estaing a été élu à 48 ans en 1974. Alain Juppé, du haut de ses 71 ans, aurait très bien pu s’inviter dans la course, tant les cheveux poivre et sel sont communs en politique. François Fillon qui l’a détrôné, du haut de ses 63 ans, ne fait pas figure de perdreau de l’année. La moyenne d’âge est d’ailleurs de 62 ans pour l’Assemblée nationale et le Sénat, soit dix ans de plus que la moyenne des parlements nationaux en Europe ! « Benoît Hamon, Philippe Poutou ou Nathalie Arthauld sont plus jeunes, mais cela ne fait pas leur succès. Et Jean-Luc Mélenchon les dépasse alors qu’il est largement leur aîné », ajoute Eléonore Quarré, chef de groupe, département Opinion & Politique chez OpinionWay. De surcroît l’espérance de vie et de bonne santé accroît cette valorisation du poids des années. Le benjamin Emmanuel Macron, du haut de ses 39 ans, fait bien figure d’extraterrestre, étant le seul à correspondant à l’âge médian de la population française, de 40 ans.
Conflit générationnel latent
Il n’empêche, 48% des Français y prêtent désormais attention. A plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy a évoqué ses dix ans de moins qu’Alain Juppé, et en 2002, Lionel Jospin s’était risqué à titiller Jacques Chirac sur ce plan. Dans l’inconscient collectif perdurent les fins de règne de François Mitterrand souffrant d’un cancer ou de Jacques Chirac à la santé également balbutiante, alors que la fonction est considérée comme toujours plus exigeante et stressante. Autre sujet de crispation souligné par le sociologue Louis Chauvel, le sentiment prégnant que les seniors ne veulent pas songer à la succession après 30 ans au plus haut niveau, quand des jeunes plus si jeunes, travaillant avec acharnement et discrétion, ne voient pas le début d’une promotion. Un trou générationnel s’est creusé, d’autant plus préoccupant qu’il ne se réduit pas à la sphère politique, mais se rencontre aussi dans la pyramide des âges des chercheurs, des enseignants, des médecins, des journalistes… Nombre de commentateurs soulignent que la génération des baby-boomers, politisée lors de Mai 68, a réussi à accéder au pouvoir relativement jeune – « entre Charles de Gaulle (69 ans) et VGE (48 ans) on a perdu 20 ans ! », rappelle Eléonore Quarré – mais a bloqué les suivantes au gré des réélections.
Envie plus large de respiration
Certaines alternances peuvent provoquer un rajeunissement du personnel. Ainsi en 1981, l’élection de François Mitterrand a généré un renouveau sans précédent : « La moyenne d’âge est soudainement tombée par rapport aux années du gaullisme et du giscardisme », observe Mariette Sineau, directrice de recherche CNRS au Cevipof, centre de recherches politiques de Sciences Po, qui a longtemps travaillé sur le personnel politique. Mais certaines règles propres à la Vème République ont encouragé les mêmes hommes à s’accaparer le pouvoir : « Ici point de proportionnelle comme dans la plupart des pays européens. Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours est une spécificité française (seule l’Angleterre fonctionne de même, mais sur un seul tour, NDLR.), générant des élections de notables. Un seul individu est élu dans une circonscription étroite, les partis mettent donc en avant le plus connu, le maire, le conseiller général, le sortant, au détriment des jeunes ou des femmes. Il s’agit d’un facteur de conservatisme terrible, faisant apparaître des professionnels de la politique hors-sol qui n’ont jamais travaillé ailleurs », déplore la spécialiste, constatant en facteur aggravant la disparition de partis de masses comme le PC qui établissaient officieusement des quotas dans les listes, laissant une place aux jeunes, ouvriers, femmes… Cerise sur ce gâteau au goût amer, la France a longtemps toléré le cumul des mandats au contraire de ses voisins : « Les règlementations de 1985, 2000, et bientôt celle de 2017, empêchant les parlementaires de cumuler leur mandat avec une fonction exécutive locale, arrivent tardivement. Les partis dans leur ensemble ont échoué à organiser la sélection du personnel politique sur une base démocratique et paritaire ». La population a supporté durant des décennies l’absence de nouveaux visages dans le paysage, mais la prise de conscience que le phénomène se traduit par un spectre étroit de solutions envisagées pour répondre aux grands problèmes de fond a lassé. « Le suivi quotidien PrésiTrack d’OpinionWay démontre que les préoccupations des Français concernent dans l’ordre l’emploi, la protection sociale et le pouvoir d’achat (57%, 51%, 49%) », campe Eléonore Quarré. Manuel Valls, Nicolas Sarkozy ou Alain Juppé ont fait les frais de cette prise de conscience. « Emmanuel Macron ou Marine Le Pen ont actuellement pour eux cette caractéristique d’être « hors système » », constate Eléonore Quarré. La saturation face à une génération politique a peu à voir avec l’âge. « Y appartiennent ceux qui ont été marqués par un évènement politique majeur, comme l’alternance mitterrandienne à l’époque », explique Mariette Sineau. Femmes, jeunes, membres de la société civile contribueront au renouvellement, et les changements de règles, comme l’introduction des primaires, leur facilitent enfin l’accès. A travers la chasse aux apparatchiks de la politique, les Français sanctionnent 35 ans de dysfonctionnements.
Julien Tarby