Temps de lecture estimé : 4 minutes
Trouver la bonne distance…
Les cours virtuels sont redevenus la règle depuis le coup d’envoi du second confinement fin octobre. Pour les Grandes écoles, il a fallu transformer leurs méthodes pédagogiques en un temps record. Voyage dans les amphis réinventés.
Les Grandes écoles ne se sont jamais fermées. Nos fleurons de l’intelligentsia ont fait honneur à leurs ressources et se sont réinventées pour assurer la continuité pédagogique. Mais loin des campus. En 100 % distanciel, par Zoom, Teams et consorts, conséquence directe du deuxième confinement annoncé par le gouvernement le 30 octobre. L’ouverture de la perspective d’un présentiel effectif début février n’en finit pas avec le flou du calendrier et les interrogations. « Nous suivons scrupuleusement les mesures actuelles édictées par le ministère de l’Enseignement supérieur. Nos étudiant·es réparti·es sur quatre campus, à Paris, Bordeaux, Marseille et Toulon, suivent leurs cours à domicile depuis la fin octobre » : Cédric Ghetty, directeur des programmes et doyen associé à la pédagogie au sein de Kedge Business School, campe l’état des lieux.
Pour autant, bon nombre d’étudiant·es ont connu une rentrée de septembre presque « normale » derrière les portes de leurs campus. « On avait fait le choix d’un système hybride qui mêle des cours en présentiel, des cours en distanciel et de l’e-learning », décrit Anne Zuccarelli, directrice de l’expérience étudiante à l’Edhec et ses 8 000 étudiant·es réparti·es sur deux campus (Lille et Nice). Attentive à l’évolution de la crise sanitaire, la manageuse espère augmenter la part du présentiel au deuxième semestre. « Mais aura-t-on encore une jauge ? À combien s’élèvera-t-elle ? », s’interroge celle qui n’exclut pas l’hypothèse d’une troisième vague de confinement… Tout doit donc être pensé en amont pour assurer une fluidité de l’enseignement et une continuité pédagogique.
Corps enseignant en formation
Le premier confinement a rimé avec réactivité. « Nous avons tous appris ensemble, poursuit Anne Zuccarelli de l’Edhec. Nos étudiants et étudiantes ont pu travailler à distance grâce notamment à un panel d’outils intégrés dans la plate-forme blackboard, suivre les cours, passer les examens, profiter de l’e-learning, accéder à la classe virtuelle, au forum… Dès le printemps, nous avions configuré ce que nous allons mettre en place pour le semestre actuel sous la forme d’un modèle hybride, flexible, à même de basculer du jour au lendemain en complet distanciel. En l’espace de dix mois, nous avons réussi à transformer notre pédagogie à une vitesse bien plus rapide comparée à la façon dont on a pu agir ces dernières années », se félicite Patrice Houdayer, directeur des programmes, de l’international et de la vie étudiante de Skema, qui s’appuie sur sept campus dont quatre à l’étranger. Cédric Ghetty, de Kedge Business School, a lui aussi misé sur la formation expresse : « Dès le départ, avec le service de notre digital learning, nous avons misé sur un nombre incalculable de formations d’accompagnement des professeurs. »
Une bascule technologique
Formation et accompagnement, deux mots-clés dans le discours des dirigeants des grandes écoles. « En termes d’utilisation des outils et de bascule des cours en ligne, nous avons gagné 3 ou 4 ans », considère Cédric Ghetty. Le confinement a bel et bien servi d’accélérateur. Les Grandes écoles en paient le prix. Des coûts massifs en termes d’équipements technologiques face à cette finalité, que les étudiants à distance s’inscrivent dans les mêmes conditions que les étudiants en face à face. « Nous avons renforcé nos investissements sur plusieurs types de ressources, des caméras, des micros, des écrans tactiles, des classes virtuelles, etc. pour un montant de l’ordre de 2,5 millions d’euros », évalue Bertrand Sulpice, directeur identité des campus et référent covid à l’Essec.
Les cours virtuels semblent appréciés par les étudiant·es, estime Anne Zuccarelli, directrice de l’expérience étudiante à l’Edhec. « À travers les enquêtes régulières que nous menons auprès d’eux et elles, des points positifs ressortent : ils apprennent à se montrer plus autonomes, à mieux gérer leur temps, ils et elles jugent ce type d’apprentissage flexible et plus personnalisé. »
Pour éviter le décrochage d’étudiant·es qu’elles ne voient plus qu’à travers des écrans virtuels, de nombreuses écoles ont renforcé le suivi individualisé. Une nécessité. Les examens et autres évaluations se sont eux aussi tenus à distance. « Nous nous sommes adaptés à cette réalité et avons souhaité évoluer le contenu de nos examens beaucoup plus dans l’analyse et la réflexion personnelle », pointe Éric Lamarque, directeur de l’IAE de Paris-Sorbonne pour qui le temps du distanciel semble aujourd’hui porter ses limites. « Alors, oui, on a progressé sur la convivialité des outils. On a assuré la continuité pédagogique dans les meilleures conditions au regard du contexte sanitaire. Mais l’absence de présentiel se fait de plus en plus ressentir : le manque de débats dans les cours, la perte d’échanges et de retour d’expérience… Est-ce que l’acquisition des connaissances se fait de la même façon par une seule présence en ligne ? Parmi mes préconisations, j’envisage de proposer aux futur·s diplômé·es qui auraient été trop affecté·es par cette période de cours à distance de les faire revenir pour la rentrée de septembre 2021 en auditeur libre sur la base du volontariat afin qu’ils et elles puissent reconsolider certaines connaissances. »
Bertrand Sulpice, à l’Essec, attend avec impatience lui aussi le retour du présentiel gage d’une meilleure créativité entre les étudiant·es et une meilleure interaction avec les professeur·es. Chez Skema, Patrice Houdayer se fait le « sage » de l’épreuve : « Il est certain qu’à l’issue de la pandémie, nous ne repartirons pas à la normale. Nous nous servirons à bon escient de tout ce qu’on a appris durant cette crise. »
Enfin chez Audencia, la nécessité de recourir aux cours à distance a plutôt bien fonctionné : « Les étudiant·es se connectent sur une plateforme aux heures inscrites sur leur emploi du temps, puis les enseignements ont lieu en visio, des sessions de deux heures qui mêlent exercices et discussions. On souhaite aussi garder cette ambiance salle de classe, pas plus de 40 étudiant·es pour chaque session, hormis pour les examens », explique Nicolas Arnaud, directeur des programmes pour l’école de commerce nantaise.
« Je pense qu’il faut vraiment désacraliser une éventuelle inquiétude sur la complexité des cours à distance. Même nos professeur·es les plus réticent·es en mars ont été accompagné·es depuis, via notamment des vidéos et tutoriels, et ont totalement pris en main les outils numériques pour maintenir un enseignement pédagogique de qualité », décrit Nicolas Arnaud. Même son de cloche du côté de l’UTC, où les « professeur·es ont été équipé·es en webcams, micros pour assurer la poursuite des cours », précise Etienne Arnoult, directeur formation et pédagogie.
Et si l’enseignement à distance perdurait au-delà de la crise sanitaire ? Pour Nicolas Arnaud : « Il est certain que demain, davantage d’enseignements seront purement pensés sur un mode full distanciel. Pour non seulement donner plus de flexibilité aux étudiant·es et dépasser des problématiques géographiques et financières. Mais aussi remplir notre devoir de formation, à savoir préparer nos étudiant·es aux métiers de demain… sans doute plus à distance que jamais », estime le directeur des programmes de l’école. Le tout à distance, Etienne Arnoult, lui, n’y croit pas : « Pédagogiquement, ce serait une catastrophe ! Malgré tout, le suivi, s’il est en petits groupes, peut se faire en ligne. Mais bien sûr, étudiant·es comme professeur·es ont besoin de ce contact, de ce face à face, difficile à atteindre devant son écran », remarque-t-il après avoir échangé avec l’équipe pédagogique et les étudiant·es de l’UTC.
Jonathan Nahmany