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J’écris, tu écris, nous écrivons : la génération sacrifiée
Paradoxalement, l’ère du numérique a renforcé la prépondérance de l’écrit… au point de faire de l’orthographe un véritable enjeu pour les entreprises. Avec une pression modulable selon les secteurs.
Les lacunes en orthographe, un tabou chez les cadres ? À l’heure du numérique, l’orthographe devient en tout cas un véritable enjeu, en bas comme en haut de l’échelle, dans les petites entreprises comme dans les mastodontes du CAC 40. J’écris. Tu écris. Nous écrivons. Tous les cadres écrivent, envoient des mails en interne, à la clientèle, aux fournisseurs, aux partenaires financiers, aux fameux n +1… Tous n’ont pas le « Bled » pour livre de chevet. Et l’époque des assistantes est bel et bien révolue. Dorénavant, l’exercice se fait sans filet, mais avec fautes. Trop de fautes ? À la tête du réseau Ifag, qui forme les cadres de demain en marketing, commerce ou bien encore ressources humaines, Dominique Lemaire n’hésite pas à parler de « génération sacrifiée, de cadres formés à la méthode globale et adepte des SMS. » Or il en va de la réputation, de la crédibilité de l’entreprise. L’orthographe est le reflet de sa qualité de services. Si les correcteurs intégrés des traitements de texte constituent une béquille, ils ne traquent pas tous les barbarismes.
Libérée, délivrée… mais anonyme
Tabou ou pas, alors ? La parole se libère peu à peu. Pour preuve, le boom des séminaires qui y sont consacrés. Pour autant, Bernard Fripiat se garde bien de faire un tour de table au tout début de ses stages de formation pour préciser les fonctions des membres de son auditoire. Cet auteur belge, à l’origine d’un site dédié (www.orthogaffe.com), bien connu des auditeurs d’Europe 1, coach sur cette thématique depuis une vingtaine d’années, redoute « les tensions que la rupture de l’anonymat pourrait engendrer. La confidentialité est même un argument de vente », confie-t-il. « La dimension psychologique n’est pas négligeable, affirme à son tour Nathalie Richard, fondatrice du cabinet de formation Epic Performance. Le sujet ramène à la petite enfance, au jugement de l’instituteur. Dans les petites boîtes, les chefs de service risquent de se sentir en porte-à-faux par rapport à leurs équipes, d’où des sessions en dehors de l’entreprise, par discrétion. »
Un frein au recrutement
Tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne. Et d’une entreprise à une x, la prégnance de l’orthographe et de la syntaxe varie. « Entre 100 à 150 curriculum vitae me sont transmis au quotidien, raconte Charlotte Herduin, associée senior chez Michael Page, cabinet conseil en recrutement de cadres. Le candidat est censé avoir pris du recul sur son savoir-faire et son savoir être pour le rédiger. Un chasseur de têtes à tendance à passer moins de temps sur des CV si les conditions sine qua non ne sont pas réunies, comme la formation ou bien encore une bonne orthographe. » Son périmètre d’action : le marketing et le commercial. À la SNCF, la maîtrise de la langue constitue l’un des critères pour une mobilité interne. Autre secteur, autres mœurs. « Nos recrutements s’internationalisent, explique Nicolas Saunier, expert-comptable chez Moreno Rouby & associés. Aussi, je suis moins attentif à ce point si les compétences techniques sont au rendez-vous, si le collaborateur parle plusieurs langues étrangères. Comptabilité et langues étrangères, des qualités pas si souvent combinées. »
La certification Voltaire
Pour Bernard Fripiat, aucun doute, « la certification Voltaire a changé les perspectives ». Ne sont dénombrés pas moins de cinq millions d’utilisateurs de l’outil en ligne, mis en place il y a une dizaine d’années par la société Woonoz. Deux cent mille salariés ont décroché la certification, avec 140 points à passer en revue, des scores de 0 à 100. À partir de 500 points, on va parler de bilan différenciant. Mille entreprises sont devenues partenaires. Un exemple : le groupe BNP Paribas a mis à disposition de ses 60 000 collaborateurs pas moins de 5 000 licences : le stock a été épuisé en quelque 12 mois. Une réussite qui devrait encourager le groupe à réitérer ou à développer de nouvelles formations d’encouragement et d’accompagnement. Une politique qui vise l’ensemble des collaborateurs. Pas question de pointer telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. « La force de la formule réside notamment dans le caractère anonyme des participations, souligne Valérie Guibout, responsable grands comptes chez Woonoz. Après dix ans d’existence, on peut parler d’une belle réussite. Pourtant, il n’était pas gagné d’évangéliser sur le sujet. »
Murielle Wolski