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Caen-Le Havre-Rouen : triangle d’or d’une Normandie, aujourd’hui toujours – et ce depuis 1956 – « divisée » entre la Haute et la Basse… « Mais Normands, nous le sommes évidemment tous », rappelle, comme pour garantir l’équilibre sur ce territoire de près de 3,5 millions d’habitants, Christian Hérail, président de la CCI Rouen. Et de revendiquer pour la région, qui sera réunie au 1er janvier 2016, « une situation bénie des Dieux ». « Nous avons tout : l’axe vers la mer, la proximité avec Paris et la Seine qui relie les deux. » Recette gagnante donc, sans compter des filières phares qui constituent le véritable ADN du territoire : logistique, industrie automobile (usines Renault), nouvelles énergies (dont l’éolien), décor sur verre, etc. Et la pétrochimie évidemment (Notre-Dame-de-Gravenchon notamment). « Sur ces trois agglomérations, nous parvenons à une dynamique d’émulation plus que de compétition », complète Joël Bruneau, maire de Caen. Le pack Normand n’avancerait donc que d’un seul bloc…
Mais en coulisses, le jeu des influences bat son plein. Et ce pour trancher cette question centrale : laquelle de ces villes sera alors sacrée capitale de région (même si Rouen, métropole depuis janvier et poids-lourd régional avec 500 000 habitants, pourrait « naturellement » l’emporter) ? Aux dernières nouvelles, Caen accueillerait la préfecture et deviendrait capitale administrative, Rouen le conseil régional devenant de fait capitale politique. « L’important n’est pas là », éludent en chœur les élus concernés. Il n’empêche, par le passé, les désaccords sur ce point ont contribué à faire capoter la réunification elle-même. Certains appellent donc, à l’instar de Laurent Beauvais – président de la région Basse-Normandie, à trouver « un équilibre entre Caen et Rouen », rappelait-on récemment aux CCI de Normandie. « Sans oublier Le Havre », auquel il ne faudrait pas, selon le même Laurent Beauvais, « envoyer de message négatif ».
Normandy Tech
Ils croisent tous les doigts. « Nous avons fait en mars le pari d’une candidature commune Caen-Le Havre-Rouen ; c’est déjà une réussite. A trois nous sommes plus forts », relève Joël Bruneau. Et le maire UMP de Caen de reconnaître que sur d’autres dossiers, la dynamique et la complémentarité entre les trois agglomérations manque. « Nous n’avons pas pris tout à fait les bonnes habitudes. » Mais pour la nouvelle labellisation French Tech, le pack Normand a donc décidé de serrer les rangs. Initialement pourtant, « Rouen et Caen avaient fait le pari d’une candidature solo », comme le rappelle le quotidien Ouest-France. Sur ce dossier, la future « Normandie réunifiée » joue gros : l’obtention espérée du label « Métropoles French Tech » marquerait en effet la reconnaissance de l’excellence normande en matière de numérique. Réponse dans quelques mois.
Cargo culte
Nom de code : GPMH, pour Grand Port Maritime du Havre. Un géant qui couvre 10000 hectares, emploie sur place 1200 personnes (et génère indirectement selon l’INSEE quelque 32000 emplois, soit 22% de l’emploi dans le bassin du Havre) ; un mastodonte classé 5e en tonnage des grands ports européens du nord, derrière Rotterdam, Hambourg, Anvers et Amsterdam. Ici, ce sont 2,5 millions EVP (équivalent vingt pieds) de marchandises qui chaque année transitent. « Nous avons décroché en 2011, 2012 et 2014 l’Award du meilleur port européen délivré par Cargo News Asia », complète, pour ÉcoRéseau, son directeur et président du directoire Hervé Martel. « Nous sortons d’une grand période de réformes compliquée qui s’est étalée de 1992 à 2008 mais qui a permis, je le crois, de renforcer la productivité et la fiabilité du port du Havre, mais aussi celui de Rouen et de la capitale », estime cet ingénieur des Ponts et Chaussées, ex-directeur des Ports de Paris. De fait, la récente création du GIE Haropa – regroupant les trois ports de l’axe Seine – offre désormais « toutes les conditions réunies pour nous développer sur une nouvelle offre commune et systémique jusqu’à Paris », estime-t-il. « Nous devons travailler ensemble à l’amélioration des services et au développement du transport multimodal. Notre ambition est que Le Havre – qui offre des conditions nautiques exceptionnelles avec 17 mètres de profondeur – soit l’architecte de ce service global. »
L’or blanc normand
La Normandie est une terre assurément industrielle. En Haute Normandie, l’industrie produisait ainsi en 2012, 22% de la valeur ajoutée régionale, soit sept points de plus que l’ensemble du pays. Néanmoins les griffes de la désindustrialisation continuent de marquer sévèrement le territoire : fermeture de Moulinex en 2000, contexte de crise chez les raffineurs, etc. Mais la Normandie est aussi, avec la Bretagne voisine, le plus important producteur agroalimentaire français (plus de 20% du PIB local) ; une première place, à l’heure de la mondialisation, qui vaut de l’or. Pas étonnant qu’en 2013, le cantonais Biostime s’invite au capital de la coopérative laitière normande, Isigny Sainte-Mère. Accord qui rappelle celui que signait un an plus tôt l’autre géant chinois Synutra avec l’usine bretonne de poudre de lait Sodiaal…
Universités & Grandes Écoles
La locomotive caennaise
Les années post-bac ? C’est à Caen que nombre de jeunes Normands ambitionnent généralement de les passer. D’abord pour son pouvoir d’attraction : la préfecture du Calvados compte en effet plus de 27000 étudiants (contre 26500 à Rouen et moins de 10000 au Havre !). Mais aussi (ceci expliquant cela) par l’offre et la qualité des formations disponibles. « Caen est à l’évidence le pôle historique de la région. Son université essaime sur Rouen, Le Havre, et même Le Mans », analyse Jean-Guy Bernard, directeur général EM Normandie (plus de 3000 étudiants – formations continues et initiales confondues – répartis sur les campus de Caen, Le Havre, Deauville et… Oxford). « Caen est une université pluridisciplinaire, reconnue notamment pour ses formations solides dans l’imagerie médicale, la neurologie ou encore son pôle TES (transactions économiques sécurisées). » Rien d’étonnant donc à ce que la ville abrite les bureaux de la nouvelle communauté des universités et d’établissements (Comue) de Caen, Rouen, Le Havre, créée en début d’année. « Nous avons un potentiel d’innovation supérieur à la moyenne », confirme le premier magistrat caennais. Et de saluer les « complémentarités au sein de cette nouvelle Comue ». Les trois universités, mais aussi les deux écoles d’ingénieurs ENSI-Caen et INSA-Rouen et l’École supérieure d’architecture de Normandie à Rouen ont ainsi décidé d’un rapprochement. Lequel a permis de formaliser trois pôles d’excellence sur l’ensemble du territoire : les énergies, avec « Énergies, propulsion, matière, matériaux » ; la santé, avec « Innovations diagnostiques et thérapeutiques » ; et les sciences humaines, avec « Numérique, Culture, Mémoire, Patrimoine ».
Transports
La SNCF, « l’ennemi » commun
La Normandie… placée par le rail à 2 heures (en moyenne) de Paris. Une aberration pour les édiles du territoire qui tirent à boulets rouges sur l’approche territoriale de la société nationale des chemins de fer.
Quand Christian Hérail sort son flingue… « Oui, nous sommes dans un pays où le monopole de la SNCF est nuisible, voire contre-productif ». Et le président de la CCI de Rouen de citer en exemple un système néerlandais, lui, « beaucoup plus poussé ». « La plupart des entreprises ici réclament une libéralisation du fret ferroviaire. Le réseau de la SNCF n’est pas à la hauteur de ce que représente la force économique de la région ». Un constat que partage également Jean-Guy Bernard, directeur général EM Normandie, évoquant un « pur scandale ». « C’est en tout cas une vrai tarte à la crème… de Normandie, sourit-il. Comment voulez-vous être dans la grande compétition quand vous mettez 2h10 pour faire les 225 km qui séparent Le Havre de Paris, idem pour l’axe Caen-Paris ? »
La SNCF, l’ennemi commun « du pack normand »… alors que son président Guillaume Pépy a présenté en avril un plan quinquennal d’investissements. Baptisé Impact et doté de 345 millions d’euros, ce plan est censé assurer la rénovation des infrastructures locales. Avec cette nouvelle enveloppe, « c’est près d’un milliard d’euros qui aura été investi sur la ligne Paris-Rouen-Le Havre en à peine 12 ans, a martelé le dirigeant de la SNCF », selon Le Journal des entreprises. « Il n’y a pas beaucoup de lignes sur lesquelles ont aura investi autant ! », a-t-il conclu. Argument controversé.
Pierre Tiessen