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Entre les savoir-faire relatifs à la terre, la mer, les spécialisations technologiques ou encore les développements touristiques, l’immense territoire de la nouvelle région du Sud-Ouest s’apparentera à une boule à facettes rayonnant de multiples façons. A condition que la métropole bordelaise n’étouffe pas ses voisines…
Bordeaux serait la ville où les Français aimeraient le plus s’installer, si l’on en croit un sondage réalisé en 2015 par l’institut CSA. Aix-en-Provence, Toulouse et Montpellier suivent dans le classement. La capitale de la future région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes est également citée en premier parmi les destinations jeunes et dynamiques. Et lorsqu’il s’agit de désigner une ville pour l’acquisition d’un bien immobilier, c’est encore Bordeaux qui caracole en pole position. Avec 235000 habitants (1,14 million d’habitants si l’on considère l’aire urbaine élargie), la ville représente un cinquième de la population totale du territoire et affiche 1% de croissance démographique sur la seule période 2006-2011, conséquence d’une forte attractivité.
Chaque année de nouveaux sites sortent de terre pour renforcer l’attrait de « la belle endormie » qui s’est justement réveillée, à l’exemple du nouveau stade Matmut ATLANTIQUE de 42 115 places, l’antre des Girondins de Bordeaux en football, temple du rugby mais aussi lieu de spectacles et d’affaires avec son auditorium, ses salons et ses loges dernier cri. Si tout le monde s’accorde sur le fait que la ville représente la capitale naturelle du nouvel ensemble, des inquiétudes persistent sur la place que Bordeaux laissera aux autres grandes villes. « Attention à ce que les pouvoirs ne se concentrent pas uniquement au sein de la ville girondine. Les autres agglomérations ont de nombreux atouts à faire valoir. Encore faut-il leur donner l’occasion de le faire », souligne Emmanuel Hurtrez, directeur du service Appui aux entreprises de la CCI de La Rochelle. Pour Gaston Chassain, vice-président chargé du développement économique au sein de Limoges Métropole, « l’isolement de certains territoires peut venir d’un manque de volonté politique pour veiller à un équilibre dans ce grand ensemble ».
La Rochelle : atouts en gestation
Le tourisme comme force majeure de la ville et ses environs paraît assez évident. Quelque 8500 personnes en vivent directement. Le salon local Atlantica, dédié aux développements du secteur, est devenu un rendez-vous essentiel et un véritable tremplin pour certaines branches en plein essor comme l’hôtellerie de plein air. Mais d’autres atouts, bien plus méconnus, s’affichent comme des garants de la valeur ajoutée de demain. La croissance bleue, désignant toutes les activités relatives à la mer, est sur toutes les lèvres, à commencer par celles du milieu du nautisme. Le territoire regroupe un nombre grandissant d’acteurs du domaine, de la maintenance à la production en passant par la vente et les nouvelles offres innovantes. « Nous avons créé un pôle d’excellence autour du nautisme il y a trois ans. L’objectif est de développer, structurer la filière, et aussi de faire connaître cette spécialisation à l’international », décrit Emmanuel Hurtrez. Les Energies marines renouvelables (EMR), et notamment l’éolien offshore, sont également sources de développements et d’innovation.
L’agroalimentaire est un autre fer de lance promis à un bel avenir. Grâce à l’envolée de certaines entreprises du secteur, la filière assure une grande partie de la force commerciale du port maritime de La Rochelle. Les produits forestiers, les hydrocarbures, les céréales, le papier occupent par ailleurs une place croissante. Si le port attire de plus en plus les regards des industriels, c’est en partie grâce à sa connexion avec le monde ferroviaire. « Nous disposons d’un Opérateur ferroviaire de proximité (OFP) en pleine expansion. Il est le résultat d’une alliance entre La Rochelle et une filiale de la Deutsche Bahn (DB). D’ici deux ans, le fret transporté devrait atteindre le million de tonnes », annonce Emmanuel Hurtrez.
La filière aéronautique organisée autour du donneur d’ordre Stelia, à Rochefort, et le réseau de PME environnantes évoluant dans la chaudronnerie et le soudage, constituent d’autres forces à développer. « Il y a des liens à nourrir avec Bordeaux sur ce plan. Il s’agit aussi pour nous de régler la question du déficit d’image et de notoriété. La grande région doit servir de biais pour y parvenir », poursuit-il.
Le levier du tourisme
La future grande région du Sud-Ouest n’a pas à faire ses preuves en la matière. Les immenses plages, de Lacanau à Hossegor, le bassin d’Arcachon, les îles de Ré et d’Oléron, ou encore l’œnotourisme bordelais sont largement connus dans l’Hexagone comme à l’international et représentent déjà une source de revenus considérable. Mais il y a désormais une autre carte à jouer, en misant sur le tourisme de savoir-faire, déjà lancé dans la partie est du territoire, mais encore relativement marginal.
Le Limousin recèle un important tissu de PME qui oeuvrent dans l’univers du luxe et de l’excellence. Ces dernières évoluent dans la conception/fabrication de chaussures, de textiles haut de gamme, de la porcelaine, de la maroquinerie, des produits à base de cuir, du verre haut de gamme, ainsi que de l’ameublement. « Il existe un fort potentiel touristique sur toutes les questions liées aux méthodes et pratiques pour concevoir et élaborer ces produits de luxe connus mondialement. Le savoir-faire à la française intéresse de plus en plus. A nous de développer une filière pertinente autour de ces notions, en réponse à la demande existante », explique Marc Faillet, directeur général de la CCIR du Limousin. Le secteur peut ainsi s’organiser en complémentarité avec le tourisme côtier déjà existant et mature, et s’appuyer sur les réseaux et savoir-faire du domaine que déploient les départements jouxtant l’Atlantique. « Des itinéraires originaux sont à imaginer sur des thématiques relatives au luxe, par exemple en associant les vins et alcools de prestige du Sud-Ouest », illustre Marc Faillet. En matière de tourisme, la Charente-Maritime, deuxième département français en termes de fréquentation derrière le Var, représente une autre force majeure à laquelle les professionnels peuvent s’adosser.
L’aubaine de la LGV
La future Ligne à grande vitesse (LGV) du Sud-Ouest placera Bordeaux à deux heures de Paris. Mais ses effets positifs les plus déterminants concerneront surtout Limoges, Poitiers et leurs environs. Le Limousin se retrouve inscrit dans le réseau à grande vitesse de la façade atlantique, générant des réductions significatives de temps de parcours pour les déplacements professionnels, de loisirs et de tourisme. 41% des salariés limousins à l’heure actuelle travaillent dans une entreprise dont le siège social se situe à l’extérieur de la région. « Il s’agit d’équilibrer tout le côté est de la future grande région. Il ne faudrait pas que seul le flanc atlantique se développe. Le TGV est un excellent moyen pour pallier ce risque », estime Jean-Pierre Limousin, président de la CCI de Limoges Haute-Vienne.
De meilleures coopérations sont à espérer pour l’avenir, notamment entre plusieurs villes du Centre-Ouest comme Limoges, Poitiers, Périgueux, Tulle ou Brive-la-Gaillarde, d’ores et déjà concernées par des synergies. Dans le domaine universitaire, l’essentiel des organismes d’enseignement supérieur de Poitou-Charentes et du Limousin sont rassemblés au sein d’une association pour le développement de l’enseignement et de la recherche. A noter que plusieurs entreprises se sont déjà organisées à une échelle inter-régionale, à l’image du Crédit Agricole ou d’Orange. Parmi les développements qui devraient tirer leur épingle du jeu, on peut citer le Zénith de Limoges, le Pôle économique du Patrimoine de la Porcelaine et des Arts du Feu ou encore le nouveau quartier d’affaires de la ville de Poitiers. « Après Bordeaux, nous serons la ville la mieux desservie par le TGV, ce qui nous donne une position stratégique dans un territoire parfaitement irrigué », se réjouit Alain Clayes, président du Grand Poitiers.
Des innovations industrielles qui décollent
En plus de ses vaches et de sa porcelaine, la région limousine espère bien être réputée pour d’autres spécificités à l’avenir. D’importants projets sont actuellement en émergence dans le domaine électronique, notamment autour du pôle de compétitivité Elopsys, dédié aux activités relatives à l’opto-électronique et au sein duquel les laboratoires Skylab et Xlim, qui rassemblent quelque 300 chercheurs, jouent un rôle clé. L’ENSIL (Ecole nationale supérieure d’ingénieurs de Limoges) et 3IL (Institut d’ingénierie informatique de Limoges) gravitent autour de ces spécialisations et gagnent en influence. Le pôle de compétitivité Céramique, avec lequel collabore notamment le Centre européen de la céramique, une nouvelle structure regroupant 250 chercheurs, forme une autre référence locale. Un atout nourri par les activités de l’ENSCI (Ecole nationale supérieure de céramique industrielle).
Ces domaines jouent un rôle central au sein d’Ester Technopole, qui voit émerger de nombreuses entreprises innovantes devenant des interlocutrices essentielles pour les industriels en quête de nouvelles solutions. « Nous disposons d’un écosystème complet autour de la technopole. De plus en plus de collaborations se mettent en place, notamment avec la route des lasers à Bordeaux. La cohérence du territoire n’en sera qu’améliorée avec la fusion des trois régions actuelles », souligne Gaston Chassain. Le territoire séduit des entreprises à fort potentiel, comme en témoigne l’implantation récente de la société Isorg, spécialiste de l’électronique et de la conception de capteurs innovants. Mais ces compétences locales restent méconnues. « Même la secrétaire d’Etat chargée du Numérique Axelle Lemaire, en visite il y a quelques mois à Limoges, ignorait l’existence de notre technopole », confie Gaston Chassain. Un manque de visibilité que la future grande région gommera peut-être.
Un véritable poids lourd des richesses de la terre
La région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes couvre la même superficie que l’Autriche : 84000 kilomètres carrés. Le potentiel de la terre a donc tout le loisir de s’exprimer. Elle comprend une surface boisée totale de trois millions d’hectares. Des synergies sont à attendre entre les départements des Landes, la Dordogne, la Creuse, la Corrèze, la Haute-Vienne, tous positionnés sur la filière bois. Des développements se concentrent déjà autour du pôle de compétitivité Xylofutur dont la vocation est de faire émerger des projets innovants au profit de la filière. A noter que la papeterie charentaise a su s’adapter à la mondialisation en élaborant des papiers spéciaux, comme des papiers d’emballage, sulfurisés ou encore des cartons ondulés.
La région occupe également une position de leader pour ce qui est de la production de viande bovine. Entre les limousines, les bordelaises, les blondes d’Aquitaine, les gasconnes ou encore les béarnaises, le florilège de races fait du territoire une vitrine d’exception dans le secteur de l’élevage. Autre domaine où la région n’a pas d’égale : la surface agricole consacrée à la culture du maïs (110000 hectares dans le département des Pyrénées-Atlantiques).
Bien sûr, on ne peut évoquer les richesses de la terre du Sud-Ouest sans mentionner la filière viticole. 20% de la surface nationale consacrée à ce domaine se trouve en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Elle peut compter sur des vignobles de prestige parmi lesquels ceux de Bordeaux, de Bergerac, mais aussi sur les productions de Cognac, d’Armagnac, de Pineau des Charentes. Une aura internationale dont profitera sans doute le vignoble du Limousin, prolifique par le passé mais aujourd’hui pratiquement tombé dans l’oubli. « Il faudra se servir du savoir-faire, de l’expérience et de l’image de nos voisins pour développer certaines activités, faire valoir certains potentiels. De ce point de vue, le fait de regrouper les trois régions sous une même bannière est une véritable chance », assure Jean-Pierre Limousin. La renaissance des vins de pays corrézien est peut-être déjà en point de mire.
Mathieu Neu