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La revanche des bourgades
Le déclin n’est pas inéluctable pour les zones reculées de l’Hexagone. Mobilité et technologies pourraient les transformer plus rapidement qu’espéré.
FICTION
Julia a mal à la tête en cet après-midi d’automne, à force d’échanger en direct avec plusieurs hologrammes. Elle tapote négligemment du doigt ses fenêtres qui projetaient ses collaborateurs au centre de la pièce il y a encore quelques secondes, pour les rendre transparentes. Sa pause se résume souvent à l’observation d’une myriade d’enfants disputant une partie de football endiablée sous l’œil scrutateur d’un des arbitres humanoïdes proposés par la municipalité. A chaque fois qu’elle jette un œil sur les reliefs ardennais et la campagne rougeoyante parsemée d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques, elle se sent heureuse d’habiter à Revin. Les deux collaborateurs avec qui elle travaille dur en ce moment sont à Lons-le-Saunier dans le Jura et à Massat en Ariège. Qu’il est loin le temps où ces petites villes subissaient des drames sociaux à répétition à cause de la crise économique et des plans de restructuration. Son père qui radote aime à rappeler sans cesse la souffrance du territoire après qu’Electrolux a supprimé 400 emplois, il y a pourtant plus de 30 ans. Les fermetures en cascade ont traumatisé tout le monde, jusqu’à ce que la zone retrouve une seconde jeunesse grâce au télétravail et à l’arrivée massive de cadres en mal de qualité de vie. L’acclimatation n’a pas toujours été aisée. Les populations traditionnelles n’ont pas toujours vu d’un bon œil ces cols blancs débarquer, et ceux-ci ont parfois tardé à s’intégrer dans la vie sociale et associative, ou à avoir recours aux commerces locaux. Mais tout est rentré dans l’ordre. Les véhicules volants personnels « Pop Up » d’Airbus qui ont envahi les campagnes à partir de 2018 ont permis aux commerce du centre-ville, qui souffraient du manque de place pour se garer, de ressusciter face à la zone commerciale périphérique. Les équipements technologiques lancés par des entrepreneurs fraîchement arrivés, comme les drones ou les centrales électriques à base de déchets végétaux, ont fait le bonheur des locaux. Julia est consciente qu’il y a 30 ans, par nécessité professionnelle, elle aurait dû vivre dans une métropole. Conceptrice de MOOC à haute valeur ajoutée en mécanique des fluides, elle aurait sûrement dû être physiquement présente sur son lieu de travail dans un grand centre. Les progrès de la connectivité et des mentalités ont démocratisé les bureaux virtuels, avec des équipes éparpillées partout sur le pays. Lors des réunions physiques, relativement rares, elle n’éprouve aucune difficulté à se rendre sur le lieu décidé, par train, voire par avion électrique autonome quand il y a urgence. Grâce à Internet, et même Amazon quand il lui faut disposer d’ouvrages physiques, elle a accès à une librairie universitaire. Le parti des patriotes, qui a perdu son assise en « France périphérique » au fil des décennies, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les élus n’ont désormais en bouche que les termes de développement technique et de formation : les budgets des municipalités et des communautés d’agglomération sont en grande partie dévolus à la formation. Les pouvoirs publics ont eu raison de transférer cette compétence aux échelons les plus locaux, plus à même d’anticiper les vagues technologiques à la fois destructrices et créatrices d’emplois en des lieux géographiques précis. A ce propos Julia songe qu’elle doit se rendre à son bureau d’accompagnement des transitions professionnelles de quartier, avec lequel elle négocie une énième reconversion dans les nanotechs. L’intelligence artificielle, la robotique, la génomique, l’Internet des objets, l’impression 3D, les drones, l’analyse des données de masse… Tous ses voisins suivent des formations de reconversion, physiques ou en ligne, et rient de ne jamais savoir ce qu’ils font comme métier, à chaque fête de quartier… Une célébration devenue habitude trimestrielle, qui, elle, n’est pas près de changer.
Julien Damon, professeur associé au master urbanisme Sciences Po, sociologue, directeur d’études à Futuribles International, qui a écrit sur le télétravail et la « démobilité » pour Fondapol (1) :
« Attirons des talents, et non forcément des entreprises »
Les cris d’alarme quant au fossé qui se creuse entre les deux France est-il fondé ?
Les centres des villes moyennes de 20000 à 100000 habitants subissent une double peine : les commerces en disparaissent petit à petit, et s’installent dans leurs périphéries enlaidies par des zones marchandes. Mais cette idée d’une France périphérique en opposition à une France métropolitaine est un peu caricaturale. Les études prouvent que les dépenses publiques rapportées au nombre d’habitants sont plus conséquentes dans les territoires moins densément peuplés.
Le déclin de ces zones n’est pourtant pas fantasmé ?
Il existe bel et bien un déclin économique, démographique, urbanistique… plutôt dû à la transformation de nos modes de consommation. Le mode de vie de la ville moyenne ne fonctionne plus, avec son manque de connexion, d’infrastructures, de place pour se garer… La mondialisation n’est pas forcément l’unique responsable. Bien sûr la désindustrialisation qui en découle est un des facteurs, mais elle touche aussi des villes importantes.
Le télétravail est-il la clé ?
La révolution annoncée depuis 40 ans est possible aujourd’hui, dans le tertiaire supérieur, mais aussi dans les tâches d’exécution. Des gens parcourent encore des kilomètres tous les jours pour s’asseoir derrière leur ordinateur, alors qu’ils pourraient le faire de chez eux ou dans des espaces dédiés au travail en commun. Un cinquième des salariés ont recours à cette pratique, et la proportion doit être beaucoup plus forte chez les indépendants. Les freins de la hiérarchie intermédiaire n’y changeront rien. Des progrès sont à accomplir dans tous les secteurs. Prenez les caisses de Sécurité sociale, qui réalisent de la gestion électronique de document avant tout, et comportent donc autant de métiers accessibles « télétravaillables ».
Restez-vous optimiste ?
Assurément. Les politiques ne peuvent vraiment lutter contre la désindustrialisation, mais une équipe municipale dispose de tous les outils pour attirer les populations les plus dynamiques et talentueuses pour l’urbanisme, qui ne sont pas forcément les plus riches. Notamment au travers de l’installation d’infrastructures numériques, mais aussi du social. Les prestations en matière de logement, d’accueil de la petite enfance… sont autant d’armes potentielles contre le déclin démographique. Il ne faut pas forcément chercher à attirer les entreprises, mais les travailleurs. Auparavant le travail allait vers le capital, les ouvriers se rendaient à la ville, aujourd’hui a contrario le capital va vers le travail.
(1) « La démobilité : travailler, vivre autrement », de Julien Damon, Fondation pour l’innovation politique, 2017.
Propos reccueillis par J.T