Entreprendre avec peu, grâce à la bio-inspiration

Les innovations portent toujours plus sur l'optimisation des ressources en économie de rareté...
Les innovations portent toujours plus sur l'optimisation des ressources en économie de rareté...

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Start-up bioniques

Avancées en biologie, intelligence artificielle et NTIC permettent d’entrevoir des machines et systèmes efficaces, autonomes et non énergivores en s’inspirant de la nature…

A bord de sa voiture autonome sur l’eau Sea Bubble à énergie positive, progressant entre les récifs, Pierre-Marie contemple le paysage escarpé des falaises d’Etretat en rêvassant, ayant même retiré ses smart-glasses. D’un naturel paresseux, il ne s’occupe pas du pilotage, faisant toute confiance aux capteurs de vision artificielle Chronocam, nés en 2014 après 20 ans d’études sur la rétine humaine à l’université Pierre et Marie Curie. L’entreprise française est devenue un géant qui équipe la plupart des véhicules de transport, alors qu’en décembre 2016 elle ne levait que 14 millions d’euros auprès d’Intel Capital. Par les vitres auto-nettoyantes de l’habitacle, inspirées par l’extrême hydrophobie des feuilles de lotus, il observe de loin des immeubles termitières, dont les lézaroïdes nettoient en cadence les façades. Leurs toits sont recouverts par des mini-éoliennes qui tournent sur un rythme régulier. Comme les hydroliennes-thon qu’il aperçoit en profondeur, elles ne sont même plus raccordées au réseau, tant les besoins en électricité du pays ont faibli depuis quelques années. Les machines produisent leur propre énergie, à l’exemple de ces robots-poulpes passant sous l’embarcation à l’instant, et qui utilisent les courants pour fabriquer la leur. Les bourrasques du vent du large, qui lui font refermer sa combinaison en fil d’araignée, ne servent plus qu’à perturber le travail consciencieux des insectoïdes en train de polliniser les fleurs. A 70 ans, Pierre-Marie n’en est qu’au milieu de sa vie, et pourtant il a connu dans ses jeunes années la pénurie de ressources énergétiques, avant que chercheurs et entreprises repèrent les comportements remarquables de la nature pour résoudre les problèmes les uns après les autres. Aujourd’hui les rejets de CO2 sont quasi inexistants, les forêts sont replantées par des drones autonomes et les sols sont « dépollués » grâce aux champignons du groupe Polypop, qui n’était qu’une petite start-up installée en Haute-Savoie il y a 33 ans. Pierre-Marie consulte son ordinateur de bord neuromorphique, qui après quelques calculs savants lui conseille de rentrer en mode sous-marin pour se servir des courants, dans une bulle de surpercavitation inspirée de la crevette mante-religieuse. Les années 2010, où seuls les militaires s’intéressaient à cet animal pour donner de la vitesse à leurs torpilles sous l’eau, sont décidément bien loin…

Avis d’expert : Agnès Guillot (1), docteur en psychophysiologie et biomathématiques, chercheure en robotique sur les systèmes artificiels adaptatifs, à l’Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique de l’université Pierre et Marie Curie, enseignante à Paris Ouest Nanterre La Défense :

« Le drame des labos de robotique : privilégier les humanoïdes »

Le recours croissant à la nature pour innover tient-il au fait que nous entrons dans une économie de rareté ?

Effectivement l’approche par le biomimétisme est plus fréquente lors des pénuries, ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale par exemple. Puis chercheurs et entreprises s’en sont détournés pendant les années d’abondance et de pétrole. Les esprits des ingénieurs, plus humbles, se tournent à nouveau vers Dame nature, pour savoir comment elle traite tel problème, sachant qu’elle compte 3,8 milliards d’années d’avance sur nous en R&D.

Sommes-nous seulement au tout début de l’aventure ?

Aujourd’hui nous copions la nature sur un produit ou un service, mais demain nous imiterons ses écosystèmes. Le recyclage est un bon exemple : elle utilise très peu de matériaux différents, quand dans l’industrie nous les multiplions. De même nous employons beaucoup d’énergie pour fabriquer des robots, qui ne la produisent pas eux-mêmes, au contraire des animaux. En faisant adopter des comportements aux machines par un branchement à une prise, nous sommes encore loin du compte ; la nature intègre beaucoup plus de contraintes. Certains de nos robots mangent des mouches mortes et s’en servent pour fabriquer de l’électricité grâce à des batteries à bactéries. Mais ils se déplacent de trois centimètres par jour ! Nous pouvons faire fonctionner un smartphone avec de l’urine, mais ce n’est pas très pratique… La moindre cellule dans la nature dispose de tout ce qu’il faut pour faire de l’énergie, l’économiser, la transformer en électricité… Donc quand nous ajoutons des ailerons sur les ailes des avions pour mimer le condor, ou utilisons des matériaux mimant la peau ergonomique de requins, nous ne faisons du biomimétisme qu’à la marge. Il nous reste tellement à découvrir, chez les insectes par exemple, dont nous ne connaissons même pas toutes les espèces. Les plus répandues que nous côtoyons rampent, nagent, marchent, parfois à l’échelle micro voire nano, s’adaptant à toutes les situations, récupérant les déchets des autres, se reproduisant rapidement. A quand des robots constitués de matériel organique, recyclables, pour les imiter ? Fabriqués avec des imprimantes 3D du vivant, ils pourraient se faufiler partout sans blesser personne ou abîmer l’environnement, contrairement à ceux en métal. Les premières petites pieuvres en organes vivants, conçues grâce à des imprimantes 3D, sont sorties. Le drame actuel de tous les labos de robotique est de privilégier, sous la pression des sponsors, les humanoïdes, qui ressemblent à des êtres humains et vampirisent les crédits, pour assister les personnes âgées par exemple. Nous devrions nous focaliser sur la tâche à effectuer. Le robot n’a pas forcément besoin de pieds ou de mains, mais pourrait être une simple caisse avec des pinces.

Les innovations actuelles annoncent-elles un futur tel qu’esquissé en fiction ?

Depuis 2014 je ne constate pas de rupture fondamentale en biomimétique. Les innovations se situent plutôt dans les logiciels, l’apprentissage profond (« deep learning ») qui donne naissance aux ordinateurs neuromorphiques inspirés de la nature. Fonctionnant comme des neurones, ils vont révolutionner le calcul. Ils seront économes en énergie, car, comme le cerveau, ils ne chaufferont pas. Le risque est que ce genre d’innovation soit reprise par les transhumanistes, dont tous les efforts sont tournés vers l’immortalité, pour justifier les énormes crédits qu’ils reçoivent de Google et de tous les autres. De même, nous sommes confrontés aux créationnistes, qui envoient pléthore d’ouvrages aux universités, expliquant que nos travaux prouvent que la nature est tellement parfaite que seul Dieu a pu l’inspirer. Il nous faut naviguer entre ces deux mondes.

(1) « Poulpe fiction – quand l’animal inspire l’innovation », d’Agnès Guillot et Jean-Arcady Meyer, éd ; Dunod, 2014.

Julien Tarby

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