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Une pincée de criquets, un soupçon d’algues…
Nous serons neuf milliards d’individus en 2050 et les ressources ne sont pas infinies. De quoi obliger l’humanité – et surtout les Occidentaux – à changer leur régime alimentaire…
L’inspecteur Damien grignote toujours au travail, laissant quelques miettes éparses sur ses écrans et projecteurs en 3D. Plongé dans ses méditations, observant de son hublot les aérolib survolant la Seine, il ne peut s’empêcher d’avaler en série ses chocolats aux vers de farine. Mauvais signe, interprété par son équipe. Lorsque ce fin limier gobe des friandises proposées par le robot d’étage, ou quelques macarons à la poudre de fourmi achetés à l’insecterie du coin, c’est qu’il fait du sur-place dans son enquête. Mais quand le natif de Chaumont, de la région Picardennes, passe aux pâtes de protéines de pois glanées au distributeur de l’étage, c’est qu’il est sur le point de trouver la clé. Son humeur passe du vague à l’âme à l’hilarité la plus totale, et ses hommes savent qu’ils doivent se préparer à une opération aéroportée, car l’espion est en passe d’être démasqué. Tout le monde lui pardonne ses sautes d’humeur intempestives, même quand elles surviennent lors des repas de Noël, alors que la brigade se délecte d’un steak de viande in vitro obtenu à partir de cellules souches de vache. La raison ? Son talent pour démasquer les « mouchards », physiques ou en ligne, qui se renseignent pour le compte de puissances étrangères sur les innovations agroalimentaires hexagonales. La surpopulation planétaire, les protéines animales toujours plus rares et coûteuses en ressources ont hissé ce secteur parmi les plus stratégiques. La brigade d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires de la Direction générale de l’alimentation est désormais un véritable service de contre-espionnage, passé sous l’égide du ministère de l’Intérieur. Si l’inspecteur Damien s’active avec Europol et la DCRI, c’est bien parce que les positions durement acquises par la France en 40 ans dans la « nouvelle alimentation » sont menacées. Dès les années 2000 la FAO, organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, s’est alarmée de la progression de consommation de viande et de poisson. Des mesures ont dû être prises pour réduire les risques cardio-vasculaires d’une part, mais surtout pour préserver la planète. Quinze kilos de maïs et 3000 litres d’eau étaient alors nécessaires pour « fabriquer » un kilo de bœuf, ce qui n’est plus envisageable aujourd’hui. Le salut est donc vite passé par les protéines végétales et les insectes. Un défi que les sociétés tricolores ont su relever, transformant dès 2015 d’anciennes féculeries en bioraffineries, capables de traiter des pois protéagineux pour en extraire les protéines, l’amidon et les fibres. Des entreprises comme Tête en mer à Saint-Malo, spécialisée dans les boissons à base d’algues dès 2012, ont su grandir malgré la forte concurrence des géants américains. Ceux-ci n’étaient alors que des start-up, comme Beyond Meat, le concepteur des blancs de poulet à partir de plantes, New Frontier Foods connu pour ses chips aux algues et sa boisson permettant à elle seule de satisfaire tous les besoins nutritionnels journaliers. Le leader mondial, Hampton Creek Foods, producteur de gâteaux sans œufs tirés d’un substitut végétal de pois et de sorgho, a à son origine bien utilisé les financements du milliardaire Bill Gates, fondateur de Microsoft dont tous les grands-parents se souviennent. Mais malgré l’attachement de l’Hexagone à la cuisine d’antan, les recherches, élevages de criquets et cultures d’algues ont pullulé. L’enquêteur de haut rang jette un dernier regard sur les écrans de ses smartglasses, regroupant des données sur Spiruline de Bretagne et ses effectifs. La société, devenue leader mondial dans cette microalgue bourrée de protéines et d’oligoéléments, voit les secrets de ses bassins abrités éventés. Il lui faut mettre à jour le réseau de renseignement qui agit. N’y tenant plus, l’inspecteur prend son manteau et s’évade du commissariat par une tyrolienne dérobée, pour se rendre dans son petit restaurant préféré rue de Seine, afin de réfléchir au calme en ingurgitant beignets de criquets et salade d’algues wakamé, dulse et ulve. Le menu classique des brasseries parisiennes….
Selon Pierre Feillet*, directeur de recherche émérite à l’INRA, membre de l’Académie des technologies et de l’Académie d’agriculture de France :
Pourquoi avoir écrit un ouvrage sur l’avenir de notre alimentation ?
Des ruptures surviennent dans l’économie, la politique et même la culture. Et l’alimentation ? La démographie explose, les personnes âgées sont plus nombreuses, les classes moyennes s’enrichissent, le climat se réchauffe, le consommateur est plus sensible à l’impact environnemental. Tous ces faisceaux augurent d’une rupture. Dans les années 50 nous avons connu le machinisme agricole, les progrès de la chimie et des produits phytosanitaires, les semences plus performantes, les agriculteurs mieux éduqués et les systèmes d’irrigation plus efficaces. Mais pouvons-nous continuer comme ça ? La réponse est non.
Où le changement surviendra t-il selon vous ?
Notre assiette sera peu ou prou la même dans 40 ans, le repas toujours instant de convivialité en France. Mais une rupture technologique se produira dans la chaîne avant l’assiette : dans la production agricole avec les machines connectées, l’agroalimentaire, la distribution et la manière de préparer les plats avec de nouveaux appareils électroménagers intelligents. Mais je ne crois pas à la disparition de la consommation de viande animale.
Et les insectes ?
Même les populations qui en mangent le plus ne parviennent à couvrir que 10% de leurs besoins en protéines. En revanche les larves d’insectes seront sûrement plus données aux animaux d’élevage.
Le coin des experts :
Selon Jean-Baptiste de Panafieu*, biologiste de formation et auteur scientifique :
Comment est né ce livre sur la nourriture à base d’insectes ?
Plusieurs milliards d’individus en consomment sur Terre, non pour la survie mais par goût. Ce sont nos cacahouètes à l’apéritif, nos lardons ajoutés dans le plat du soir. Au Mexique, en Thaïlande ou en Afrique les enfants emmènent à l’école leur sachet de criquets grillés. Plus de 1000 espèces d’insectes sont consommées. Et l’Europe ? Les Grecs et les Romains en mangeaient, et les entomologistes ont rapporté que les enfants faisaient de même dans les villages au XIXe siècle. J’ai visité des labos de R&D aux Pays-Bas qui étudient la question économique de l’élevage, recommandé par la FAO.
Un basculement dans la nourriture est-il envisageable ?
Les habitudes alimentaires évoluent beaucoup plus facilement qu’on ne le pense. Songez aux sushis que nos aînés détestaient. En France les élevages de criquets, grillons et vers de farine suscitent l’intérêt car c’est une bonne source d’alimentation supplémentaire sans mauvaises graisses. Et le rendement des élevages est excellent. Il faut dix kilos d’herbe pour faire un kilo de veau, 1,5 kilo de plantes est nécessaire pour produire 1,2 kilo d’insectes. La « transformation » est plus efficace parce que les insectes ne produisent pas de chaleur et ne dépensent pas d’énergie.
Une substitution est donc crédible ?
Il n’y aura pas un remplacement. Mais nous consommons aujourd’hui beaucoup de protéines invisibles, par une poudre présente dans les raviolis, les pâtes, la charcuterie… Egalement par ce que nous donnons aux volailles, vaches, porcs, poissons d’élevage. Il s’agit souvent de soja OGM de mauvaise qualité nécessitant beaucoup de ressources et d’engrais. Ces tonnages importants pourraient être remplacés par la farine d’insectes.
* « Les insectes nourriront-ils la planète ? », de Jean-Baptiste de Panafieu, éd. Rouergue, 2013
* « Quel futur pour notre alimentation ? », de Pierre Feillet, éd. Quae, 2014
Julien Tarby