La formation en 2050

Certains cocheront toutes les bonnes cases de formation, et cela se verra dans les casques de réalité augmentée…
Certains cocheront toutes les bonnes cases de formation, et cela se verra dans les casques de réalité augmentée…

Temps de lecture estimé : 3 minutes

“Auto-profilers”

Organismes, collectivités et entreprises agiront plus sur l’acquisition de blocs de compétences. Mais toujours moins que les individus eux-mêmes.

Siège social d’Aura, île flottante 35 au large de Marseille, juillet 2050 :

« Je les contemple sur mon écran, via une mini caméra connectée. Tous se regardent en chien de faïence dans la salle d’attente. Certains portent des combinaisons rafraîchissantes élégantes, d’autres s’en tiennent aux costumes et tailleurs classiques. Quelques-uns tuent le temps en consultant leurs communications sur smart watch, d’autres conservent les yeux mi-clos ; d’autres encore, entourés de coaches-hologrammes continuent de se former quelques minutes avant leur entretien d’embauche. Toutes les 30 minutes, un robot accompagnateur conduit l’un d’entre eux auprès de trois robots testeurs, de QI, de QE et de compétences professionnelles. Autant de postulants, pour qu’au final une infime poignée d’entre eux puisse rencontrer les équipes… J’ai beau être DRH du groupe Aura – leader international de la gestion de l’e-réputation, présent dans 120 pays, comptant 220000 salariés – j’éprouve à chaque session de recrutement ce même malaise devant ces candidats, qui se sont endettés pour se former individuellement aux plus récentes approches managériales et aux tout derniers réseaux sociaux, dont la plupart repartiront sur un échec, que leurs coaches en formation s’empresseront d’analyser avec précision, moyennant un peu plus de bitcoins. Chacun porte une puce résumant son profil et ses acquisitions de blocs de compétences, apparaissant sur mon écran au-dessus de leur tête en réalité augmentée, me renseignant sur ses forces et lacunes. Certains cumulent des blocs en programmation, IA, marketing digital, blockchain, analyse de data… Ils étaient moins nombreux et doués les fois précédentes, car nous proposions des postes sans financement de formation continue. J’ai convaincu le PDG de procéder différemment pour ce poste stratégique, en permettant au nouvel arrivé d’acquérir des blocs de nouvelles technologies, selon les recommandations de nos comités métiers qui anticipent les mutations d’ici à dix mois. Instantanément des MOOCs labellisés internationalement et des formations dispensées par de grandes écoles et start-up partenaires sont concoctés. Un programme onéreux, pour lequel nous sommes aidés par les régions, les départements et les communes, soucieux de ne pas voir baisser le niveau de qualification général de leur vivier de population active. Nous y mettons le prix, ce qui nous permettra de retenir le jeune talent un peu plus de six mois avec de l’espoir. Tous savent que plus que le salaire, c’est l’employabilité qui compte désormais ; il faut pouvoir accrocher les nouveaux wagons d’innovations qui passent constamment, et rester au-dessus de la masse des robots qui occupent désormais toutes les professions intermédiaires. L’enjeu n’est plus la formation au poste de travail actuel, mais l’adaptation au poste de travail du futur. Il n’est plus possible, comme il y a 30 ans, de « se cacher » à un poste. Alors que le taux de rotation de la main d’œuvre atteint des sommets, ce genre de place suscite toutes les convoitises parce qu’elle permet de continuer de s’armer pour l’avenir si incertain. Quand je pense qu’en France il a fallu attendre 2017 et l’arrivée de ce jeune Président, Emmanuel Macron, pour que la formation professionnelle soit ouverte à tous les statuts, salariés ou non, en se passant des intermédiaires que sont les organismes collecteurs, je me dis que nous avons parcouru du chemin. Et ce n’est pas fini… En témoignent les manifestations de masse le mois dernier, pour exiger ce fameux « droit universel à la formation tout au long de la vie » ».

Damien Brochier, chef du département Travail Emploi Professionnalisation au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) :

Qu’est ce qui est en train de changer dans la formation ?

Nous venons de terminer avec France Stratégie le document nommé « Vision prospective des emplois et des compétences dans la filière numérique » (1). La multitude de personnes auditionnées nous confirme que les frontières entre formation initiale, continue, pour l’insertion… se brouillent toujours plus. On parle de formation tout au long de la vie. Les gens entrant sur le marché du travail n’auront pas forcément le diplôme complet, mais seulement quelques briques. Par la suite ils obtiendront des compétences supplémentaires, passeront de petits examens, reprendront des études pour compléter. La loi formation d’il y a deux ans oblige désormais à ce que tous les diplômes soient proposés en blocs de compétences. Les instances de formation privilégient des systèmes de certifications toujours plus sérieux, et se détournent des formations « pour le plaisir ».

Cela implique un suivi strict de l’acquisition des compétences ?

Les passeports formation, introduits en 2003, permettant aux individus de stocker leurs briques, sont arrivés trop tôt. Les détracteurs, gênés par cette traçabilité, ont évoqué un retour du « livret ouvrier ». Aujourd’hui les mentalités ont changé et le compte personnel de formation est bien accepté. Ce rapprochement entre ce qu’on apprend et ce qu’on valide apparaît aussi dans la formation initiale, au Bac, où des unités seront validées pour éviter de refaire l’année concernant les matières acquises.

Qui va jouer le rôle d’accompagnant ?

Tout d’abord l’individu lui-même qui construit son profil et se trouve au cœur de son projet. Place à l’individualisation, et même à la personnalisation. Les gros blocs de l’Education nationale et la primauté des diplômes en France ne dureront pas éternellement. Les instances prescriptrices, organisatrices, vont aussi concevoir des fonctions conseillant, aidant les gens à réfléchir sur leur parcours professionnel, ce qui existe d’ailleurs déjà pour les cadres. Il s’agit du conseiller mobilité en entreprise, du coach formation dans les instances, des conseillers d’orientation dans les régions. Ils interviendront de manière positive, et non défensive comme aujourd’hui à Pôle Emploi auprès des gens en situation difficile.

Internet, MOOCs et start-up vont-ils changer la donne ?

Certes l’accès à des ressources illimitées et internationales via la Toile devient réalité, mais les gens ont besoin de proximité, d’échanges physiques, d’accompagnement de l’enseignant. Tout ne va pas se dissoudre dans des interfaces numérisées. En France le poids de l’Education nationale et des organismes publics en formation est encore très conséquent, beaucoup plus qu’en Allemagne ou dans les pays nordiques. Et les ressources personnalisées en ligne iront de pair avec du présentiel, comme en témoignent les modules du CNAM. Les jeunes pousses ont un grand rôle à jouer dans l’aiguillage vers des formations, un peu moins dans la transmission de contenu pédagogique. Il faut être toujours plus outillé pour faire valider une certification auprès de la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP), ou pour obtenir un label international. Je pressens surtout des rapprochements entre mondes privé et public.

(1) cereq.fr/actualites/Vision-prospective-partagee-des-emplois-et-des-competences-La-filiere-numerique

Julien Tarby

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