Mutations de la grande distribution : comment les forces de vente resteront performantes en 2025 ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Patrick Tellouck

Le paysage de la grande distribution se redessine. Par Patrick Tellouck, directeur de la division Field Sales chez Nomadia, acteur européen des solutions SaaS pour les professionnels itinérants.

TRIBUNE. 2025 sera encore une année pleine de défis pour les chefs de secteur. Raison de plus pour comprendre l’environnement dans lequel ils devront opérer afin de mettre en place la stratégie appropriée.

En 2022 et 2023, l’inflation et ses effets sur la consommation des ménages ont dominé les préoccupations. Si l’inflation a ralenti en 2024, les comportements de consommation demeurent inchangés. Pour les distributeurs, cette situation est problématique : les volumes de vente dans le segment alimentaire PGC-FLS (Produit de grande consommation / frais et libre service) ont reculé de -1,1 % en 2024 (Circana), et malgré la baisse des prix, l’évolution en valeur est nulle (contre +10,1 % en 2023).

Les ventes non-alimentaires en grandes surfaces ont également chuté de -3,8 % en 2024, accentuant la diminution de la part des grandes surfaces dans les dépenses courantes des ménages, observée depuis 2019. Cette érosion représente une perte de chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros par an pour le secteur, une tendance inquiétante dont les enseignes les plus fragiles sont les premières victimes.

Deux tendances longues qui pèsent sur la consommation

Après avoir imputé la baisse de la consommation à des causes conjoncturelles comme la covid et l’inflation déclenchée par la guerre en Ukraine, il faut considérer les tendances qui modifient durablement les perspectives d’évolution de la grande consommation. D’abord, une tendance démographique défavorable avec, en 2023, un solde naturel au plus bas depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Alors que la fécondité et les naissances déclinent, l’espérance de vie repart à la hausse (après l’inflexion de la période covid), entrainant un vieillissement la population. Dans une société vieillissante, la consommation décroît au même rythme que les besoins des individus. Autre tendance longue, l’appétence moindre à consommer, qui s’explique, au-delà du vieillissement, par une forme de désenchantement : l’envie de se faire plaisir via des achats décroît fortement, et ce dans toutes les tranches d’âges. En 2024, 35 % des Français expriment un désir très fort/assez fort de consommer, contre 48 % en 2021 (ObSoCo). Dans ce contexte d’appétence à consommer amoindrie, les acteurs de la distribution alimentaire doivent plus que jamais se battre pour accroître leur part de marché.

Circuits : les gagnants et les perdants

Si la consommation ne croît plus, certains circuits et enseignes tirent leur épingle du jeu, notamment le drive et les solderies. Avec plus de 7 100 implantations sur le territoire, le drive totalise un CA de 13 milliards d’euros en 2024. Un chiffre loin d’avoir atteint ses limites, alors que le circuit continue à recruter et fidéliser de nouveaux clients.

S’il séduit autant, c’est parce qu’il constitue une amélioration objective de la proposition de valeur de la grande distribution en offrant au client un service supplémentaire pour le même coût que les courses en magasin. S’ils perdent lentement leur hégémonie, les hyper et supermarchés restent les circuits dominants, où l’on vend plus de volume que partout ailleurs.

Enseignes : l’impact de la chute de Casino

La reprise des magasins Casino par Intermarché, Auchan, et Carrefour redessine le paysage de la distribution, surtout dans le Sud-Est et les grandes villes, où 230 des 421 supermarchés Casino sont concernés. Cette acquisition devrait renforcer les parts de marché de ces enseignes, mais l’incertitude demeure quant à l’adhésion des clients et l’effet réel sur la concurrence. En outre, l’intégration de ces magasins est freinée par des arbitrages de l’autorité de la concurrence. À mi-octobre 2024, seuls 7 des 294 magasins repris par Intermarché avaient été intégrés, les autres restant en observation pour les repreneurs.

À noter, Carrefour a gagné 2,3 points grâce à la reprise des magasins Cora, même si le changement effectif d’enseigne a seulement débuté en septembre 2024. Le modèle discount reste peu dynamique : Aldi stagne sous les 3 % malgré ses acquisitions, et Lidl progresse lentement. Les indépendants (Leclerc, Intermarché, Système U) continuent leur croissance, atteignant ensemble 54,4 % de part de marché en 2024. La concentration devrait se poursuivre autour de quatre acteurs principaux, incluant probablement les trois enseignes indépendantes et, selon l’évolution, soit Carrefour soit Auchan.

Ce paysage en mutation confirme la tendance à une concentration accrue du secteur, consolidant les leaders et fragilisant les enseignes en difficulté. Reste à voir si les nouvelles alliances et rachats permettront d’installer un équilibre durable parmi les grands acteurs de la distribution.

Quelles priorités pour votre force de vente en 2025 ?

Les priorités des professionnels de la grande consommation dépendent de leur gamme de produits et du taux de pénétration de leur marque. Mais, qu’ils soient bien établis ou émergents, ils doivent intégrer certains axes dans leur stratégie :

  • Mettre l’accent sur les indépendants. Leur force de vente gagne à être très présente chez les indépendants, où leurs chefs de secteur peuvent établir des relations durables avec les propriétaires et leurs équipes, surtout s’ils démontrent la valeur ajoutée de leurs produits. Cela ne signifie pas négliger les autres enseignes, mais peut-être faire l’impasse sur les magasins à moindre potentiel ;
  • Adopter une vraie stratégie pour le drive. Bien que le drive privilégie souvent les marques distributeur et simplifie les assortiments, il serait dommage de négliger ce circuit en forte croissance ;
  • Prendre en compte les changements d’enseigne. Le nombre de magasins concernés et le rythme de leur intégration imposent de réévaluer leur segmentation et d’ajuster les portefeuilles de leurs chefs de secteur, un point essentiel pour débuter.

Pour accompagner cette adaptation, il peut être utile pour les professionnels de la grande consommation de procéder à un état des lieux de la sectorisation actuelle et de simuler l’impact des changements d’enseigne sur le découpage territorial et la charge de travail des équipes commerciales. Cela permet de construire une sectorisation ajustée, visant à rééquilibrer les secteurs et à optimiser la performance commerciale, que ce soit en ajoutant ou en supprimant des points de vente, ou en redécoupant les zones géographiques pour mieux répartir la charge de travail. Avec un nouveau découpage, les entreprises pourront plus facilement réajuster leur stratégie pour s’adapter au nouveau paysage de la grande distribution, optimiser leur pression commerciale et leurs résultats, tout en veillant au bien-être de leurs équipes.

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