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Il aurait presque pu justifier son patronyme ballon de foot au pied, mais Philippe Champion, en division 3 à Corbeil, n’a pas eu l’heur de convaincre son entraîneur. Prépa HEC, formation commerciale/marketing puis entrée dans la vie dite active en 1982 au sein du groupe Paul-Renard, fromager, propriété de Bongrain. Le chef de secteur passe beaucoup de temps aux États-Unis où l’on raffole du Suprême des ducs ! Lui ne passera que deux ans au sein du groupe avant un détour par Wilkinson Sword. Philippe Champion aime rester fidèle aux hommes qui lui font confiance – il suit son boss chez Enkel le lessivier puis répond à l’appel d’un autre ex-patron de chez Paul-Renard pour animer le commercial de la nouvelle entité France du belge Pitercil, broker de grande consommation – la commercialisation de marques en grandes surfaces qui délèguent leur implantation ou leur représentation commerciale.
S’en suit un parcours de rebonds qui voient Philippe Champion rejoindre un industriel suédois, SCA, et s’inscrire dans le système anglo-américain assez étranger à la France des missions « transverses » où le directeur commercial qu’il est cumule des responsabilités de directeur régional grands comptes, en l’occurrence pour Carrefour… Dix ans dans ce groupe à 62 milliards d’euros de CA, 132 pays, où il navigue entre la France, l’Italie, la Belgique, armé des seules langues anglais et italien. Au passage, l’homme fort occupé poursuit un MBA partiel de marketing et de communication panaché d’un cursus Roland Berger de management international.
Tu ne seras pas Dieu…
Rares sont les directeurs commerciaux à compter autant de produits dans leur cursus de carrière. À partir de 2006, notre « Champion » a rejoint une sacrée entreprise italienne, Lucart, producteur de papier d’hygiène et de cette qualité de papier dit de « soie » qui se glisse dans les vêtements neufs. L’ex-footballeur va « nager » cinq ans, avec réussite, entre les trois entités du groupe – gouvernance de l’entreprise, branche industrie, branche technologies – chacune pilotée par l’un des frères de la famiglia. « Des “trilogues” compliqués, se souvient le Français positionné directeur général France qui aura fait passer le chiffre hexagonal de 21 à 71 millions d’euros. J’obtenais alors ce que je voulais tout en veillant à coordonner les trois fratelli et en gérant les aventures industrielles du groupe italien, depuis l’achat d’une usine qui déchire les associés jusqu’au grand ménage en Grande-Bretagne » où Philippe Champion remonte les prix et coupe 80 % d’un business peu rentable. « Tu ne seras pas Dieu au milieu des trois frères », prédit l’épouse de Philippe. Elle a raison. En 2010, l’arrivée d’un directeur commercial italien pousse le Français hors du jeu – ledit « nettoyeur » sera lessivé quelque temps plus tard…
Au final, un broker boxeur
Que faire ? Immergé un temps dans une formation CRA (Cédants et repreneurs d’affaires), lui parvient une information : BM Brokers – un concurrent de Pitercil de ses débuts – est à vendre. Décembre 2012, notre spécialiste du brokerage grande consommation signe l’achat de l’entreprise après une négo tendue – la vente de sa maison fait partie de l’investissement. Il est le président d’une entité de quelque 48 salarié/es et, débuts difficiles à la clé, ouvre l’activité à la distribution en direct. Une belle progression de 20 à 25 % par an jusqu’au moment où Leclerc repère sur l’emballage de l’un des produits phares des commettants de BM Brokers – un shampoing – une mention de sécurité – « ne pas laisser le produit pénétrer l’œil » – non traduite en français ! Ce qui devrait ne constituer qu’une formalité – corriger les étiquettes – devient un piège dès l’instant où le commettant ne veut pas répondre au cahier des charges français. Impossible de suivre notre cascadeur broker dans le détail de sa descente aux enfers – il devrait en tirer un livre !
A cause de cette « bêtise » à l’origine insignifiante, BM Brokers est mis en liquidation en 2016 ! Champion va trouver auprès de l’association 60 000 Rebonds – Patrice Doublet – le soutien au moins moral qui le replace en position d’attaquant au sein d’une firme norvégienne, Orkla, qui lui confie sa filiale France. Philippe Champion est à nouveau le supercommercial d’une myriade de compagnies présentes dans tous les domaines sous l’égide du Norvégien… incapable de tenir les promesses faites au Français. « Je pars en janvier 2019 » pour endosser le maillot de « directeur commercial et marketing en mission ». À 59 ans, celui qui, au fond, aura tout réussi sauf à éviter des écueils multiples semés sur sa route est en train d’épauler le jeune capitaine courageux d’Apiculteurs Associés, le numéro 2 du miel de qualité, loin derrière le leader. Philippe Champion sera-t-il un manager de transition ou un conseil indépendant pour clore une carrière sportive de battant au fond plus proche du boxeur que du footballeur ? Son prochain rebond en décidera.
Olivier Magnan