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Cet entrepreneur qui a traversé le Sahara en char à voile a le premier revisité l’hôtellerie de charme, réhabilitant du patrimoine classé. Bien lui en a pris…
Qu’ont en commun l’abbaye de Sorèze au bord du Tarn, celle de Saint Maximin près d’Aix-en-Provence, ou encore le Château Fort médiéval de Sedan, si ce n’est être de merveilleux sites photogéniques chargés d’histoire ? Tous, classés aux Monuments historiques, comptent désormais en leurs murs un hôtel trois ou quatre étoiles du groupe Hôtels & Patrimoine. Son dirigeant, Olivier Gourio, est un homme pressé au sourire charmeur qui s’est spécialisé dans la réhabilitation de ces édifices classés et leur transformation en hôtels de charme, tout en préservant l’histoire du lieu, alors que l’Etat ou la collectivité garde la propriété des murs. Le partenariat public-privé (PPP) semble être la bonne formule pour marcher de concert, en atteste encore la prochaine ouverture de l’Abbaye de Saint-Savin, surnommée la « Sixtine de l’époque Romane » près de Poitiers, où l’Etat est le bailleur. Les deux parties accomplissent ensemble une commercialisation de la destination pour du tourisme individuel, de groupe, des séminaires et de l’évènementiel. « Les coûts d’exploitation sont élevés, mais le lieu est magique. Nous ne vendons pas un hôtel ou un restaurant, mais un site, et les clients viennent avant tout vivre une expérience », s’enthousiasme ce DG qui se sait attentivement observé par les grands groupes : « Ils savent que nous avons des années d’avance de partenariats public-privé avec les collectivités dans des lieux atypiques ».
Un fondateur atypique
Passé par l’école de Cambridge délocalisée dans Londres, puis Hammersmith University en marketing stratégique et financier, Olivier Gourio s’occupe la nuit de la comptabilité d’un hôtel de 600 chambres pour financer ses études. Il a par la suite intégré la task force du service développement d’Accor UK. « J’étais le seul Français. A partir du Novotel Londres nous avons essaimé », se souvient cet homme aux multiples expériences. En 1990, il accomplit son service militaire dans la Marine pendant la guerre du Golfe, sur le bâtiment amiral La Marne. « Avec d’autres officiers nous organisions des convois humanitaires depuis Djibouti, vers l’Ethiopie, la Somalie, les camps de réfugiés de l’Erythrée. A 20 ans j’ai pris goût à ces sorties des sentiers battus. » Il fonde par la suite CBCV, société d’évènementiel, et traverse en 1994 le Sahara dans le sens Nord-Sud en Speed Sail, à la seule force du vent sur les traces d’Arnaud de Rosnay dont il commémore la disparition. Cet aventurier avait disparu en 1984 en planche à voile dans le détroit de Béring. Les difficultés du voyage comme les sables mouvants et les moustiques la nuit ont endurci le jeune fonceur, mais aussi le manque de sponsors durant la crise. « J’ai appris qu’il fallait exister par tous les canaux et savoir parfois tirer la couverture à soi. » Un film a été tourné et une grosse campagne de communication a accompagné l’évènement. Dirigeant successivement plusieurs établissements en France et en Europe, Olivier Gourio exerce ensuite une activité de conseil en stratégie et fusacq hôtelière, avant de fonder Hôtels & Patrimoine en 2010 où il ne néglige pas non plus le plan media. « Nous sommes parvenus à décrocher trois minutes en prime sur TF1 à propos de la société et de ses réalisations à Sedan et Saint-Maximin, sans compter notre présence dans la presse écrite. Les politiques aussi prennent conscience du patrimoine à sauvegarder et de la solution que nous proposons », rappelle celui qui adore découvrir un site et se transposer dans le futur avec l’élu.
Un concept qui a mûri
Les pérégrinations internationales forgent les meilleures idées, et l’entrepreneur a découvert en Espagne les « Paradores », créés sous Franco. « Le patrimoine a été préservé et des populations sont accueillies sur ces lieux publics, car les murs continuent d’appartenir à l’Etat. Au Portugal aussi les “Pansadas” ont été rachetés par un groupe privé », évoque-t-il, s’en référant même au général de Gaulle qui a écrit ses mémoires dans un des Paradores situés près de Saint-Jacques-de-Compostelle et a déclaré que « cette idée très belle doit être reproduite en France ». De plus l’Hexagone compte 36000 monuments et châteaux de toutes tailles, dont une bonne partie appartient à l’Etat et aux collectivités, « qui fonctionnent par dotation, ne cherchent surtout pas à gagner d’argent, les milieux de la culture craignant par-dessus tout de devenir mercantiles », précise ce pionnier, qui cherche toujours à faire entendre à l’élu qu’« il n’est pas dans son métier de faire de l’exploitation hôtelière. Son rôle consiste à s’assurer que le bien public n’est pas galvaudé au profit d’intérêts privés. Il conserve donc les murs, dans un cadre juridique mature qu’est le PPP, travaillé en amont avec lui ». La mauvaise réputation du PPP ? L’expert de l’hôtellerie, associé à un ancien banquier, la balaie d’un revers de main. « Nous créons ex-nihilo un hôtel ou restaurant, donc de la valeur et des emplois non délocalisables sur le long terme. La collectivité fait les travaux, restaure, mais nous y sommes pour longtemps avec un bail emphytéotique. Supérieur à 30 ans, il équivaut à une quasi propriété des murs selon le banquier. Ce n’est pas une délégation de service public. Nous créons une destination, avec généralement un parcours muséographique et des activités culturelles », explique le dirigeant de cette société de 121 salariés, qui réalise six millions d’euros de CA.
Révélateur d’un changement sociétal
« Depuis quatre ans les clients recherchent des séjours plus anticonformistes. Nous racontons une histoire, et le charme agit lorsque le déjeuner se prolonge dans les travées du cloître de Saint-Maximin, que les Dominicains occupaient encore en 1959 », affirme-t-il, se défendant pour autant de faire du luxe. « Nous pouvons loger les gens à partir de 75 euros dans des sites qui ont 1000 ans d’histoire et plusieurs vies (guerre de Cent ans, Révolution française…). A Sedan le château a été une forteresse, une prison… et les murs font 27 mètres d’épaisseur », illustre le dirigeant d’un groupe en pleine levée de fonds, auprès d’industriels comme d’institutionnels, qui se trouve en plus sollicité par les conseils municipaux. Ambitieux ? « Pourquoi pas l’international un jour ? Les sites ne manquent pas en Europe. Mais pour l’heure nous devons faire nos preuves avec ce schéma atypique. Trop petits, nous ne secouons pas le cocotier de l’hôtellerie, mais nous entrons dans le milliard d’euros dont avait parlé Laurent Fabius : les hôtels sont ancrés dans leurs territoires, employant des familles du coin, utilisant des produits locaux en restauration. » Au début le modèle ne convainquait pas. « Les collectivités vivaient sur un grand train et ne prêtaient pas attention à notre offre. Aujourd’hui on nous regarde : Fondation du patrimoine, ministres, députés, industriels… », se réjouit celui à qui la CDC a demandé de trouver plus de dossiers… Et les médias relaient, comme à l’époque ils relayaient cette fameuse traversée du Sahara…
Julien Tarby