Patrick Roger : sculpteur entrepreneur dans le chocolat

Boutique Patrick Roger, place de la Madelaine, Paris
Boutique Patrick Roger, place de la Madelaine, Paris

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Créativité de choc’

Seul un personnage pétulant pouvait réussir dans le chocolat. Patrick Roger, artiste entrepreneur dont les appétissantes sculptures d’animaux ne sont qu’un modeste aperçu de son univers haut en couleur, ne déroge pas à la règle.

Et si Tim Burton était venu à Sceaux chercher son inspiration pour imaginer Charlie et la chocolaterie ? Au détour d’une petite rue, entre deux maisons bourgeoises de cette paisible ville des Hauts-de-Seine, les ruches bourdonnantes du potager où est fabriqué le miel et l’ancienne imprimerie emplie d’imposantes sculptures d’animaux chocolatées laissent entrevoir à tout visiteur la richesse et la complexité de la personnalité de leur créateur, Patrick Roger.

Vraies saveurs du monde

A 45 ans, ce père de deux enfants au look de motard, rebelle dans son discours, passionné, sans une once de vernis, est considéré comme l’un de meilleurs pour ses douceurs originales comme L’Instinct, mariant noisette praliné et ganache nature, mais surtout pour ses sculptures chocolatées. Entre autres la chute du Mur de Berlin, les 40 ans des premiers pas de l’homme sur la lune, le planteur de cacao qui lui a permis de remporter en 2000 le titre de Meilleur Ouvrier de France. Goût de l’excellence ? Ce puriste ne sacrifiera jamais le goût pour la rentabilité ou la gloire : seules des plantes fraîches sont utilisées, les oranges viennent de Corse, les fèves de cacao sont sélectionnées parmi les 47 pays producteurs, les fournisseurs sont au nombre de 200, dont certains en Afghanistan. « Un chocolat est fabriqué en 72h, après 25 manipulations sous 9 températures différentes », s’écrie celui qui réalise 30% de son CA à noël. Des caractéristiques qui lui permettent de survivre parmi les géants. « Je suis en concurrence avec la Maison du chocolat qui appartient à Bongrain, ou Lenôtre racheté par Sodexo. Mais malgré les propositions je n’ouvrirai pas le capital. Nous n’avons pas le niveau de Pierre Hermé en communication, nous ne possédons pas de laboratoire de R&D et créons en même temps que nous produisons. Mais nous restons libres ». Ce qui ne l’a pas empêché d’ouvrir sept boutiques dont une à Bruxelles, d’investir dans de nouvelles machines, d’agrandir son usine. « Il faut être fou pour entreprendre aujourd’hui. Je le suis un peu », s’amuse cet amoureux de vitesse, passion qui lui a valu quelques déboires avec la police à moto et un doigt paralysé à vie au travail.

De la galère aux projecteurs

« Si tu passes à Paris tu passes partout », assure ce travailleur acharné, faisant naître de ses mains expertes un pingouin chocolaté grandeur nature. Rien ne le prédestinait à exercer ses talents dans la capitale. « Je viens de la campagne, du village de Le Poislay dans le Loir et Cher. Mon père a accouché ma mère pour mettre ma sœur au monde. Mes parents étaient boulangers, besogneux, et m’ont sûrement donné le goût du travail », relate l’élève médiocre de jadis, qui commence son apprentissage en pâtisserie à l’âge de 15 ans. Il vient travailler à Paris chez le pâtissier traiteur Pierre Mauduit à 18 ans. « Il s’est aperçu en un mois que j’étais un « branleur », il m’a donc cantonné à la chocolaterie, qui a été une révélation ». En 1997, après plusieurs années d’errance – « j’enchaînais des petits boulots dans de bonnes Maisons, mais plutôt en tant que pâtissier » – il ouvre sa propre boutique-atelier à Sceaux. « Une banquière m’a suivi et m’a prêté 100 000 euros malgré mon bouc et ma moto (rires). Mes parents m’ont prêté 20 000 euros, qui représentaient les économies de leur vie. Au premier jour j’ai gagné autant qu’en un mois de travail auparavant. J’ai vite réalisé mes 600 heures de travail par mois. Au bout de 3-4 mois nous comptions 18 personnes », se souvient celui qui dit avoir travaillé dans « un sous-marin nucléaire » tant le lieu était confiné. « Et aujourd’hui les équipes de Top Chef viennent tourner dans ces nouveaux ateliers », rie ce râleur invétéré selon sa mère.

Management authentique

« Le patron c’est le patron. Chez moi c’est la dictature, on ne discute pas, même si je suis plus souple qu’avant et plus proche de mes ouvriers. Le management est plus facile dans l’atelier que dans les boutiques », avoue ce dirigeant pur jus, qui prétend avoir été « redressé » en apprentissage. Reste à accompagner le développement de sa société. Les 17 qui l’entourent à l’usine sont japonais, italiens, français, et Patrick Roger, qui a un BTS par équivalence en ayant obtenu le titre de Meilleur Ouvrier de France, cherche à « passer de chef à patron » en faisant monter certains en puissance. « Nous avons besoin de cerveaux qui adoptent une vision globale. Ducasse embauche des polytechniciens, car il avance le garçon, il ne faut pas être une tanche à côté », plaisante celui qui a beaucoup appris dans la boulangerie familiale. « Je savais prévoir les niveaux de stocks, ce qui aide dans ce secteur, où par exemple la récole des pistaches a lieu tous les deux ans ».

Entrepreneur et artiste, cocktail explosif

Mi tête brûlée, mi libéral extrême, mi rêveur, mi fonceur… difficile d’appréhender toute la complexité du personnage. « Il ne faut pas de fier aux apparences. Regardez Valentino Rossi en moto, qui a toujours l’air d’être trop détendu, et qui a gagné 6 championnats du monde », déclare ce créatif de génie qui a commencé à aimer le chocolat à 18 ans ! Selon lui son palais n’a pas évolué, au contraire de sa bibliothèque personnelle, qui s’enrichit sans cesse à travers ses découvertes. « Par ce métier j’ai voyagé dans 41 pays, qui sont autant de sources d’inspirations », murmure-t-il, capable d’assembler jusqu’à 14 ingrédients pour obtenir le goût et la texture voulus, cherchant dans chaque nouveau chocolat l’équilibre parfait et la surprise. Rêveur plongé dans sa passion ? Pas vraiment non plus. Ce pourfendeur des 35h – « 11% de travail en moins à l’usine, c’est à cette époque que les tarifs des artisans ont dérapé » – se dit être « fait pour être patron, mais il faut le vouloir avec ces niveaux d’Urssaf à payer et cette juxtaposition de normes d’hygiène et de sécurité ». Investisseur à ses (rares) heures perdu aussi, ayant acquis 10 hectares de terres d’amandiers près de Perpignan. Ce dirigeant atypique fuit le copinage professionnel. « Mon unique réseau est celui de la moto ». Une seule constante, l’amour du goût : « il faut éduquer les enfants au beau et au bon, ce sont les clients de demain. Dans la boutique de Madeleine, beaucoup ont moins de 30 ans. La culture du goût en France est inestimable ». Impossible donc de bien cerner cet homme. Juste d’en capter un infime aperçu, en savourant un de ses fameux bonbons Couleurs par exemple…

Matthieu Camozzi

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