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Ses parents sont profs, de français et de mathématiques. Lui s’est pris de passion pour la musique – piano et violon en particulier. Mais à l’arrivée, Frédéric Mazzella choisit la voie de l’entrepreneuriat. Ce Monsieur, vous le connaissez, il est à l’origine de BlaBlaCar. Oui, ces trajets en covoiturage grâce auxquels vous parcourez la France à moindre coût en remplissant des voitures habituellement vides et grâce auxquels vous rejoignez Noirmoutier… depuis Limoges, un mardi matin! Ce n’est pas forcément du luxe, mais l’on s’y habitue. D’un choix par défaut, certains passagers en redemandent. Car pas cher, écolo, et agréable. Bref, ce n’est pas si mal finalement!

Avant BlaBlaCar, car le nom n’arrive qu’en 2013, Covoiturage.fr… qui existe depuis 2004. Le succès a mis du temps à se dessiner. « Ne cherchez pas d’ascenseur, il n’y en a pas : les entrepreneurs prennent toujours l’escalier! », aime rappeler Frédéric Mazzella dans son livre Mission BlaBlaCar (éditions Eyrolles), sorti en janvier 2022. Persévérant et humble, l’entrepreneur sait tout le sacrifice qui se cache derrière les plus grandes réussites. Il se souvient de sa centaine d’heures de travail, chaque semaine, à peaufiner le développement de BlaBlaCar. Fred Mazzella, sorte de monsieur Tout-le-monde qui a percé. Même si tout le monde ne fréquente pas les bancs des classes préparatoires scientifiques au lycée Henri IV à Paris. Encore moins Normale Sup ou Stanford.

C’est aux États-Unis que le fondateur de BlaBlaCar a obtenu un master en computer science, informatique, pourrait-on dire. Chercher une solution pour résoudre un problème, la frontière n’est pas si éloignée entre la recherche et l’entrepreneuriat. Après tout, c’est bien la science qui rend possible l’innovation, non? Aujourd’hui, Frédéric Mazzella, qui n’est plus CEO de BlaBlaCar mais non-executive chairman, se consacre à un nouveau projet: Captain Cause ! Qui se donne pour mission d’envoyer un maximum de moyens aux projets qui inventent et dessinent un futur différent et d’impliquer le plus grand nombre sur ces mêmes projets à impact positif. Dit autrement, Captain Cause fonctionne comme du mécénat participatif. Des entreprises volontaires offrent des dons préfinancés à leurs collaborateurs, qui choisissent de les aiguiller vers l’association de leur choix, parmi une sélection opérée par Captain Cause. Entretien avec Frédéric Mazzella, captain sans blabla

Les sciences, la musique… vous n’étiez pas forcément destiné à devenir entrepreneur ?

Mes parents sont profs, mes grands-parents étaient instituteurs. Mais je n’ai pas choisi l’enseignement comme carrière. Pourtant, j’ai toujours été curieux. Et j’étais attiré par la recherche et l’innovation. C’est sans doute pour cette raison que j’ai suivi des études scientifiques. Notamment à l’École normale supérieure puis aux États-Unis, à Stanford, pour suivre un master de computer science. J’ai même réalisé un stage dans une joint-venture pour la NASA. Je crois que l’on retrouve beaucoup de similitudes entre la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat, le business. Dans un cas comme dans l’autre, on part de zéro et on crée quelque chose.

Surtout, je crois que c’est même plutôt judicieux d’avoir un profil tech pour monter une entreprise… d’autant plus dans la tech! Regardez les mastodontes Facebook, Google, Twitter… Leurs créateurs ont étudié la tech avant de se lancer. Les ingénieurs ont plus que jamais leur place dans l’entrepreneuriat. Et puis, lors de mon expérience outre-Atlantique, je me retrouvais en pleine Silicon Valley, je baignais dans un monde de start-up. Les gens ne finissaient même pas leurs diplômes et ne juraient que par la création de leur entreprise. Ou alors ils rejoignaient Google, en plein essor à l’époque.

 

BlaBlaCar, c’est votre première boîte créée ?

J’avais quelques idées avant, mais je ne suis jamais allé jusqu’à la création. Ce que fait Airbnb aujourd’hui, je m’y suis essayé. De la location d’appartements à Paris, plus précisément. Le problème, je n’avais aucun fonds, j’étais jeune. Je n’avais pas d’appartement à sous-louer pour tester le concept puisque je n’étais pas propriétaire. Et puis on ne peut pas sous-louer des appartements comme ça, l’illégalité me faisait peur. Au-delà de toutes ces contraintes, je crois que je n’étais pas encore assez impliqué et convaincu, c’était peut-être trop tôt. J’ai testé pas mal de choses, mais rien de très concluant. Arrive ensuite BlaBlaCar. Je devais me rendre en Vendée pour rejoindre ma famille, depuis Paris.

C’était en décembre, tous les trains étaient complets. Pas d’autre choix que de solliciter ma sœur, de Rouen, pour qu’elle fasse un détour par la capitale, et ainsi me récupérer avant de reprendre la route pour la Vendée. Nous roulions sur l’autoroute en voiture. Un tas d’autres voitures circulaient, rarement pleines, souvent seul le conducteur se trouvait à bord. Les trains, eux, étaient bondés. Et finalement, pourquoi ne pas réserver une place dans l’une de ces voitures vides? L’entreprise BlaBlaCar était née. Enfin, Comuto, le nom initial. En référence au latin commuto et commutare. Soit la notion d’échange. Comuto, pour cette sonorité familière dans pléthore de langues, pour conférer à l’entreprise un caractère international. Ensuite, j’ai racheté le nom de domaine de la plateforme Covoiturage.fr à un étudiant rennais. Ce fut notre nom entre 2006 et 2013.

 

Et comment il est venu, ce nom, unique, BlaBlaCar ?

Il fallait à cette entreprise de covoiturage un nom de marque moderne, international… et que l’on retienne. J’y ai passé 80 nuits blanches. L’on proposait avec les deux autres cofondateurs [Nicolas Brusson et Francis Nappez, ndlr] une liste de noms, une trentaine, à notre entourage et on leur redemandait lequel ils avaient retenu. BlaBlaCar sortait du lot. J’avais moi-même pensé à ce nom car, en surfant sur le profil des conducteurs, ils indiquaient dans leur descriptif « blabla » ou « pas blabla ». J’avais le nom sous les yeux. Parmi les autres noms en lice: MeetDrive, Gonexion, Tuttigo.

 

Qu’est-ce qui motive les gens à utiliser BlaBlaCar ?

Au départ, c’est souvent parce qu’il y a une grève de train ou un trajet improbable à trouver. Alors les gens essaient. Puis, souvent, ils reviennent. Les conducteurs, eux, ont vraiment décidé de faire du covoiturage. Car non seulement ils font des économies, ils ont conscience qu’ils polluent moins, mais c’est aussi bien plus agréable de voyager à plusieurs! Les conducteurs nous le disent, ils ne pourraient plus rouler seuls, à vide. Cet aspect social est essentiel.

Un chiffre que j’aime beaucoup: lors d’un covoiturage, 21 % des utilisateurs révèlent des choses qu’ils n’avaient jamais dites à personne auparavant. Notamment parce que l’on ne connaît pas les personnes, on a sans doute moins peur du jugement. Et puis, en tant que passager, pas de contact oculaire avec le conducteur! Les gens sont à l’aise pour échanger en voiture. Des relations pérennes arrivent très bien à se nouer lors d’un trajet partagé.

 

Et comment s’est opérée la transition BlaBlaCar… Captain Cause?

Je ne suis plus CEO désormais, mais non-executive chairman. Je consacre aujourd’hui quelques jours par mois à BlaBlaCar. C’était une centaine d’heures par semaine auparavant! C’est Nicolas Brusson qui gère maintenant L’on s’était rencontrés à l’Insead en 2007, Nicolas s’occupait à ses débuts de l’expansion internationale de BlaBlaCar. Évidemment, même si je prends un peu de distance par rapport à l’entreprise, je lui reste très attaché, c’est le projet d’une vie! D’ailleurs, les médias viennent souvent me voir quand il s’agit de parler de la boîte, car ils aiment parler au fil rouge, à celui qui a eu l’idée au départ. Alors je m’occupe encore un peu de la stratégie, des affaires publiques et de la communication. J’occupe en quelque sorte le rôle du vieux sage! Dit autrement, je fais le job de quelqu’un qui aurait près de vingt ans de plus que moi.

BlaBlaCar

Après BlaBlaCar… Captain Cause, où êtes-vous allé chercher cette nouvelle idée?

Je vois passer une marche pour le climat, je remarque que ces gens qui défilent, entre Opéra et Bastille à Paris, sont en très grande majorité des jeunes. Une jeunesse avec des panneaux à la main sur lesquels ils avaient écrit: quand je serai grand, je voudrai être vivant. Ça m’a fait quelque chose. Ces jeunes qui n’ont à ce point plus d’espoir en l’avenir, c’est fou. Sincèrement, cette marche a joué un rôle de déclic pour moi. Car là, ce n’est pas mai 1968, il n’est pas question de davantage de liberté, simplement de vivre.

Il y a une chose dont on est sûr: le réchauffement climatique. On le sait, si on ne fait rien, là maintenant, on va tout droit dans le mur. On sait ce qu’il nous attend, du moins on l’imagine, car je ne sais pas encore à quoi ressemble le chaos. Alors le salut viendra d’une forme d’innovation. Et passera par le soutien de projets différents – et qui ont un impact positif pour l’avenir.

 

Captain Cause, celui qui dirige vers la bonne cause, c’est quoi?

Notre but avec Captain Cause, envoyer un maximum de moyens à tous les projets qui inventent et dessinent un futur conciliable avec la préservation de notre planète et de l’humanité. Et, tout aussi essentiel, impliquer un maximum de personnes sur ces mêmes projets. Comment? les entreprises volontaires allouent un budget – issu des départements communication, marketing, ressources humaines, etc. – pour offrir des dons préfinancés à leurs collaborateurs. Derrière, les salarié·es aiguillent ces dons aux associations de leur choix. Captain Cause met justement un catalogue à disposition avec, en son sein, les associations que nous retenons. Lesquelles ont fait l’objet d’une sélection rigoureuse. Notre concept s’apparente à du mécénat participatif. Surtout, Captain Cause fonctionne comme un guichet unique, c’est-à-dire que l’on s’occupe des formalités et notamment de la paperasse administrative. Il arrive que des entreprises arrêtent de donner pour de mauvaises raisons: parce que le don en entreprise se révèle trop complexe!

 

Parfois, l’on ne donne pas parce que l’on ignore où ira réellement l’argent… Comment contourner cet obstacle?

Vous avez raison, c’est un très grand frein. On observe un phénomène de défiance quand on parle de dons. Un chiffre: un tiers des dons rejoignent environ… un dix-millième des associations. Bref, l’argent va toujours au même endroit. C’est justement pour répondre à ce manque de confiance que Captain Cause existe. Deux personnes, qui travaillent à plein temps, s’occupent de la sélection des projets. Car l’on compte, pour l’heure, une cinquantaine d’associations sur la plate-forme, alors que plus de 300 cherchent à venir… Pour la construction de confiance, notons qu’aucune entreprise mécène n’a intérêt à venir se laver chez nous, aucune ne ressortirait gagnante d’un coup de greenwashing! Le greenwashing, rappelons-le, c’est de la communication sans action. Une entreprise tentée par cette pratique s’exposerait deux fois plus et subirait un retour de bâton immédiat.

Après les dons récoltés, les associations se doivent de communiquer sur les initiatives et projets mis en œuvre. Ces retours sont indispensables, ils montrent aux donneurs que l’argent a bien servi à quelque chose. En plus des dons préfinancés, et donc offerts par les entreprises, les particuliers complètent, s’ils le souhaitent, avec leurs propres dons. Une logique de plate-forme qui rassure. C’était pareil avec BlaBlaCar: les gens avaient peur de faire du covoiturage avec des inconnus. Mais avec le système de commentaires, qu’ils soient positifs ou négatifs, ou les notes, les utilisateurs sont plus sereins.

 

Un ou deux exemples de projets que vous soutenez ?

Ma Petite Planète, qui propose des défis écologiques à vivre entre amis, en famille ou avec des col – lègues. Ou encore Les P’tits Dou – dous, pour améliorer le vécu des enfants, des parents et des soi – gnants à l’hôpital. Globalement, Captain Cause couvre trois sec – teurs: l’environnement, le social et la santé.

 

Quelles sont vos ambitions avec Captain Cause ?

On souhaite poursuivre cette logique de sensibilisation maximale pour faciliter les transformations et éviter les résistances. Après notre lancement officiel, le 6 octobre 2022, notre objectif vise à flécher 1 milliard d’euros de dons d’ici à 5 ans. Ces dons préfinancés peuvent tout à fait remplacer des goodies, que l’on accumule sans ne savoir qu’en faire! Avec Captain Cause, on aimerait à l’avenir rendre possible ces dons sous la forme de cadeaux entre particuliers. Lors d’événements comme les mariages, anniversaires, etc. Car, disons-le, on offre bien trop souvent des cadeaux qui restent inutilisés… autant servir les bonnes causes !

 

Parlons un peu de vous, quel manager êtes-vous et comment vous décriraient celles et ceux qui travaillent à vos côtés ?

Ce qui compte pour moi, c’est de m’entourer de personnes – et notamment d’un chief of staff – avec lesquelles je pratique un ping-pong intellectuel. Il n’y a pas un chef et des assistants. On cherche et on trouve des solutions ensemble. J’aime beaucoup cette phrase de Galilée: « Je n’ai jamais rencontré d’homme si ignorant qu’il n’eût quelque chose à m’apprendre. » Il faut accepter une réalité: on ne peut pas tout maîtriser! Certains seront très performants en data, d’autres excelleront à l’écrit ou en communication. Un manager n’est pas omniscient. D’ailleurs, il ne peut pas tout assumer, j’ai accepté l’idée de m’endormir le soir avec des mails non lus. Je dormi – rais très peu, voire pas du tout, si je m’obstinais à consulter tous mes messages.

Sans compter tous les canaux sur lesquels on est sollicité aujourd’hui: Zoom, Slack, Teams, Messenger, WhatsApp, LinkedIn, Twitter… je m’arrête là peut-être? Et mes collègues, ils me décriraient comme un mec normal. Persévérant aussi – quand j’étais enfant on me disait que j’étais têtu… je préfère dire persévérant aujourd’hui. Mon entourage pro dirait aussi que je suis travailleur et créatif.

 

Ce qui compte pour réussir en tant qu’entrepreneur ?

L’entrepreneur sait mettre de côté, le temps qu’il faudra, une forme de confort. Là où certains renonceront face à des mauvaises conditions matérielles, de l’incertitude et de l’instabilité, les entrepreneurs, eux, y feront face. Je le dis souvent: le meilleur ami de l’entrepreneur, ce sont les pâtes. Heureusement, j’adore ça! Personnellement, j’ai mis du temps avant de voir mon entreprise décoller, BlaBlaCar en l’occurrence. Si ça marche, tant mieux, sinon, tant pis. On recommence, viendra le jour où ça passera. Bref, les entrepreneurs sont avant tout libres dans leur esprit. C’est aussi une question de timing. Moi, quand je me suis lancé, j’étais locataire avec seulement un chat à charge. Plus difficile de se lancer dans l’aventure lorsque l’on a une famille et des enfants à élever. Dernière chose, rester simple. L’humilité n’empêche pas de faire des trucs de dingue !

 

Hormis BlaBlaCar et Captain Cause, vous faites quoi de votre temps libre ?

Vous savez, Captain Cause me prend déjà plus de 50 % de mon temps. Sans compter BlaBlaCar et France Digitale où j’occupe le poste de coprésident. En parallèle, j’anime depuis peu une émission sur BFM Business, intitulée Les Pionniers. Un rendez-vous au cours duquel j’invite ces fameux gens simples qui font des trucs de dingue… comme Taïg Khris. Par exemple. Mes loisirs? un peu de musique. J’aime beaucoup le piano. Et le jardinage, je suis fan. J’adore, parce qu’il y a un résultat immédiat, c’est concret et ça fait du bien. La nature, ça apaise.

 

Qui est votre mentor ?

J’en ai plusieurs, beaucoup vrai – ment. Souvent des entrepreneurs mais aussi des investisseurs. Là, tout de suite, je pense à Christophe Crémer, le fondateur de Meilleurstaux.com et papa de Clarisse Crémer, la navigatrice. Il m’a donné énormément de conseils pratico-pratiques, qui m’ont servi et me servent encore aujourd’hui.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince

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