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Intuitive féminine
A 62 ans, Aude de Thuin, organisatrice de salons professionnels et de forums, peut s’enorgueillir de belles réussites comme le Women’s Forum ou Osons la France. L’heure n’est pas pour autant aux bilans pour l’autodidacte de talent, loin de là…
La Présidente de Thuin et Associés Consulting, grande et élégante, est des plus souriantes. Par politesse, mais aussi parce qu’elle vient de signer une nouvelle édition de « L’Art du jardin » au Palais de Tokyo en 2014, manifestation qui présente au public des jardins types, du mobilier de jardin et le meilleur de la production végétale, dont elle vient de racheter la marque pour la relancer. Une renaissance qui illustre les capacités entrepreneuriales hors normes qu’a su développer Aude Le Roux, Provinciale aînée d’une famille de six filles, qui est arrivée dans la capitale sans argent et sans réseau. « Beaucoup me voient comme une aristo ou une bourgeoise, alors que j’ai simplement gardé le nom de mon premier mari », révèle l’ancienne étudiante en psychologie, obligée d’arrêter avant le diplôme pour travailler. Tout à tour mannequin, standardiste, pompiste, créant un journal de petites annonces à 22 ans et se mariant la même année, elle divorce à 30 ans puis se rend sur Paris.
Parcours forgé par une volonté
Un éditeur d’annuaires de publicité directe l’embauche. La visionnaire aura l’idée de lancer la « Semaine internationale du marketing direct » – douze ans de succès consacrés à ces nouveaux métiers qui lui forgeront un nom et un capital. « Je suis tombée par hasard dans l’organisation de salons professionnels, au gré des rencontres », explique celle que les banques ont soutenue alors qu’elle disposait de moins de 5000 francs sur son compte. L’autofinancement a fait le reste, ses entreprises se positionnant toujours avec précision sur les courants sociétaux émergents. Ainsi, après avoir reçu 22 propositions de rachat pour la semaine du marketing direct, la « serial entrepreneure » vend son affaire en 1993 pour acheter la Compagnie Scheffer, organisatrice de deux événements : « L’Art du Jardin » créé en réaction à la crise économique de 1991 pour répondre à un besoin de retour à la nature et au cocooning, et « Créations et Savoir Faire » positionné sur les loisirs créatifs. Là encore elle cède le tout en 2003, avec pragmatisme : « Le premier me faisait perdre de l’argent, le second était rentable. Je ne pouvais les séparer ». Des succès liés à des connaissances utiles ? « Il est vrai que mon carnet d’adresses s’est étoffé du fait de mon activité, mais je ne cultive pas de réseau. Ma vie privée me suffit amplement et je ne suis pas mondaine. »
Women’s forum for the Economy and Society
Son enthousiasme se porte plutôt sur le succès du Women’s Forum (WF), « la plus belle histoire de ma vie », avoue-t-elle sans ambages. Cette manifestation qui se tient chaque année à Deauville réunit les femmes d’influence du monde entier (1400 délégués, 80 pays représentés) pour travailler à une meilleure représentativité. Soutenant City of Joy – la fondation d’Eve Ensler qui aide les femmes mutilées dans les combats interethniques en République Démocratique du Congo –, ayant écrit un livre sur sa cause (1), elle a toujours invité les femmes à s’affranchir des modèles anciens et démontré que la mixité était un facteur de progrès. « J’ai de l’admiration pour Simone Veil, Elisabeth Badinter, Hillary Clinton. Je suis une féministe pragmatique, pas militante », une attitude qui a enfanté du WF. « Avec mon ancien directeur des programmes qui était ex-CEO de Davos, nous avons proposé un contenu pertinent et créé une base de données mondiale des femmes les plus influentes. » Un professionnalisme qui va hisser le forum en leader mondial dans son domaine. Mais la crise des subprime occasionne en 2008 une baisse de 30% du CA. Et la duplication du concept en Chine tourne au vinaigre. Après la réception du Dalaï Lama par Nicolas Sarkozy, le Forum a été supprimé du jour au lendemain en 2009, alors que 1000 personnes étaient déjà inscrites. Des vicissitudes qui l’obligent en 2011 à céder le contrôle à Publicis, qui ne se fait pas prier pour acquérir 51% de la PME de la rue Royale. Sécurisée, Aude de Thuin conserve 30% des parts, aux côtés des 15% de David de Rothschild et Anne-Claire Taittinger qui l’accompagnent dans ses « coups ».
Entrepreneure visionnaire mais réaliste
Cette belle opération lui donne à nouveau les moyens de profiter de sa vista. « C’est en temps de crise que les opportunités sont maximales. Je m’intéresse aux grands mouvements sociologiques, aux changements de société. Je suis loin d’être unique, beaucoup de gens avaient les mêmes intuitions que moi concernant le besoin d’un forum pour les femmes. » Mais peu passent à la phase de concrétisation comme elle. Dernier exemple, « Osons la France ». « J’ai passé sept ans à voyager avec le WF, constatant l’image déplorable de la France envoyée à l’étranger. Les signaux de dépression généralisée émis ne sont pas compris, alors que le pays est riche, agréable à vivre et dynamique. Il importait de réagir, alors que nos enfants partent tenter leur chance hors des frontières. » Créé en 2011 et édité par Thuin et Associés Consulting, ce forum contre le pessimisme ambiant, destiné à la société civile, met en lumière les initiatives et talents français dans tous les domaines : industrie, entreprise, science, recherche, arts… à Paris, Lyon et bientôt Lille. Celle qui a reçu les insignes d’officier dans l’Ordre national du Mérite profite de l’expérience acquise. « J’ai pendant longtemps été mauvaise en management, trop autoritaire, impatiente et exigeante. Peu encline à changer ma personnalité, j’ai donc modifié l’organisation, devenant Présidente et cédant l’opérationnel. » La suite ? Elle seule le sait. « Avoir une personnalité forte, être assez cinglée pour croire en ses concepts et foncer ouvre les portes de la réussite. Avant tout une question de tempérament. » Et elle n’en manque pas.
¹« Femmes, si vous osiez : le monde s’en porterait mieux », par Aude de Thuin, ed. Robert Laffont, 2012.
Matthieu Camozzi